Ce 28 mai 2023 a été marqué par la réélection très nette du président turc Recep Tayyip Erdogan qui a également conservé sa majorité au parlement. Sa victoire, présentée comme incertaine ces derniers mois, semble avoir été acquise de manière régulière, comme en témoignent son score (52-48) et les observateurs internationaux présents sur place. Le président Erdogan a réussi son pari : rester au pouvoir pour célébrer en grandes pompes le centième anniversaire de la République turque à l’automne prochain, s’imposer comme la personnalité turque la plus influente depuis Atatürk et conserver sa posture régionale, poussant ses pions partout où cela lui semble possible tout en préservant une position d’équilibre entre les Etats-Unis et la Russie. Cette élection rappelle combien la société turque est désormais ancrée dans une représentation du monde qui l’éloigne de l’Europe. Les discours de l’opposant Kemal Kiliçdaroglu à la veille du second tour ont illustré que la politique de R.T. Erdoganà l’égard de l’Union Européenne, des Kurdes, de la Russie, de l’Arménie ou du Moyen-Orient est très populaire dans toutes les couches de la société turque. Islamisme et nationalisme se conjuguent de concert et c’est une leçon que les Européens, qui ont longtemps opposé les deux, doivent intégrer pour mieux comprendre l’évolution du monde musulman.
Quelques jours auparavant, presque en miroir, le président du centre droit Kyriakos Mitsotakis a remporté les élections législatives en Grèce, alors que les sondages prédisaient une victoire de l’extrême gauche. Il devra confirmer cette victoire le 25 juin prochain pour bénéficier d’une majorité claire au parlement.
Ces deux élections qui renouvellent le mandat des sortants dans deux pays voisins se ressemblent donc, même si elles révèlent des différences importantes entre les sociétés européennes et leurs voisins : fragmentation politique (les oppositions de Syriza et du Pasok proposent une véritable rupture sociétale absente du paysage turc), abstention (40% en Grèce, moins de 15% en Turquie) et désarroi face à des relations internationales de plus en plus rugueuses (plébiscitées en Turquie). Notre voisinage ne nous ressemble pas et nous devons prendre en compte ce fait essentiel en relations internationales
La réintégration formelle de la Syrie au sein de la Ligue Arabe (Bachar el-Assad était le 19 mai à Djedda au côté de ses homologues) reste l’autre évènement majeur du mois écoulé qui lui aussi prend à rebrousse-poil les positions occidentales. Après douze années de guerre civile, Bachar el-Assad a gagné et a réussi à réintégrer la scène régionale, même si certains Etats tels que le Qatar, le Yémen et le Maroc ont annoncé qu’ils refuseraient de normaliser leurs relations avec le régime syrien. Tous les autres renouent avec Damas, à l’instar de l’Arabie Saoudite, suivie probablement de près par le président turc Erdogan qui sait qu’il lui faut se positionner sur le marché juteux de la reconstruction de la Syrie (lire l’article de notre rubrique « Réflexion stratégique » sur le sujet). La Realpolitik s’impose à nouveau, comme en témoigne la présence d’une délégation syrienne qui aurait été reçue très discrètement par le MEDEF. Autre signe du retour d’une ligne pragmatique en France, l’Elysée semble soutenir la candidature de Sleiman Frangié – le candidat de l’Iran – à la présidence du Liban.
Heureux hasard, deux otages français ont été libérés quelques jours plus tard à Téhéran ; il en reste cependant cinq retenus contre leur gré en Iran. Le régime iranien se sent conforté dans son choix de recourir aux vieilles méthodes qui ont fait leurs preuves. Il vient tout juste d’obtenir la libération d’un membre des services secrets iraniens incarcéré en Belgique, contre celle d’un humanitaire belge emprisonné à Téhéran.
Autre indicateur du nouveau rapport de force dans la région : le premier ministre arménien Nikol Pachinyan, désormais sans protecteur russe ou occidental, doit négocier l’avenir des populations du Haut-Karabagh avec son vainqueur, le président azerbaïdjanais Ilham Aliev.
Pendant ce temps, la Tunisie bascule chaque jour davantage dans un régime autocratique dans lequel les militaires et les forces de sécurité intérieures pourraient choisir le rôle d’arbitre ; c’est le thème de notre article du mois dont nous vous recommandons vivement la lecture.
Enfin, chacun attend le déclenchement de l’offensive majeure de l’armée ukrainienne, annoncée de longue date et destinée à améliorer ses positions tout en rassurant les bailleurs américains et européens qui soutiennent à bout de bras l’effort de guerre du président Zelenski. Peut-être le mois de juin apportera-t-il son lot de surprises…
L’équipe de direction de l’Institut