Edito du mois – Février 2024

Le mois de février a été dominé par la poursuite de la guerre entre Israël et le Hamas et par ses conséquences humanitaires, sécuritaires et géopolitiques. C’est le thème de notre article du mois qui décrypte la gestion et l’instrumentalisation des réfugiés de la bande de Gaza et c’était aussi celui de notre conférence mensuelle prononcée par Jean-Pierre Filiu, expert du dossier palestinien, que vous pouvez visionner en cliquant sur ce lien.

Renonçant aux effets d’annonce et conscient des enjeux de sécurité intérieure du conflit israélo-palestinien, le gouvernement français revient discrètement dans le jeu en offrant un cadre efficace de négociation entre Israéliens, Palestiniens, Américains, Qataris et Égyptiens. C’est une bonne nouvelle. Un accord de cessez-le-feu de quelques semaines envisageant la libération croisée d’otages israéliens et de prisonniers palestiniens semble sur le point d’aboutir, à condition que Benyamin Netanyahou ne le torpille pas in extremis, puisque sa stratégie consiste manifestement à faire durer les hostilités, si possible jusqu’à l’élection présidentielle américaine du 5 novembre prochain. Le Premier ministre israélien fait clairement campagne pour Donald Trump et espère que celui-ci lui lâchera la bride s’il venait à être élu. De son côté, le Hezbollah encaisse les frappes israéliennes dont l’intensité s’accroît, en répondant de façon ciblée sachant qu’il n’a aucun intérêt à se laisser entraîner dans une nouvelle guerre dont il sortirait affaibli. À l’approche du Ramadan, le Premier ministre israélien met également la pression sur les Palestiniens de Cisjordanie, multipliant les provocations, afin de les pousser à la révolte et ouvrir ainsi un nouveau front qui conforterait son maintien à la tête de l’État hébreu.

En attendant, les conséquences de ce conflit restent visibles en mer. Les Houthis, alliés du Hamas et de l’Iran, poursuivent leur stratégie de harcèlement à l’encontre du trafic maritime et ont neutralisé plusieurs câbles sous-marins à proximité du détroit de Bab el-Mandeb – une hypothèse régulièrement envisagée par la FMES – perturbant sérieusement les communications Internet dans plusieurs pays de la péninsule Arabique. Si les premiers concernés (Égypte, Arabie Saoudite notamment) sont pétrifiés à l’idée de s’afficher dans le mauvais camp, les occidentaux réagissent comme le prouvent les pays participants à l’opération américaine « Gardien de la prospérité» et le lancement de la mission d’escorte de l’Union Européenne « Aspides » à laquelle participent deux frégates françaises. Cette opération, purement défensive, permettra de protéger les bâtiments des compagnies maritimes européennes qui dominent le marché mondial du transport de containers (CMA-CGM, Maersk et MSC) qui ont intérêt à ce que ce corridor maritime stratégique soit sécurisé. Si ces deux missions permettent à certains Occidentaux d’affirmer leur détermination à défendre leurs intérêts, par la force si nécessaire pour les Américains et les Britanniques, elles présentent néanmoins des risques réels d’enlisement et d’attrition qui doivent être pris en compte. Les États-Unis, qui disposent de moyens considérables, ne semblent pas s’en effrayer et ripostent systématiquement aux attaques des Houthis.

L’Iran semble désireuse d’éviter l’escalade malgré les frappes américaines, en particulier celles que Washington a menées sur des forces affiliées à Téhéran positionnées à la frontière irako-syrienne en représailles de l’attaque sur des soldats américains en Jordanie. Inutile d’inquiéter la population iranienne, déjà sur les dents, qui votera dans quelques jours pour des élections générales dont les résultats préfigureront celui de l’élection présidentielle de l’année prochaine.

On note également un regain d’intérêt des médias pour la guerre en Ukraine, suscité par la commémoration du deuxième anniversaire de son déclenchement par la Russie, mais aussi par la visite du président Zelensky dans plusieurs pays européens pour y conclure des accords bilatéraux de défense. Ces derniers sont de nature à compenser partiellement l’éventuel retrait de l’aide américaine, si Donald Trump venait à être élu. Car s’il est facile de bloquer une alliance qui, comme l’OTAN, fonctionne par consensus, il est psychologiquement et politiquement plus délicat de renier un accord bilatéral. A cet égard, il convient de souligner l’importance de l’adhésion pleine et entière de la Suède à l’OTAN (la Hongrie du président Orbán venant tout juste de lever ses réserves) qui, après celle de la Finlande, offre à l’Alliance atlantique une réelle profondeur stratégique en Baltique. La Russie ne s’en servira-t-elle pas comme prétexte pour pousser ses pions plus fermement en direction de son enclave de Kaliningrad en déstabilisant les Etats baltes, une fois Vladimir Poutine réélu fin mars ? En attendant, celui-ci vient de faire assassiner Alexeï Navalny, son principal opposant emprisonné, de même qu’un pilote russe ayant fait défection, signifiant que ses adversaires, intérieurs comme extérieurs, sont tous condamnés.

Le président azerbaïdjanais Ilham Aliev, qui vient de se faire réélire dans une parodie d’élection, a probablement compris lui aussi l’efficacité d’une frappe ou d’une action visant à sidérer l’adversaire. L’Arménie pourrait en refaire bientôt les frais car les tensions ne faiblissent pas entre Bakou et Erevan.

Sur le continent africain, les décompositions et recompositions sont également à l’œuvre. La levée sans contreparties des sanctions de la CEDEAO contre le Niger – qui avaient été adoptées à la suite du coup d’état du 26 juillet 2023 – confirment la crainte des dirigeants ouest-africains de voir se déliter cette organisation sur laquelle repose l’architecture économique et politique de l’Afrique de l’Ouest en raison du retrait de celle-ci annoncé par le Mali, le Niger et le Burkina Faso au profit de la nouvelle Alliance des Etats du Sahel (AES). Ces trois pays, tout aussi débordés par les attaques djihadistes que l’ont été précédemment leurs partenaires français, européens, onusiens ou africains, confirment leur stratégie consistant à multiplier les alliances alternatives avec la Russie, la Turquie, l’Iran ou le Qatar, notamment. L’aggravation de la guerre dans l’Est de la RDC a contribué à faire éclater au grand jour la crise profonde entre Kinshasa et Kigali face à laquelle les Chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine, réunis en Sommet ce mois-ci ainsi que les mécanismes de l’APSA (Architecture Africaine de Paix et de Sécurité) se révèlent impuissants, tout comme face aux autres crises du continent. La résolution de la crise politique au Sénégal, où de solides contre-pouvoirs se mobilisent pour faire échec à la confiscation du processus électoral, constitue un défi majeur pour l’avenir de la démocratie, de l’état de droit et de la paix non seulement en Afrique de l’Ouest mais plus largement sur le continent. 

Bref, les recompositions à l’œuvre ne sont pas conjoncturelles et ne vont pas s’arrêter d’elles-mêmes. Il faut donc se préparer à de nouvelles ruptures stratégiques et s’armer intellectuellement, économiquement, militairement et socialement pour y faire face.

L’équipe de direction de l’institut

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