« Fermeté, décision, simplicité et réflexion sont proches de la vertu suprême » Confucius
C’est sous l’angle de la préparation à la prise de décision au niveau de l’Etat en matière de politique étrangère et de relations internationales que les auditrices et les auditeurs de la 35ème session méditerranéenne des hautes études stratégiques/Cadres-dirigeants (35ème SMHES/ Cadres-dirigeants) ont conduit leur second séminaire à Paris du 14 au 16 Novembre 2024. Arrivant assez tôt dans la formation, cette étape parisienne est toujours un rendez-vous majeur dans le parcours des auditrices et des auditeurs de nos sessions méditerranéennes. En effet ce séminaire vise à leur présenter les principaux organismes et directions de l’appareil d’Etat français qui participent aux fonctions stratégiques « connaissance et anticipation » et « prévention ». Après Istres et Cadarache où, le mois dernier, les auditrices et les auditeurs de la 35ème SMHES/Cadres-dirigeants ont abordé quelques aspects fondamentaux et structurants de la puissance d’un Etat : sa capacité à innover, à maîtriser ses ressources et son approvisionnement énergétique, les efforts qu’il fait pour préparer son avenir technologique et industriel, les outils de puissance et d’influence qu’il se forge ; il était donc opportun de poursuivre l’étude des facteurs de puissance de l’Etat en explorant quelques-unes de ses institutions clef dans les domaines cardinaux que sont les relations diplomatiques et internationales et le renseignement. Ce séjour parisien prépare aussi le séminaire qui sera organisé à Bruxelles au mois de Mars 2025 et qui donnera à la session une vision complémentaire, élargie et approfondie de l’ensemble des centres de décisions impliqués dans la mise en œuvre de notre défense et de notre sécurité à l’échelle de l’Union Européenne et de l’OTAN. Alors que pour la France, la situation internationale présente une configuration particulièrement alarmante et sans équivalent depuis la fin de la Seconde guerre mondiale , venir ainsi à la rencontre de tels acteurs qui, au quotidien, proposent des options au pouvoir exécutif pour répondre aux multiples exigences d’un monde en pleine reconfiguration avait donc beaucoup de sens pour une session dont le thème d’étude est : « la mer rouge au carrefour des recompositions géopolitiques et géostratégiques globales ». Enfin ce séjour a été l’occasion pour la 35ème SMHES/Cadres-dirigeants d’avoir un premier contact prolongé avec la marraine de la session : Madame Emmanuelle d’Achon. Ancienne ambassadrice de France en Tanzanie et en Irlande, Madame d’Achon a accompagné la session pendant deux jours et elle a pu faire bénéficier les auditrices et les auditeurs de sa longue et riche expérience de diplomate.
A l’instar de la session précédente, les auditrices et les auditeurs de la 35 ont de nouveau eu l’honneur d’être les hôtes du prestigieux Yacht Club de France (YCF) avec lequel la FMES a signé une convention de partenariat. Idéalement situé dans le quartier de l’Arc de Triomphe, le Yacht Club de France est un écrin qui offre des conditions incomparables pour y tenir un séminaire. Son confort et son raffinement se conjuguent avec une discrétion et une accessibilité permettant à tous les intervenants de venir aisément à la rencontre de la session. C’est dans ce lieu privilégié que les auditrices et auditeurs ont donc entamé ce séjour parisien par une première journée dense et studieuse. Trois organismes se sont succédés au pupitre du salon d’apparat du YCF : le secrétariat général pour la défense et la sécurité nationale (SGDSN), la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère des armées et enfin la direction du renseignement militaire (DRM).
Se tenant à dessein éloigné du devant de la scène, le SGDSN est un rouage essentiel du fonctionnement de l’Exécutif. Placé sous l’autorité du Premier Ministre, il a une mission centrale de coordination et de synthèse entre les ministères et elle s’exprime tout particulièrement par les Conseils de défense que le SGDSN prépare, conduit et dont il suit la mise en œuvre des décisions. Particulièrement utiles pour décider vite et bien en situation de crise et d’urgence tout en assurant le secret le plus absolu des débats, les conseils de défense sont de plus en plus fréquemment utilisés par l’Exécutif. Plus particulièrement tourné vers les questions de défense et de sécurité, le SGDSN est donc un organe singulièrement important pour coordonner la réponse du gouvernement face aux crises et aux chocs internationaux comme ceux de la guerre en Ukraine, des turbulences en Afrique ou des conflits au Proche et Moyen-Orient.
S’agissant ensuite du ministère des armées, les auditrices et les auditeurs ont pu tout d’abord entendre un représentant de la DGRIS. Figurant avec le Secrétariat Général pour l’Administration (SGA), la Délégation Générale de l’Armement (DGA) et l’EMA parmi les quatre subordonnés directs du ministre des armées, la DGRIS est l’instance de pilotage du ministère des armées en matière de stratégie et de relations internationales. C’est à cette direction qu’échoit, en coordination étroite avec le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, la gestion des relations de la France avec ses partenaires en matière de défense que ce soit dans un processus bilatéral ou dans le cadre d’alliances, comme l’OTAN, auxquelles la France est partie. Le représentant de la DGRIS a dressé un tableau complet des missions de sa direction notamment en matière de stratégie et de prospective tout en faisant un focus sur la mer Rouge et son espace environnant. Il a ainsi éclairé la session sur cette zone qui constitue son thème d’étude
A l’issue d’un déjeuner rapide mais raffiné, ce fut ensuite le tour de la direction du renseignement militaire (DRM) de s’adresser à la session. Son représentant a présenté aux auditeurs la communauté française du renseignement avec ses différentes composantes et la manière dont elles opèrent et se coordonnent afin d’assurer à l’Etat français l’autonomie d’appréciation indispensable pour un pays souverain qui entend aussi être une puissance d’équilibres. L’état des menaces et des risques et les enjeux liés aux recompositions géopolitiques et géostratégiques ont également été largement évoqués pendant la séquence de questions-réponses qui a suivi l’exposé.
La journée s’est ensuite poursuivie hors les murs du Yacht Club de France car la session a en effet eu la très grande chance de pouvoir aller à la rencontre de l’ambassadeur d’un Etat clef du Proche et Moyen-Orient. Au cours de la conférence et des débats qui l’ont suivie, ce diplomate très expérimenté et de haut rang a exposé avec beaucoup de franchise et de clarté son appréciation de la menace et des risques dans la région et il a dressé les perspectives d’évolution des conflits qui la déchirent. Cette rencontre a aussi été l’occasion pour les auditrices et les auditeurs de recevoir un cours de géopolitique de très haut niveau, donné dans un français parfait par un diplomate d’exception, habité par sa mission et dominant son sujet. Au terme de ce dernier épisode flamboyant d’une journée particulièrement intense, les auditrices et les auditeurs ont pu se détendre et profiter d’un moment de convivialité puisqu’ils étaient toutes et tous conviés à la soirée offerte à ses amis par la FMES sur la péniche « Louisiane Belle » amarrée en bord de Seine, quai de la Rapée. Cette soirée devenue traditionnelle est le moment où le Président de la FMES, son Directeur Général et son Directeur académique dressent le bilan de l’année écoulée et évoquent les perspectives de la suivante. Cette soirée est aussi celle au cours de laquelle la FMES décerne son prix géopolitique. Grâce au succès de l’édition 2023 de ce prix qui avait couronné deux auteurs arrivés ex aequo, le prix géopolitique de la FMES a attiré en 2024 beaucoup d’auteurs de très grande qualité et désireux de concourir. Le jury a dû travailler d’arrache-pied pendant toute la période estivale pour déterminer qui était le meilleur parmi tous ces candidats de haute valeur voire prestigieux pour quelques-uns d’entre eux. Devant un parterre regroupant de nombreuses et très hautes autorités civiles et militaires, des membres et des représentants d’institutions partenaires de la FMES dans le domaine de la géopolitique et de la géostratégie ainsi que des journalistes, des éditeurs et des chercheurs investis sur ces sujets, le prix 2024 a été décerné à Monsieur Fabrice Balanche pour son livre « Les leçons de la crise syrienne » paru aux éditions Odile Jacob. C’est un excellent ouvrage, complet, bien écrit, remarquablement illustré et qui reflète une expérience profonde et intime du terrain. L’auteur y a passé de nombreuses années et y a souvent pris des risques importants. Il ne s’en vante pas mais on le discerne clairement au fil des pages. C’est enfin un réquisitoire cinglant contre les erreurs commises au début de la crise syrienne s’agissant de ses origines, de son développement et de ses possibles dénouements. Ce livre est donc incontournable pour qui s’intéresse à ce pays et plus largement à cette région.
Au lendemain de cette belle soirée il s’est agi pour les auditrices et les auditeurs de la 35ème SMHES/Cadres-dirigeants de retrouver pendant une matinée les bancs de l’école et plus précisément ceux de l’IHEDN dans le bel écrin de l’Ecole Militaire. Un exercice d’application organisé par la Direction de l’Enseignement et de la Recherche de l’IHEDN a fait entrer les auditrices et les auditeurs dans la méthode qui doit guider leurs travaux sur le thème retenu pour cette année. Cette matinée passée à l’IHEDN a été particulièrement utile pour leur apprendre à jongler avec les paramètres et les variables qui structurent la démarche d’élaboration de scenarii prospectifs. La session a aussi pu constater à quel point le partenariat académique avec l’IHEDN est réel et performant même si, à partir d’une méthode commune, les objectifs poursuivis par nos sessions respectives diffèrent. Alors que la session nationale/politique de défense de l’IHEDN cherche à envisager des stratégies françaises sur des problématiques qui touchent directement notre pays, l’approche des SMHES est plus large et davantage axée sur la prospective géopolitique. Concrètement et à partir d’une méthode partagée par les deux instituts, cette différence se manifeste par le fait que pour l’IHEDN les scenarii prospectifs ne sont qu’une étape intermédiaire permettant de développer ensuite stratégies et recommandations destinées à des autorités françaises. Pour les SMHES, ces scenarii beaucoup plus développés sont l’objectif principal destiné à mettre en lumière et à documenter précisément et de manière prospective les dynamiques géopolitiques à l’œuvre à l’échelle de toute une région du monde.
A l’issue d’un déjeuner pris dans le cadre prestigieux de la rotonde Gabriel, la session s’est ensuite dirigée vers le Quai d’Orsay et le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE). Accueillis dans les superbes salons d’apparat de l’hôtel du ministre et conscients d’avoir la chance de pénétrer dans des lieux où se sont écrites de grandes pages de l’histoire de France, les auditrices et les auditeurs ont été reçus par trois diplomates appartenant au centre d’analyse de prévision et de stratégie (CAPS). Au cours d’un premier exposé, l’organisation et les missions de ce centre ont été expliquées et tout particulièrement son rôle volontairement disruptif et décalé par rapport au travail et aux positions des directions thématiques ou géographiques du ministère. Le second exposé, plus ciblé à la demande des auditrices et des auditeurs, a détaillé les problématiques liées à la mer Rouge et aux tensions qui s’y nouent. La séquence de questions-réponses qui a suivi a permis à l’auditoire de décrypter le jeu des grands acteurs régionaux de la région et l’orientation que peuvent prendre les crises et les conflits qui la déchirent. Au passage, cette seconde phase de la visite au Quai d’Orsay pour y entendre des diplomates français très expérimentés a fait écho à la mémorable rencontre de la veille avec l’ambassadeur de l’un des pays riverains de la mer rouge. En définitive cette après-midi passée au quai d’Orsay a ouvert les yeux des auditrices et des auditeurs sur la mission cardinale du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Il porte la voix et la vision de la France hors de ses frontières tout en tenant le gouvernement informé de l’état et de l’évolution du monde. Vaste et exigeante mission qui oblige celles et ceux qui l’incarnent à un travail de veille incessante face à l’imprévu et à l’inattendu. « Connaissance et anticipation » s’obtiennent à ce prix et doivent beaucoup à notre réseau diplomatique tout comme à la qualité et à l’abnégation de ses agents.
Le lendemain matin, l’écrin prestigieux du Yacht Club de France a accueilli une dernière fois la 35ème SMHES/Cadres-dirigeants qui a clos son séminaire parisien par une ultime conférence sur la guerre que mène Israël contre le Hamas et le Hezbollah. Prononcé par un ancien attaché de défense français à Tel Aviv, cette conférence visait à donner aux auditeurs une connaissance et une compréhension approfondies du déroulement de cette guerre, la plus longue qu’Israël ait jamais connue, de ses enjeux stratégiques, opératifs et tactiques et de la façon dont ils ont pu varier au fil des différentes phases des combats. Son impact sur la région du thème étudié par la session justifiait d’essayer de mieux comprendre cette guerre que les Israéliens qualifient d’existentielle. Cette qualification se traduit par un effort colossal de la nation israélienne pour tenter de la gagner et partant pour retrouver un degré de sécurité acceptable.
C’est ainsi que s’est terminé ce second séminaire de la 35ème SMHES/Cadres-dirigeants. Organisé autour des fonctions stratégiques « connaissance et anticipation » et « prévention » il a donné aux auditeurs l’occasion de mieux comprendre pourquoi « connaissance et anticipation » est toujours la première citée dans l’énoncé des fonctions stratégiques qui structurent la défense et la sécurité de la France. Sans cette fonction, aucune autonomie d’appréciation et de décision n’est en effet possible. Hélas trois journées, aussi denses soient-elles, restent insuffisantes pour faire le tour d’une tel sujet mais fort heureusement, entre les séminaires, nos auditrices et auditeurs poursuivent leurs travaux et leurs recherches. Ils sont pour cela guidés et accompagnés par une solide équipe pédagogique composée de cadres de le FMES et de deux professeurs-chercheurs de l’Université de Toulon avec laquelle la FMES a un partenariat étroit. Les facettes de ce dernier sont multiples mais, pour les SMHES, ce partenariat se matérialise par l’attribution d’un diplôme universitaire en fin de session. Reconnaissance concrète de la qualité de la formation, ce diplôme s’articule en trois modules d’enseignement de 40 heures chacun et il s’appuie sur la notation d’une dizaine de travaux et d’examens écrits et oraux, individuels et collectifs. L’ensemble représente une somme de travail conséquente et demande beaucoup d’investissement aux auditeurs qui, en retour, en retirent une vraie expertise sur le thème étudié et plus généralement en matière de raisonnement géopolitique et géostratégique. De fait, les séminaires pléniers n’apportent pas tout ; ils servent davantage à aider les auditrices et les auditeurs à se poser les bonnes questions et à les orienter vers les bonnes pistes qu’à leur donner des réponses exhaustives. Le prochain séminaire restera dans cette veine et conduira les pas de la session à Toulon début décembre. Concrètement, il offrira à la session l’occasion d’approfondir le sujet des outils de puissance de l’Etat en découvrant la Marine Nationale et l’importance du fait maritime pour la géopolitique et la géostratégie de la France.