La disparition accidentelle du président iranien Ebrahim Raïssi et de son ministre des Affaires étrangères dans un accident d’hélicoptère, le 19 mai, questionne sur l’avenir de l’Iran et du Moyen-Orient. Le vice-président Mohammad Mokhber, technocrate expérimenté de 68 ans, assurera l’intérim jusqu’à l’élection présidentielle dont le premier tour a été fixé au 28 juin. Il est très improbable que les Iraniens, largement démobilisés, en profitent pour manifester en vue de déstabiliser le régime car les Gardiens de la révolution et leurs affidés inspirent toujours la terreur. Cette disparition attise en revanche les luttes de pouvoir pour la succession du Guide suprême, âgé et malade. Au regard des quatre semaines de la campagne électorale, seuls les candidats bien connus des Iraniens ont une chance d’être élus. Le clergé venant de perdre son candidat naturel (Ebrahim Raïssi) qui devait se représenter en juin 2025 pour un second mandat, il aura du mal à trouver une figure à la fois populaire et très conservatrice, puisqu’il rejette l’hypothèse de l’élection d’un clerc réformiste. Les Gardiens de la révolution pourraient se dire que leur heure est venue, notamment pour accompagner le franchissement éventuel du seuil nucléaire, mais ils ont perdu en crédibilité après les attentats qui ont frappé l’Iran, mais surtout après leur contre-performance dans la brève phase de confrontation militaire directe avec Israël le mois dernier. Ce pourrait donc être finalement un technocrate civil qui profite de ce contexte pour se faire élire à la présidence de la République islamique, à l’instar du conservateur modéré Ali Laridjani, ancien président du Parlement, voire du président par intérim Mohammad Mokhber. L’un et l’autre entretiennent d’excellents réseaux au sein du clergé comme au sein de la Légion des pasdarans. L’un et l’autre pourraient améliorer l’image de l’Iran sur la scène internationale.
Plusieurs acteurs moyen-orientaux pourraient être tentés de profiter de cette fenêtre d’opportunité pendant laquelle l’Iran va se concentrer sur sa scène intérieure. Le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou semble préparer son opinion à une intervention de grande ampleur au Sud-Liban pour réduire la menace du Hezbollah, autrement plus puissant que le Hamas, et faire diversion aux difficultés rencontrées à Gaza, mais aussi au mandat d’arrêt émis à son encontre par la Cour pénale internationale et aux injonctions d’arrêt des combats de la cour internationale de justice. Le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane fait monter de son côté les enchères avec Washington en laissant miroiter une normalisation a minima avec Israël en échange d’un programme nucléaire civil et de garanties formelles de sécurité endossées par le Congrès. Les présidents turc et azerbaïdjanais pourraient quant à eux trouver le moment propice pour pousser leurs pions au Sud-Caucase.
De son côté, la Russie a lancé une offensive majeure en Ukraine en direction de Kharkiv au moment même où Vladimir Poutine nommait un nouveau ministre de la Défense, Andreï Belooussov, spécialiste de l’industrie, indiquant ainsi l’importance de l’économie de guerre dans la stratégie russe qui se place clairement sur le long terme. Nul doute que le Kremlin cherche à obtenir un succès symbolique pour décourager les Européens avant les élections européennes et pour saper le soutien américain à l’Ukraine quelques mois avant l’élection présidentielle de novembre 2024. En parallèle, le Kremlin a multiplié les pressions pour que le parlement géorgien adopte une loi pro-russe qui stigmatise toute entité financée à plus de 20 % par des fonds étrangers, notamment les médias et les ONG. Cette loi visant à remettre en cause l’orientation pro-européenne de la Géorgie a suscité des manifestations monstres à Tbilissi. La présidente géorgienne pro-européenne Salomé Zourabichvili y a opposé son véto, aggravant ainsi la crise institutionnelle. La Géorgie vit en ce moment son Maïdan, loin des caméras européennes braquées sur l’Ukraine et Gaza, mais aussi sur Bruxelles puisque les pays de l’UE s’apprêtent à voter pour les élections européennes. La même indifférence internationale touche le Soudan (voir la carte du mois) qui s’enfonce pourtant dans une guerre civile qui est en train de provoquer « l’une des pires catastrophe humanitaire de mémoire récente » selon le bureau de l’ONU en charge des opérations humanitaire (OCHA).
Les Français et les Européens doivent prendre en compte le fait que nombre de nos partenaires hors d’Europe, tout particulièrement au sud, adhèrent à des agendas souverainistes et traditionnalistes qui ne coïncident plus du tout avec les nôtres. Plus que leur naïveté présumée, le désavantage structurel des Européens est qu’ils s’interdisent de considérer les concepts utilisés à leur encontre par leurs adversaires et leurs compétiteurs : le phénomène religieux (lire l’article sur ce sujet) , le nationalisme assumé (en savoir plus) et l’imposition d’un rapport de forces. Il ne s’agit pas de faire l’éloge de ces concepts, mais de constater que ceux-ci font mouche dans les opinions publiques qui nous tournent le dos les unes après les autres.
L’équipe de direction de la FMES