Le Grand Atlas 2022, dont la première édition remonte à 2014, projette une vision actualisée du monde à travers le prisme de thématiques diverses et d’enjeux notables. Cet ouvrage, dont la longévité rend compte de son succès, est une fois de plus réalisé sous la direction de Frank Tétart. Docteur en géopolitique, il a notamment enseigné comme maître de conférences à Sciences Po Paris, co-écrit l’émission Le Dessous des cartes et publié de nombreux ouvrages traitant de géopolitique. Son analyse est complétée par de très nombreux contributeurs et illustrée grâce au travail remarquable de la géographe-cartographe Cécile Marin qui a réalisé de nombreux atlas pour les éditions Autrement.
Décryptant les évènements majeurs de 2021, cet atlas n’a pas vocation à revenir sur les évolutions géopolitiques, économiques et sociales de chaque région du monde ; il préfère isoler des évènements significatifs de l’actualité en développant leur contexte historique et en étudiant les tendances qu’ils dessinent sur la scène internationale. A titre d’exemple, l’élection d’un nouveau président de la République en Iran permet de revenir sur la gouvernance politique du pays et ses ambitions géostratégiques au niveau régional comme au niveau international. La richesse de cette atlas réside donc dans les cartes que nous découvrons pour chaque enjeu ainsi que dans un texte précis, le tout fournissant une vision détaillée et analytique.
Les thèmes articulant cet atlas englobent un spectre de sujets extrêmement variés, largement orientés vers l’avenir. La première partie étudie les « grands enjeux de 2022 » qui laisse place aux « tensions, crises et conflits » comme la guerre civile au Yémen, puis aux « défis de la mondialisation » à l’image de l’insécurité alimentaire, particulièrement intéressante. Cet atlas met également un point d’honneur à multiplier les perspectives d’études en accordant une partie entière dédiée à un « retour sur l’histoire », qui contraste avec l’actualité récente. En complément des deux axes temporels, une autre partie est consacrée à la prospective – « et demain ? » – et s’attache à mettre en valeur les prochains enjeux qui provoqueront des bouleversements importants, tels que les enjeux climatiques et démographiques. Enfin, le Grand Atlas 2022 comporte un approfondissement sur la problématique des libertés individuelles à la lumière de la pandémie de Covid-19, mais aussi sur la numérisation de nos sociétés.
Par ailleurs, l’inclusion d’articles provenant de la rédaction de Courrier International et de FranceInfo permet l’étude d’un plus large éventail de phénomènes tels que le « dégagisme » et la relocalisation, qui complètent les grands thèmes présentés ci-dessus.
En somme, le Grand Atlas 2022 est indispensable pour approfondir nos connaissances du monde d’aujourd’hui, grâce à une richesse d’informations et de perspectives qui fait sa réputation. La pertinence de ses choix d’études le distingue des autres atlas grand public et m’encourage fortement à vous le conseiller.
M.G
Le Centre d’études stratégiques aérospatiales affirme une très belle ambition en publiant le numéro 1 de VORTEX. Il s’agit bien d’un tourbillon, au sens propre du terme, mais cette fois-ci de celui de la réflexion stratégique de l’armée de l’air et de l’espace. Cette ambition ne se limite donc pas seulement à des considérations techniques ou technologiques souvent reprochées aux aviateurs français dont on attend qu’ils s’expriment davantage sur des considérations plus géopolitiques. Nous y sommes presque ; une approche plutôt étayée sur les atouts de l’arme aérienne dans ses dimensions politiques, diplomatiques, stratégiques et tactiques même si les considérations géopolitiques proprement dites dans un monde où l’expression de la puissance qu’elle soit de portée mondiale ou régionale gagnerait à y être développée. Evidemment, les fondamentaux de la puissance aérienne sont bien rappelés et la typologie des opérations bien décrite avec un accent particulier sur les opérations multi-domaines qui semblent désormais s’imposer dans les doctrines les plus avancées sur l’emploi de l’arme aérienne. Ce sont évidemment les Américains qui sont une fois de plus aux avant-postes avec une combinaison de moyens qui nécessite l’élaboration de nouveaux concepts d’emploi. En sont à l’origine les systèmes autonomes et la recrudescence de systèmes qui rendent les champs de bataille moins permissifs (Anti-Access Area Denial ou A2AD). Mais ne nous y trompons pas, ces opérations multi-domaines ne font que prolonger un concept ancien, celui de Network Centric Warfare (NCW) que tous les spécialistes du fait aérien décrivaient comme l’élément de rupture du fait aérien dans les années 2000.
Un volet particulier est aussi consacré à l’espace. Un sujet stratégique où la différentiation des milieux est clairement posée. Ce sont par nature des milieux différents, ne serait-ce que par le phénomène de gravité, un milieu, s’agissant de l’espace, dont l’importance stratégique apparaît comme une évidence avec une industrialisation accélérée car l’espace est le champ privilégié du transit des données numériques, de la surveillance et de la reconnaissance. Plus que la militarisation de l’espace, c’est son « arsenalisation » qui est mise en avant au regard du caractère multiplicateur de forces qu’il peut apporter aux systèmes qui y sont placés en orbite. Nonobstant cette subtile approche de son instrumentalisation militaire, l’espace reste un domaine où le droit international est quasi inexistant. En tout état de cause, la nécessité d’une stratégie aérospatiale s’impose et la date de neutralisation d’un satellite par la Chine le 11 janvier 2007 en témoigne.
VORTEX consacre également un volet aux retours d’expérience des opérations dans le Haut-Karabagh. Il nous est d’ailleurs rappelé de ne pas céder à la tentation d’exagération des palmarès pour signaler une rupture dans un conflit que l’on qualifierait hâtivement de précurseur aux nouveaux engagements modernes. Il est vrai que l’emploi des drones s’est particulièrement illustré, notamment celui des drones suicides face à une défense sol-air arménienne obsolète. Mais dans les faits, il faudra surtout retenir que l’acquisition de la supériorité aérienne et que l’emploi de l’arme aérienne en appui tactique ont fait la différence entre l’Azerbaïdjan et les forces arméniennes dont la modernisation est à peine entamée.
VORTEX s’intéresse enfin à l’éthique de la guerre aérienne. C’est devenu un véritable sujet d’actualité avec l’autonomisation des systèmes d’armes létaux et le renoncement français aux systèmes complètement autonomes (SALA). Ce sujet est évidemment sensible et, quoi qu’il en soit, si la guerre est horrible par nature, il est évident qu’elle le serait encore davantage sans éthique… affaire à suivre…
Pour conclure, sans détailler les autres sujets de cette édition très riche, VORTEX vous donne quelques conseils de lecture et nous y retrouvons notamment le livre relatif aux fondamentaux de la puissance aérienne de Philippe Steininger dont l’institut FMES a communiqué récemment une recension à parcourir sur notre site. Ce numéro 1 de VORTEX en appelle évidemment beaucoup d’autres et nous nous réjouissons de ce très bel envol…
Le Maghreb et la crise entre les monarchies du Golfe analyse les conséquences politiques de la crise profonde qui a éclaté en juin 2017 au sein du Conseil de Coopération du Golfe (CCG). Il tente de répondre à la question suivante : dans un contexte d’instabilité marqué par l’opposition entre l’axe saoudien-émirien et le Qatar, comment les pays du Maghreb se sont-ils positionnés ?
Ce livre, fruit d’une collaboration entre de nombreux chercheurs spécialistes du monde arabe, a été dirigé par Abdennour Benantar, maître de conférences à l’Université Paris 8 et auteur de nombreux ouvrages sur les relations inter-magrébines et inter-arabes. Sa thèse est la suivante : l’Algérie, le Maroc et la Tunisie ont adopté une attitude neutre et pragmatique vis-à-vis de la crise du CCG afin de protéger leurs intérêts politiques et économiques. A l’inverse, selon les auteurs, le CCG a voulu s’appuyer sur l’instabilité causée par les « printemps arabes » et l’absence des acteurs traditionnels que sont l’Egypte et la Syrie afin de s’immiscer dans les affaires régionales du Maghreb pour y étendre leur influence.
Dans un premier temps, cet important travail de recherche analyse les raisons de la crise du CCG et son exportation au Maghreb, nouveau théâtre de leurs rivalités. Selon ses auteurs, cette désunion s’explique par la contestation par le Qatar du leadership saoudien. Les « printemps arabes » auraient joué un rôle important dans cette crise : tandis que le Qatar s’est efforcé de soutenir les partis régionaux proches des Frères musulmans, l’axe saoudien-émirien visait à sécuriser les régimes en place. Cette divergence idéologique et politique se serait traduite par une ingérence militaire et politique des monarchies du Golfe dans les affaires maghrébines, que cela soit directement (Libye, soutien au putsch en Egypte) ou indirectement (Lybie post-Kadhafi, tentative de déstabilisation en Tunisie).
Avant de consacrer un chapitre par pays, les auteurs soutiennent que les faibles investissements économiques du CCG ainsi que la différence de courants sunnites, en particulier le malékisme et le wahhabisme, limitent l’influence des monarchies du Golfe dans la région : il n’y aurait donc que très peu de porosité idéologique entre ces deux espaces géographiques. A propos de la conséquence de la crise du CCG, mis à part la Mauritanie qui a choisi de soutenir l’axe saoudien-émirien et la Libye déstabilisée par une guerre civile, le reste du Maghreb aurait adopté une « neutralité positive », malgré une proximité avec le Qatar vis-à-vis de la Libye et des Frères musulmans. Les auteurs considèrent que cette neutralité a permis de limiter les risques en sécurisant le soutien du CCG dans le dossier du Sahara occidental pour le Maroc et en préservant la transition politique tunisienne des polarisations interarabes.
In fine, cet ouvrage académique permet l’approfondissement d’un sujet nécessaire à la compréhension de la géopolitique régionale et aux possibles évolutions de la recomposition du monde arabe. Il est d’autant plus utile que la crise au sein du CCG a été perçu comme une « drôle de guerre » dont les ressorts ont mal été compris. A rajouter dans sa liste de lecture !
M.G