Edito du mois : Souveraineté

La fracturation du monde entraine avec elle le retour de la géopolitique, des intérêts des Etats et donc de la souveraineté. Ce mois de novembre l’a illustré à foison.

L’Ukraine, lâchée par les Etats-Unis, se retrouve bien seule face à l’accord de cessez-le-feu léonin dicté par la Russie. Les Etats européens, faibles, divisés et dépendants de Washington, hésitent à s’engager. Dans ces moments historiques les mots ne suffisent plus et l’annonce de l’achat possible de chasseurs Rafale à Kiev ne changera pas la donne. L’enjeu pour l’Europe est d’évaluer l’effet domino d’une vassalisation de l’Ukraine par la Russie. L’abandon américain n’est pas « un nouveau Munich », puisque la décision de Donald Trump ne s’explique pas par la peur mais par le choix de s’adapter au nouveau contexte qui voit les puissances impériales se répartir leurs zones d’influence. Les Etats-Unis retrouvent ainsi la stratégie solitaire qui était la-leur avant 1945 et laissent le champ libre à la Russie en Europe, pour mieux se consacrer à leurs trois objectifs prioritaires : la lutte contre les groupes criminels et idéologiques qui les fragilisent à l’intérieur, l’affaiblissement de la Chine à l’extérieur et la défense du pré-carré américain, comme l’illustre la posture agressive à l’encontre du Venezuela. Ailleurs, ce sont plutôt les leviers économiques qui sont utilisés : après les plans de reconstruction de Gaza, pour contrer l’entrisme chinois au Moyen-Orient, Donald Trump a promis au prince héritier saoudien des investissements massifs dans le domaine de la haute technologie, mais aussi la vente de chasseurs furtifs F-35, dont la livraison restera soumise aux évolutions politiques.

Dans ce monde à nouveau dirigé par l’intérêt national et le rapport de force, l’hypothèse que les guerres hybrides, à l’œuvre un peu partout, dégénèrent en guerre militaire est malheureusement crédible. Dans ce cas, la force morale d’une nation, qui peut aller jusqu’à l’acceptation de risquer sa vie pour défendre son pays ou pour intimider un ennemi, devient déterminante. C’était le sens de la déclaration du chef d’état-major des armées, le général Fabien Mandon, devant les maires de France. Elle a, sans surprise, fait pousser des cris d’orfraie au sein d’une société qui est entré depuis des décennies dans la post-modernité. L’individualisme, l’hédonisme et le matérialisme ne favorisent pas le don de soi et l’héroïsme. « Mourons pour des idées, d’accord mais de mort lente » chantait déjà Georges Brassens en 1972. L’annonce présidentielle d’instaurer un service militaire volontaire pour restaurer l’esprit de défense part du même constat, partagé en Europe. Les citoyens européens sont ainsi face à un défi existentiel : sauront-ils surmonter leur indifférence et leur apathie, l’impéritie des institutions de l’UE et le chacun-pour-soit des gouvernements pour défendre – à l’Est, au Sud et à l’Ouest – leur souveraineté, nécessaire à la préservation de leur civilisation ?

La souveraineté est également économique. La vassalisation de l’industrie européenne au profit des intérêts américains qui utilisent l’extraterritorialité de leur droit en est une illustration flagrante. C’était le sens de la remarquable conférence prononcée par Frédéric Pierrucci le 20 novembre. C’est également le sujet de notre article et de notre carte du mois sur les enjeux des terres rares et sur la dépendance de la France quant à ses ressources stratégiques. Les fonds marins et le numérique sont également des domaines clés de souveraineté. Ce sera le thème de notre colloque à Brest le 9 décembre. De fait, la France et l’Europe ont de bonnes raisons de réorienter leurs approvisionnements vers l’Afrique. A cet égard, notre colloque parisien sur « L’Afrique entre deux océans » a clairement montré que les deux façades africaines répondent à des logiques très différentes : côté Atlantique, la coopération économique (notamment autour du Maroc) est prépondérante, alors que côté Océan Indien ce sont les enjeux géopolitiques qui prévalent. Partout, le continent africain, déjà fragilisé par le réchauffement climatique et la démographie galopante, l’est encore davantage par la criminalité et la violence islamiste en pleine expansion. Sur les deux façades, les enjeux liés aux exportations sont directement liés aux enjeux de la sécurité maritime. C’est justement pour sécuriser ses approvisionnements, mais aussi pour être en mesure de défier la flotte américaine, que la Chine accélère la mise en service de grosses unités navales, à l’image du tout nouveau porte-avions Fujian, d’une classe supérieure au Charles de Gaulle. L’Afrique est aussi concernée par le retour des souverainetés nationales portée par des populations en recherche d’identité. C’est le thème de la deuxième « session des hautes études africaines » (SHEGA) qui débute en janvier prochain.

Cette fracturation du monde cohabite cependant avec une interdépendance inédite de huit milliards d’êtres humains. La compétition pour les ressources stratégiques ne devrait donc pas aller à l’encontre des défis environnementaux qui nous impactent tous. Pourtant, ces enjeux passent au second plan. En dehors des Européens, aucun des chefs d’Etat importants n’était présent lors de la COP30 qui vient de s’achever à Belém, au Brésil, illustrant le désintérêt des grandes puissances pour une régulation dont ils ne maîtrisent pas les paramètres. Souveraineté, là encore.

Les défis de la souveraineté impactent enfin la dimension diplomatique. Est-il normal que la France ait dû passer par l’entremise de l’Allemagne pour obtenir la libération de l’écrivain Boualem Sansal des geôles algériennes ? Cet épisode illustre la faiblesse française à l’égard de son voisin du sud mais également la fragilité algérienne. Lâché par les Russes et les Chinois, le président Tebboune cherche à sortir de son isolement en direction de l’Allemagne, de l’Italie, et surtout des Etats-Unis, comme en témoigne son soutien à la Résolution américaine sur Gaza à l’ONU, alors que pendant des décennies Alger s’était érigé en pourfendeur de la politique américaine au Moyen-Orient.

Le monde change. La souveraineté est un enjeu. La France et l’Europe doivent s’adapter.

L’équipe de direction de l’Institut

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