L’évènement marquant de ce mois de décembre aura été la chute de Bachar el-Assad en Syrie et la victoire des rebelles islamistes du Hayat Tahrir al-Cham (HTC) à l’issue d’une offensive éclair partie de la frontière turque. Cette chute paraît d’autant plus paradoxale que le régime syrien avait réussi à reprendre le dessus au fil des années et à isoler les rebelles dans la poche d’Idlib. Mais la crise économique qui a affaibli considérablement les marges de manœuvre du pouvoir qui s’est cantonné au rôle de narco-Etat, les coups portés par Israël au Hezbollah et à l’Iran qui soutenaient militairement le régime syrien, la priorité donnée par la Russie au front ukrainien, de même que l’excellente préparation des rebelles grâce au soutien de l’armée turque auront eu raison de la combativité et de la motivation de l’armée syrienne. Cette dernière s’est débandée sans parvenir à arrêter les rebelles associés dans leur assaut aux milices pro-turques réunies au sein de l’armée nationale syrienne (ANS).
C’est un revers majeur pour le Kremlin qui a dû lâcher Bachar el-Assad et prendre langue avec les rebelles pour négocier le maintien de ses deux bases militaires sur le littoral syrien. Au-delà de l’impact opérationnel d’une éventuelle perte des bases de Hmeimim et Tartous sur les opérations russes en Afrique (elles étaient des hubs logistiques pour alimenter Benghazi, Bamako, Ouagadougou et Bangui), le lâchage brutal de Bachar Al Assad par Vladimir Poutine est un signal qui doit questionner les dictateurs concernés : la Russie est-elle fiable ?
C’est surtout un échec cuisant pour l’Iran qui vient de perdre coup sur coup ses deux alliés historiques : le Hezbollah libanais très affaibli par les frappes israéliennes et désormais coupé de son axe logistique le reliant à Téhéran, et la Syrie baasiste sur laquelle le régime iranien avait massivement investi depuis 45 ans. Le grand bénéficiaire de cet aggiornamento régional est sans conteste le président turc R.T. Erdogan qui peut espérer étendre sa bande frontalière tampon au nord de la Syrie, éliminer toute résistance kurde dans cette zone et renvoyer de nombreux réfugiés syriens sur place, réduisant au passage l’influence de ses rivaux russe et iranien. Le premier ministre israélien se réjouit pour sa part de cette évolution qui présente l’avantage de casser l’axe iranien en direction d’Israël et de la Méditerranée, mais également l’inconvénient d’installer à ses portes un califat islamiste hostile a priori à Israël. C’est la raison pour laquelle l’armée israélienne a lancé une vaste offensive aérienne et navale qui lui a permis de détruire la quasi-totalité du potentiel offensif de l’ex-armée syrienne, afin de s’assurer qu’il ne tombe pas dans de mauvaises mains. Avec le démantèlement des système antiaérien russes, l’aviation israélienne peut désormais attaquer l’Iran encore plus facilement. A Téhéran, fragilisés militairement et politiquement, les dirigeants sont bien conscients de cette nouvelle donne et les débats sont vifs entre ceux qui prônent le maintien de « l’axe de la résistance » et ceux qui appellent à la fois à un changement de stratégie et à une négociation globale avec les Etats-Unis.
Les Européens se réjouissent quant à eux de la chute du régime dictatorial syrien mais s’interrogent également sur les conséquences de l’installation d’un califat se revendiquant d’un Islam radical, accédant à la Méditerranée (contrairement à Daech) et pouvant s’étendre sur la Jordanie, l’Irak et le Liban. A l’approche de la prise de fonction de Donald Trump le 20 janvier prochain, l’administration Biden moribonde et les Européens tentent de leur côté de pousser leurs pions en Europe orientale face à la Russie. En Ukraine, il s’agit de rassurer le président Zelensky en lui livrant des armes tout en l’encourageant à composer avec le Kremlin ; les occidentaux cherchent à s’assurer qu’il ait suffisamment de cartes en main pour négocier au moment où l’aviation russe accroît les frappes contre les infrastructures électriques ukrainiennes. En Moldavie, les services secrets ont démontré l’implication des services russes pour influencer le résultat du référendum sur l’adhésion à terme de ce pays à l’Union européenne (validé avec seulement 51 % des suffrages). En Roumanie, après avoir prouvé une ingérence massive du Kremlin dans le processus électoral, la Cour constitutionnelle a annulé le premier tour de l’élection présidentielle qui menaçait d’être remportée par le candidat prorusse Câlin Georgescu. En Géorgie, la présidente Salomé Zourabichvili (dont le mandat expire fin décembre) a dénoncé l’élection de l’ancien footballeur populiste pro-russe Mikheïl Kavelachvili par un parlement sous influence russe, comme nombre de Géorgiens qui manifestent quotidiennement dans la rue. Soutenue par des intellectuels et des hommes d’affaires européens, elle a annoncé qu’elle refuserait de céder sa place, laissant présager une grave crise institutionnelle.
En Afrique, le Sommet de la CEDEAO a reporté de 6 mois l’examen des conséquences du retrait inéluctable du Burkina Faso, du Mali et du Niger dont l’affirmation au sein de l’AES se structure de manière croissante. Face à l’activisme russe dans le champ de l’influence dans l’est du continent comme en Afrique et en attente d’une administration américaine qui ne la ménagera pas, l’Europe doit se préparer à une dégradation pour l’année 2025.
En attendant et malgré ce contexte très incertain sur la scène internationale comme sur la scène intérieure française, toute l’équipe de la FMES vous souhaite de bonnes fêtes de fin d’année.
L’équipe de direction de l’Institut