Après plusieurs mois au cours desquels nous avons scruté les tensions en Méditerranée orientale, au Moyen-Orient et au Caucase, l’actualité nous recentre en cette fin d’année sur la Méditerranée occidentale et l’Afrique du Nord. L’annonce de la normalisation des relations entre le Maroc et Israël, annoncée en trois tweets le 3 décembre dernier, est en soi une bonne nouvelle puisqu’elle concourt à apaiser les relations entre Israël et le monde arabe, même si elle fragmente un peu plus celui-ci en deux camps : d’un côté, ceux qui font primer le développement technologique, mais aussi la lutte contre l’Iran et derrière celui-ci l’islam politique ; de l’autre, ceux qui considèrent que la question palestinienne reste centrale et permet d’acheter la paix sociale avec leur population. En conditionnant cette normalisation à la reconnaissance par les États-Unis du caractère marocain du Sahara occidental dont le statut est contesté depuis le retrait espagnol, alors même que les escarmouches se multiplient sur le terrain, le roi Mohammed VI et Donald Trump ont pris un risque. Que se passerait-il en effet si le Front Polisario acceptait la main tendue par l’Iran et ses Gardiens de la Révolution prêts à se substituer à l’Algérie affaiblie (ou à l’épauler) dans son soutien à la cause sahraouie ? Que se passerait-il également si la nouvelle administration Biden, soucieuse de réengager l’Algérie pour l’éloigner de la Russie et de la Chine, contestait la décision de l’équipe précédente de reconnaître le caractère marocain du Sahara occidental ? Le commandeur des croyants se retrouverait alors en situation de devoir expliquer à son peuple pourquoi il a dû aller à Canossa sans en percevoir au final les bénéfices. Tous les ingrédients d’un affaiblissement de la monarchie chérifienne et d’une crise majeure entre le Maroc et l’Algérie, nouveau front par procuration entre Israël et l’Iran, seraient alors réunis.
Cette initiative de la vingt-cinquième heure pourrait bien s’apparenter à l’une des mines enfouies d’une administration Trump moribonde, que nous évoquions dans notre éditorial de novembre. Quoi qu’il en soit, après des années de statu quo, les lignes bougent sur les conflits gelés, que ce soit au Nagorno-Karabakh ou au Sahara occidental. Une chose paraît désormais sûre : les rivalités du Moyen-Orient se sont exportées sur l’ensemble du bassin méditerranéen et ne sont plus contenues à la seule Méditerranée orientale. L’Europe et la France sont bien entendu concernées.
En parallèle, la perspective d’un « No Deal » sur le dossier du Brexit laisse présager de nouvelles tensions entre l’Espagne et le Royaume-Uni à propos de Gibraltar. Madrid peut désormais demander à l’Union européenne de l’appuyer sans réserve, dès lors que la couronne britannique ne fait plus partie de l’UE, dans un contexte où les emprises espagnoles de Ceuta et Melilla sur la rive sud de la Méditerranée restent un foyer latent de tensions entre l’Espagne et le Maroc, même si les deux pays sont liés par des intérêts économiques et énergétiques croissants. C’est pourquoi il nous a semblé utile de rappeler à nos lecteurs les fondamentaux de la stratégie navale espagnole, à l’heure où l’Armada pourrait être amenée à jouer un rôle plus grand en Méditerranée.
Face à ces tensions, mais aussi face à l’afflux toujours croissant de migrants de la rive sud qui risquent leur vie en engraissant les réseaux maffieux, il est crucial que la France et l’Italie s’entendent pour définir a minima ce que pourrait être la stratégie européenne en Méditerranée. C’est la raison qui nous a poussé à mettre en ligne sur notre site l’excellent mémoire de Master 2 d’Axel Gauthier consacré aux « convergences et divergences franco-italiennes sur la politique de défense et de sécurité en Méditerranée de l’Italie et de la France depuis 2011 ». Nous publierons régulièrement certains des meilleurs mémoires de Master 2 de l’IEP d’Aix-en-Provence, partenaire de notre Institut, afin de donner de la visibilité aux étudiants les plus brillants et renforcer les liens entre notre think tank et le monde universitaire. Nous espérons pouvoir élargir cette politique de valorisation à d’autres université et instituts d’études politiques : il est essentiel de favoriser la réflexion stratégique et l’intelligence collective, en particulier au sein de la génération qui devra se confronter au monde sous tension qui sera le sien.
Cette année 2020 aura été un tournant dans la prise de conscience de cette nouvelle réalité. La nouvelle administration américaine et ses alliés et partenaires européens auront beaucoup à faire pour redresser la barre en 2021.
Bonne lecture et bonnes fêtes de fin d’année !
L’équipe de direction de l’Institut