Ce mois d’avril aura illustré l’étendue, mais aussi les limites de l’exercice du pouvoir par Donald Trump dont le style consiste à bousculer vite et fort, quitte à rétropédaler si nécessaire. Tout d’abord par la guerre des tarifs douaniers qu’il a initiée malgré les réticences de nombreux experts américains, en ciblant non seulement la Chine, mais aussi la plupart de ses alliés et partenaires. Le président américain a finalement annoncé un moratoire de trois mois, sauf pour la Chine qui a contre-attaqué en bloquant les exportations de terres rares. Menacé, Elon Musk a annoncé sa mise en retrait du gouvernement américain d’ici la fin du printemps. Donald Trump semble également hésiter sur la posture à adopter vis-à-vis de la guerre en Ukraine, constatant que les deux parties ne sont pas prêtes à concéder une capitulation pour l’un, une victoire tronquée pour l’autre. Il est certain que Vladimir Poutine se sent aujourd’hui dans une posture particulièrement favorable sur le plan stratégique, militaire et même économique. De même, Donald Trump laisse Benyamin Netanyahou intensifier les frappes israéliennes à Gaza, au Liban et en Syrie, mais il exerce de fortes pressions sur lui pour l’empêcher de saboter le processus de négociation qu’il vient de lancer avec Téhéran, espérant trouver une issue diplomatique à la crise nucléaire iranienne qui ouvrirait des opportunités commerciales importantes. Les Etats-Unis n’en ont pas moins envoyé des renforts dans la région et accru leurs frappes aériennes contre les Houthis au Yémen, pour faire pression sur le régime iranien en lui montrant ce qui pourrait survenir en cas de blocage. Les Iraniens semblent avoir compris le message puisqu’ils ont ordonné le rapatriement de leurs « conseillers » du Yémen, de même que le retrait des navires iraniens présents dans le golfe d’Aden et le détroit de Bab el-Mandeb. La séquence d’incidents graves qu’a subi l’Iran en quelques jours (explosion du terminal container du port iranien de Bandar Abbas, attaque cybernétique majeure et incendie dans une usine d’armement à Ispahan), peut interroger sur une tentative israélienne de sabotage de négociation. Cette hypothèse reste cependant peu probable compte-tenu de l’importance accordée par Donald Trump à ce dossier et à la vulnérabilité de Benjamin Netanyahou à l’égard d’une colère de l’imprévisible hôte de la Maison Blanche. En attendant, les dés roulent et chacun attend le résultat de cette négociation que les Américains ont intérêt à accélérer et les Iraniens à faire durer.

Les élections au Canada illustrent également les limites de la « méthode Trump ». La Maison Blanche avait multiplié les provocations à l’encontre des autorités canadiennes, annonçant des hausses de tarif douanier et leur volonté d’annexer le pays. La population a, en réaction, massivement voté en faveur du candidat libéral (Mark Carney) qui a fait campagne pour préserver la souveraineté du Canada quel qu’en soit le coût diplomatique et économique.

Au sein de l’Union européenne, c’est plutôt le désarroi et la division qui dominent. Les Européens sont partagés sur la posture à adopter à l’égard de Washington, entre ceux qui jouent l’apaisement en attendant les prochaines élections de mid-terms, ceux qui s’alignent et passent des commandes de chasseurs F-35, et ceux qui privilégient le renforcement de l’autonomie stratégique. Les Etats européens sont contraints par les évènements de choisir leur stratégie individuelle et collective dans ce nouvel environnement.  Leur diversité en termes de géographie, de culture et d’intérêts va probablement créer des dissensions. Beaucoup préfèreront se placer sous l’égide d’une grande puissance (Etats-Unis ou à défaut Russie ou Chine) ou rester un acteur mineur « sous l’horizon radar » des rivalités globales. L’alignement ou le neutralisme seront probablement les politiques promues par nombre d’Etats européens. Le concept de « souveraineté européenne » promu par la France est culturellement connoté et ne fera pas l’unanimité. Chacun devra prendre ses responsabilités. 

Outre qu’ils ont souligné l’importance de la diplomatie vaticane, les obsèques du pape François et les interrogations sur la personnalité de son successeur questionnent les Européens sur leur poids (un pape italien sera-t-il élu ?), sur l’impact de la géopolitique et des valeurs (quelle sera l’influence des Etats-Unis, des évangéliques ou du monde musulman ?), mais aussi sur la force montante des pays du Sud (le prochain pape sera-t-il africain ou asiatique ?). 

Certains acteurs profitent de ce tumulte pour pousser leur avantage. La Turquie engrange les succès sur la scène régionale, notamment en Syrie, en Libye et dans le Caucase, ce qui n’empêche paradoxalement pas son président R.T. Erdogan d’être fragilisé sur la scène intérieure par des manifestations qui ne faiblissent pas. Le régime tunisien vient de condamner massivement les dirigeants d’opposition, sachant ne rien craindre de l’opprobre internationale. L’Algérie espère faire craquer la France en établissant un rapport de force avec Paris qui se concentre sur le ministre français de l’Intérieur, dont les mesures ont révélé la fragilité et la nervosité du système algérien. L’Inde et le Pakistan sont de nouveau au bord de l’affrontement pour le contrôle du Cachemire.

Sur le continent africain, la dégradation de la situation au Soudan du Sud (reprise de l’affrontement entre le Président Salva Kir et le vice-Président Riek Machar sur fond de tensions intercommunautaires) menace la région d’un nouvel embrasement qui s’ajouterait à la guerre au Soudan, aux risques de reprise du conflit en Ethiopie et aux graves tensions inter-étatiques autour du Somaliland. 

Tous ces bouleversements démontrent que le système international est en train de se réorganiser autour de ceux qui dévoilent leurs ambitions et poussent sans hésitation leurs pions, quitte à aller à la confrontation. La multipolarité du monde rend caduc l’organisation du multilatéralisme héritée du siècle dernier sans successeur clair à ce stade.   S’il est difficile de prédire l’état final de ces transformations, une chose paraît sûre : il n’y aura pas de retour en arrière possible.

L’équipe de direction de l’Institut

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