Edito du mois – « Ça craque de toute part ! »

C’est par ces termes que le général Fabien Mandon, chef d’état-major des armées, a qualifié la semaine dernière la situation internationale lors de son audition par la commission de la défense de l’Assemblée nationale. C’est en substance ce que nous ont dit, ensemble, les trois chefs d’états-majors de l’Armée de Terre, de la Marine et de l’Armée de l’Air et de l’Espace réunis pour la première fois sur une même table ronde académique lors de nos Rencontres Stratégiques de la Méditerranée qui se sont déroulées à Toulon les 8-9 octobre derniers (voir ici).  Une fois encore, cette édition a été un grand succès ; elle a réuni plus de 3 500 participants et 75 experts représentant 20 nations autour de 16 tables rondes dont vous pouvez revoir les retransmissions (voir ici) et dont pourrez bientôt télécharger les actes sur notre site.

Cette formule d’alerte illustre bien l’évolution de la scène internationale. On y trouve ceux qui considèrent les recompositions violentes à l’œuvre comme une opportunité leur permettant de pousser leurs pions au service de leurs intérêts géopolitiques, s’affranchissant par là même de normes internationales qu’ils contestent (les Etats-Unis ont désormais rallié ce groupe qui s’élargit). On y trouve également ceux qui tentent difficilement de défendre le droit (l’Europe et quelques partenaires), en ayant beaucoup de mal à admettre le retour des trois piliers sur lesquels s’appuient les nouveaux dominants : le nationalisme, le fait religieux et l’acceptation du recours à la force jusqu’à l’affrontement armé.

Ce mois d’octobre illustre bien cette tendance lourde qui favorise les dirigeants populistes ou autoritaires qui ne s’embarrassent pas des contre-pouvoirs. Certains le font plutôt discrètement comme Xi Jing-Ping qui a menacé d’imposer un contrôle total sur l’utilisation des terres rares exportées par la Chine, plaçant les industriels européens dans une position de soumission, tout particulièrement dans le domaine de la défense. Si les présidents américain et chinois semblent s’être entendus lors du sommet de l’APEC pour mettre en pause leur guerre commerciale, allégeant indirectement la pression sur l’Europe, la vulnérabilité de cette dernière à l’égard de Pékin est désormais flagrante. Au Japon, Sanae Takaichi, première femme chef de gouvernement, s’est faite élire sur un programme résolument nationaliste en rupture avec les 8 dernières décennies, qui envisage de modifier la constitution pour permettre l’engagement extérieur des forces armées au service des intérêts japonais. En Argentine, le président Javier Milei a déjoué les pronostics et a remporté les élections de mi-mandat sur un projet proche de celui de Donald Trump. Le président turc Recep Tayyip Erdogan poursuit son projet néo-ottoman en s’invitant dans les négociations sur Gaza pour contrer son compétiteur régional, Israël. De son côté, Vladimir Poutine continue son jeu « du chat et de la souris » avec Donald Trump tout en grignotant du territoire ukrainien et en intensifiant, à l’approche de l’hiver, les frappes sur les infrastructures énergétiques. Il en profite également pour tester la détermination des Etats européens et la cohésion de l’OTAN comme celle de l’UE, en multipliant les survols des espaces aériens ou les actions asymétriques plus sournoises. Les Européens, pétrifiés par la crainte de l’escalade, hésitent à être fermes.

Donald Trump, s’il n’a pas obtenu le Prix Nobel de la Paix attribué à une opposante vénézuélienne, paraît bien décidé à l’obtenir l’année prochaine, dans un tempo encore meilleur puisque l’attribution de ce prix prestigieux se déroulera quelques jours seulement avant les élections de mi-mandat. Il fait feu de tout bois pour optimiser ses chances. Il a réussi à tordre le bras du premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, des responsables du Hamas encore en vie et des chefs d’Etat égyptien, qatarien et turc pour imposer un cessez-le-feu à Gaza le 10 octobre. Celui-ci reste fragile, même s’il a permis le retour des otages israéliens en échange de la libération de prisonniers palestiniens, en attendant la mise en place d’une hypothétique force d’interposition internationale. Il n’est pas sûr que la présence de 200 soldats américains au centre de coordination de Kiryat Gat et l’envoi régulier de missi dominici de la Maison Blanche en Israël suffisent à maintenir la pression nécessaire pour le faire respecter. Comme l’illustre notre article du mois, les intérêts stratégiques d’Israël et des Etats-Unis divergent de plus en plus, sauf sur le dossier iranien (lire ici).

Le président américain a également proposé de régler le différend entre l’Algérie et le Maroc et endossé l’accord de paix entre la Thaïlande et le Cambodge qui se sont affrontés l’été dernier. Appliquant sa stratégie de « paix par la force », il a déployé un groupe aéronaval au large du Venezuela pour faire pression sur Caracas accusé de soutenir les filières de trafic de drogue inondant les Etats-Unis. Pour Washington, la menace sociétale est prioritaire et tous les coups sont désormais permis. L’Europe est concernée par l’explosion de la criminalité internationale, souvent instrumentalisée par de grands compétiteurs comme le démontre Antoine Vitkine dans son remarquable ouvrage Triades : la mafia chinoise à la conquête du monde qui vient d’obtenir le Prix géopolitique de la FMES.

Autre indication des orages qui s’annoncent, les Etats-Unis ont décrété la reprise des essais nucléaires– après un moratoire de 33 ans – à la suite de l’essai réussi du missile de croisière à propulsion nucléaire Bourevestnik (Oiseau de Tempête) par le Kremlin et l’annonce par Pékin de l’augmentation de son arsenal atomique. 

Dans cette série de tumultes, l’Afrique n’est pas épargnée. En témoignent l’expansion inquiétante des groupes djihadistes au Sahel, le coup d’état militaire à Madagascar et le regain de tensions entre l’Ethiopie et l’Erythrée, mais aussi entre le Rwanda et la République démocratique du Congo.

Face à ce maëlstrom, les Européens et les Français ont-ils compris qu’ils devaient réagir, se réarmer et changer d’état d’esprit pour survivre de manière indépendante ? Enlisés dans des débats politiques et budgétaires byzantins, il leur faudra arbitrer entre dépenses sociales et dépenses militaires et, dans le domaine militaire, entre moyens défensifs et vecteurs offensifs, car seuls ces derniers permettent au bout de compte de dissuader l’agresseur. Les Polonais, les Baltes, les Finlandais et les Suédois l’ont compris en 2022. Les Allemands semblent désormais leur emboiter le pas. Le discours de leur chancelier a changé et leurs dépenses militaires sont au rendez-vous.

Comme le dit le CEMA : ça craque de toute part.

L’équipe de direction de l’Institut

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