Trois régions de la scène globale ont été sous les projecteurs en octobre, résumant bien l’évolution de notre planète : Les Etats-Unis, Kazan et le Proche-Orient.
Le monde entier suit la campagne électorale américaine qui va se clore par une élection présidentielle particulièrement clivée le 5 novembre. Ce match, déterminant compte-tenu du poids stratégique des Etats-Unis, est indécis mais l’hypothèse d’une victoire de Donald Trump est crédible. Celle-ci marquerait une rupture et placerait paradoxalement le pays leader du monde occidental au diapason de ses concurrents eurasiatiques. Nationaliste, indifférent aux droits de l’homme, insensible à l’universalisme et partisan de relations transactionnelles Donald Trump est en phase avec nombre de chefs d’Etats non-occidentaux, dont Xi Jinping, Vladimir Poutine, Narendra Modi ou Recep Tayyip Erdogan. C’était l’une des problématiques abordées lors de nos Rencontres Stratégiques de la Méditerranée des 8-9 octobre qui ont connu un très grand succès de l’avis des 3 000 participants enthousiastes.
A Kazan, trente-cinq pays, dont 19 étaient représentés par leur chef d’Etat, se sont réunis pour le sommet des BRICS+ du 22 au 24 octobre à l’invitation de Vladimir Poutine. Pour ce dernier, cette réunion était d’abord la démonstration de l’échec de sa marginalisation voulue par les Occidentaux. De fait, le nombre et la nature des participants et des candidats à l’adhésion (dont la Turquie, représentée par son président) illustrent la dynamique à l’œuvre au sein des pays du Sud qui cherchent une reconnaissance internationale et prennent acte d’une alternative crédible à l’influence américano-occidentale. Même si aucune avancée politique concrète n’a été obtenue par Vladimir Poutine (pas d’élargissement à de nouveaux pays, pas de mise en place d’un système de paiement alternatif au Swift, pas de dédollarisation, pas de soutien à la guerre en Ukraine), cette volonté d’affichage au côté du responsable politique le plus agressif à l’égard de l’Occident, renforcée par la présence du Secrétaire général des Nations unies Antonio Gutterrez, montre une dynamique inquiétante pour l’Europe.
Alors qu’il était à Kazan pour faire acte de candidature au prochain round d’élargissement des BRICS+, Recep Tayyip Erdogan a appris une bonne et une mauvaise nouvelle : le décès de son rival Fetulah Gülen aux Etats-Unis qui affaiblit l’opposition politique au président turc ; l’attentat d’Ankara attribué au PKK qui démontre que la guérilla kurde reste vivace. Non loin de chez lui, les deux élections cruciales qui se sont déroulées en Moldavie et en Géorgie sur l’orientation future (pro-européenne ou pro-russe) de ces deux petits Etats d’Europe orientale que convoite avidement le Kremlin qui se sent pousser des ailes alors que la Corée du nord lui envoie plus de dix mille soldats en renfort en Ukraine. Ces deux scrutins ont illustré le succès des manœuvres de déstabilisation russes. Là encore, chacun scrutera la réaction des Européens pour jauger leur capacité à s’opposer fermement à Vladimir Poutine.
Au Levant, la guerre qui oppose Israël au Hamas, au Hezbollah et à l’Iran s’amplifie, affectant toujours davantage les populations civiles et accroissant les risques d’escalade. Si la branche armée du Hamas semble défaite ou sur le point de l’être après l’élimination de son chef Yahya Sinouar (ce sera le thème de notre conférence du mois[1]), celle du Hezbollah, bien que décapitée et considérablement affaiblie, fait encore preuve de répondant grâce à la présence probable de pasdarans iraniens qui semblent avoir remplacés les cadres libanais éliminés. La riposte plutôt limitée d’Israël le 26 octobre à la frappe massive de missiles balistiques iraniens sur son sol montre une volonté d’éviter un conflit direct entre les deux Etats. Notons cependant qu’un tabou est définitivement tombé le 13 avril dernier, lors la première frappe iranienne par missiles sur le sol israélien qui a marqué la fin de décennies de conflit par procuration entre Israël et l’Iran. Face à ce risque de conflit ouvert, le nombre de munitions devient clé : missiles balistiques performants côté iranien qui est à l’offensive, intercepteurs antimissiles en défense côté israélien. Téhéran est a priori favorisé dans cette équation, mais doit rester prudent : si Tel Aviv se trouvait en pénurie de missiles pour son bouclier protecteur, Israël pourrait alors être tenté par une fuite en avant offensive, potentiellement très meurtrière. En attendant l’élection américaine, déterminante pour l’approvisionnement en munitions, Israël compte ses maigres soutiens, notamment l’Inde[2].
En Afrique, alors que l’armée soudanaise enregistre des avancées significatives en direction de Khartoum, la ville d’el Fasher est toujours sous le coup des bombardements des forces de soutien rapide (FSR). Dans la Corne de l’Afrique, le protocole d’accord controversé entre l’Éthiopie et le Somaliland accélère le rapprochement entre la Somalie, l’Egypte et la Turquie. Au Sahel, le partenariat entre les supplétifs russes et les forces armées maliennes semble fragilisé en raison des lourdes pertes qu’ils ont essuyées face aux rebelles du septentrion tandis que l’attaque menée aux portes de Niamey par le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM) affiliés à Al Qaida interroge sur les capacités de résistance du gouvernement nigérien, désormais confronté à des rebellions politico-militaires dans le centre du pays.
L’équipe de direction de l’Institut
[1] Conférence du 7 novembre 2024 « Gaza, le jour d’après ». Inscriptions en ligne : 07/11/2024 – Gaza, le jour d’après – Fondation Méditerranéenne d’Études Stratégiques
[2] « Le partenariat stratégique entre l’Inde et Israël au XXIème siècle », E. Pouchin, 24 octobre 2024, FMES. Lire ici : Le partenariat stratégique entre l’Inde et Israël au XXIème siècle – Fondation Méditerranéenne d’Études Stratégiques