EDITO JUIN 2022

Par l’équipe de direction de l’Institut

Après quatre mois de combats féroces, l’invasion de l’Ukraine par la Russie s’est transformée en une guerre d’usure dont il est difficile de prédire l’issue. La nation et l’armée ukrainiennes ont vaillamment résisté, mais elles s’essoufflent et manquent cruellement d’armes et de munitions pour contenir le rouleau compresseur russe qui se concentre désormais dans le Donbass. L’armée russe a de son côté conquis le littoral de la mer d’Azov qui lui permet d’assurer la liaison avec la Crimée annexée. Le Kremlin pourrait adapter ses buts de guerre à la réalité du terrain  : prendre le Dombass puis avancer au maximum vers le Dniepr avant la fin de l’été et le retour du mauvais temps qui rendra les plaines ukrainiennes impraticables aux vastes offensives mécanisées  et si possible créer une rupture militaire et psychologique qui lui permettrait d’envisager le gain stratégique que constituerait la prise d’Odessa.

Une chose paraît sûre, ce conflit cristallise le paysage international : d’un côté le Kremlin séduit les pouvoirs autocratiques qui respectent la force et qui espèrent, plus ou moins ouvertement, une « victoire » de Vladimir Poutine ; mais d’un autre il a durablement fédéré contre lui la plupart des Occidentaux, notamment Européens. Le sommet de l’OTAN de Madrid (27-28 juin 2022) en est l’illustration. L’Alliance atlantique a invité, à leur demande, la Finlande et la Suède – deux pays jusque-là neutres – à la rejoindre, sécurisant par là même le front baltique face à la Russie et sa position avancée de Kaliningrad. En retirant in extremis son veto à l’accession de ces deux Etats, le président turc Recep Tayyip Erdogan a très certainement réalisé « un bon coup » et renforcé la posture régionale de son pays, s’imposant comme un acteur absolument incontournable tant pour les Américains que pour les Russes ou pour certains Européens, notamment les Allemands. Au-delà des déclarations suédoise et finlandaise sur l’attitude plus ferme à l’encontre des réfugiés kurdes et sur l’attitude conciliante envers les livraisons d’armes européennes à la Turquie, la question reste la suivante : qu’a obtenu le président Erdogan en échange de sa volte-face ? La livraison de chasseurs F-16V et de systèmes antiaériens américains ? La certitude de pouvoir continuer à commercer avec la Russie ? Un blanc-seing pour intervenir en Syrie contre les Kurdes afin d’étendre sa bande-tampon le long de la frontière turque ? La possibilité d’annexer Chypre-Nord en temps voulu (avant les élections de 2023) ? Ou bien de soutenir l’Azerbaïdjan dans une éventuelle nouvelle offensive au Karabakh ? La Russie de son côté ne restera pas passive devant cet échec. Elle tentera de diviser les Européens et pourrait renforcer son action déstabilisatrice sur la rive Sud et ouvrir un front indirect à leur encontre pour les obliger à composer.

Le couple franco-allemand est souvent présenté comme le moteur de l’Europe. A l’heure où s’achève la présidence française de l’Union européenne, l’Allemagne semble tirer les leçons de la guerre en Ukraine ; elle vient d’amender (3 juin) sa constitution pour créer un fond spécial d’investissement de 100 milliards d’euros pour la modernisation urgente de ses forces armées, tout en annonçant sa volonté de porter à 2% du PIB son effort de défense dès 2023. Elle déclare ouvertement vouloir réacquérir une culture stratégique et s’investir davantage dans la dissuasion  nucléaire à travers celle de l’OTAN. Son nouveau chancelier Olaf Scholz a manifestement réussi à écouter et négocier avec l’ensemble de la classe politique allemande pour pérenniser cette nouvelle posture. De son côté, la France, dans un contexte post-électoral compliqué, privilégie l’agenda social et semble avoir du mal à nommer les menaces. Si elle ne réagit pas et ne prend pas la mesure des défis sécuritaires qui s’amoncellent, à l’est comme au sud, elle risque le déclassement, voire la surprise stratégique. L’exécutif et le législatif devraient s’en convaincre, il y a urgence.

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