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Revue Diplomatie, n°123 « BRICS, vers un nouvel ordre mondial ? » (septembre-octobre 2023), 9,80€
Le numéro 123 de Diplomatie (septembre-octobre 2023) dirigé par Alexis Bautzmann consacre une analyse renouvelée de l’organisation des BRICS sur la scène internationale et s’attèle, dans un dossier spécial, à décrypter les perspectives internes et internationales de la politique d’Erdogan, réélu à la tête de la Turquie en mai dernier.
Le 15ème sommet des BRICS qui s’est tenu du 22 au 24 août dernier en Afrique du Sud s’est achevé sur l’élargissement de l’organisation à six nouveaux membres : l’Iran, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, l’Egypte, l’Argentine et l’Ethiopie ont été choisis parmi une dizaine de pays candidats et intègreront les BRICS+ au 1er janvier 2024. Cet élargissement confère à l’organisation une place de poids sur la scène internationale, dont les volontés communes se conjuguent aux tensions et défis internes. Julien Vercueil souligne notamment l’hétérogénéité des économies et l’éloignement géographique des BRICS, qui couvre les continents américain, européen, asiatique et africain. Si ce regroupement d’Etats est né d’une volonté commune de constituer une alternative à l’hégémonie occidentale, il révèle, au sein des BRICS, trois types d’économies aux intérêts distincts. La Chine, devenue une « économie-monde » au sens de Fernand Braudel, se démarque des économies primarisées de la Russie, du Brésil, de l’Afrique du Sud et de leurs rôles de puissances économiques régionales. Quant à l’Inde, qui connait un fort taux de croissance économique (+7,2%), elle n’a pas connu le même essor industriel et son économie reste majoritairement rurale.
Jean-Pierre Alleget s’interroge quant à lui sur les différentes perspectives de dédollarisation. Cette volonté de réformer le système de Bretton Woods, déjà affichée lors du premier sommet de l’organisation en 2009, a été vivement réaffirmée, notamment par le Brésil en faveur de la création d’une monnaie commune de réserve. L’exemple de l’accès au réseau SWIFT (Society for worldwide interbank financial telecommunication), dont le refus est considéré comme une forme « d’arme nucléaire financière », illustre le rôle d’instrument politique que constitue la monnaie lorsqu’elle est internationalisée. Par ailleurs, la Chine encourage depuis quelques années l’utilisation du renminbi (RMB) dans ses échanges bilatéraux et a créé en 2015 un système de paiement interbancaire transfrontalier CIPS (Chine International Payements System), qui pourrait être un instrument alternatif au réseau SWIFT. Les enjeux sont également stratégiques au regard du poids des BRICS sur le marché mondial du pétrole, notamment avec l’intégration à venir de pays du Moyen-Orient, riches en matières premières. Enfin, c’est le facteur démographique qui s’en trouve bouleversé, avec l’intégration de l’Egypte (109 millions d’habitants), de l’Ethiopie (105 millions d’habitants) et de l’Iran (87,6 millions d’habitants).
Néanmoins, l’élargissement de l’alliance à six nouveaux pays (BRICS+) peut limiter le potentiel d’intégration économique, le groupe étant déjà confronté à l’hétérogénéité de ses membres. Christophe-Alexandre Paillard se penche ainsi sur les inégalités sociales, l’insécurité et la criminalité au Brésil et leur potentiel impact sur l’organisation. Si l’arrivée au pouvoir de Lula en janvier 2023 n’a pas permis d’éclaircir l’orientation donnée à la politique sociale du pays, il préconise d’observer la gestion des difficultés structurelles internes afin d’anticiper les ambitions internationales du pays d’ici dix ans. Par ailleurs, le pays s’est lancé en début d’année dans l’extraction minière de lithium, attirant les convoitises chinoises et renforçant sa dépendance croissante envers la Chine. Quant à l’Afrique du Sud (membre depuis 2011), qui accueillait ce 15ème sommet des BRICS, Charlie Mballa fait un bilan mitigé de son intégration au sein de ce club. Les indicateurs économiques et de développement dressent un bilan peu élogieux, l’Afrique du Sud se classant comme le pays le plus inégalitaire au monde parmi 164 pays selon un classement de la Banque mondiale de 2022. Le pays entretient néanmoins de fortes relations diplomatiques avec les autres pays de l’organisation, expliquant notamment sa position de neutralité dans la guerre russo-ukrainienne.
Ce numéro consacre également un dossier à la politique d’Erdogan, en partenariat avec l’Université Grenoble Alpes et Sciences Po Grenoble. Evoquant les priorités internes et internationales du nouveau mandat du Président, ce dossier analyse la position charnière qu’occupe la Turquie, entre intérêts économiques avec les pays du golfe et politique de médiation face à la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Si Erdogan a surmonté les polémiques révélées suite au séisme du 6 février dernier, le peuple semblant avoir privilégié la stabilité lors des élections du printemps, l’économie turque a été largement impactée. L’instauration d’un régime présidentiel en 2018 a renforcé la concentration des pouvoirs et les 84,8 millions de turcs sont aujourd’hui confrontés à une inflation importante, une chute du pouvoir d’achat et une corruption qui gangrène les institutions.
L’entretien avec Pierre Jolicoeur offre une analyse éclairée de l’influence historique de la Turquie dans la région du Caucase. Expliquant le renforcement des liens avec l’Azerbaïdjan, notamment depuis le conflit du Haut-Karabagh, il évoque de manière prémonitoire la position turque selon laquelle la région du Haut-Karabagh devrait revenir sous contrôle azerbaïdjanais. Quant à sa présence en Afrique, Sencan Karabektas distingue le modèle turc apportant une aide inconditionnée aux différents pays, de ses concurrents européens qui placent le respect des droits de l’homme et la démocratie comme piliers de la coopération.
Ce numéro de Diplomatie permet ainsi de dresser un premier bilan des BRICS au 15ème anniversaire de l’organisation, tout en renforçant la compréhension des défis auxquels se confronte cette organisation à vocation économique dans sa perspective d’élargissement. Quant au dossier turc, il offre une analyse de divers aspects de la politique d’Erdogan, en cette année où le président Erdogan célèbre le centenaire de la République de Turquie.
« Djibouti au XXIe siècle – Enjeux politiques et économiques contemporains dans un environnement troublé », sous la direction d’Aden Omar Abdillahi et Jean-Nicolas Bach, Karthala, Paris, 2023, 250p., 28€
Cet ouvrage collectif dresse un portrait complet de la république de Djibouti, abordant à travers douze chapitres, les aspects historiques, sociaux, politiques et économiques du pays. L’ouvrage est le fruit d’une collaboration entre chercheurs djiboutiens et français, aux profils variés et apportant chacun leur expertise au sujet.
Une première partie historique retrace le peuplement progressif du territoire djiboutien par les peuples nomades de la région puis l’installation française à Obock dès 1884 jusqu’à l’indépendance du pays en 1977. Le territoire, initialement convoité comme point de ravitaillement des navires, tire sa richesse non de son sol, comme de nombreux pays africains, mais par son positionnement géographique stratégique. Situé au sud de la Mer Rouge, Djibouti est le débouché maritime de l’Ethiopie, et a redoublé d’importance depuis l’ouverture du Canal de Suez. Ce positionnement fait de Djibouti un important hub commercial, attirant de nombreux partenaires internationaux. Ainsi, ce petit Etat, par sa superficie, a su exploiter son positionnement géographique par une politique d’extraversion, mobilisant de nouveaux acteurs internationaux pour son développement. Désormais la France, ancienne puissance coloniale, se range aux côtés des autres partenaires asiatiques, occidentaux et arabes de la république de Djibouti.
Un chapitre de la deuxième partie est consacré à la présence chinoise à Djibouti, dans lequel l’auteur offre une analyse pertinente de l’évolution des relations entre les deux pays. L’augmentation des investissements chinois à Djibouti, ainsi que l’augmentation des échanges commerciaux illustre l’importance croissante que revêt ce territoire pour la Chine. Mais ce sont également les relations politico-militaires qui se renforcent entre les deux pays. La Chine a en effet installé sa première base militaire à l’étranger à Djibouti en 2016. Prenant du recul sur cette coopération sino-djiboutienne, l’auteur en aborde également les limites, dont l’endettement élevé auquel fait face Djibouti, renforçant la main de la Chine sur le pays.
La troisième partie de l’ouvrage est quant à elle consacrée aux défis politiques et économiques auxquels est confrontée la république de Djibouti. Les auteurs traitent tour à tour de l’évolution du régime politique djiboutien depuis l’indépendance du pays et dressent un bilan mesuré de l’ordre constitutionnel djiboutien. C’est finalement sur fond d’intérêts économiques chinois que l’ouvrage se clôture par une mise en garde des nouvelles zones économiques spéciales chinoises mises en place dans le pays, enjeu majeur des années à venir pour la république de Djibouti.
Au bilan, c’est un ouvrage pertinent qui vient combler un vide dans la littérature géopolitique de la région.
« Le mal algérien », Jean-Louis Levet et Paul Tolila, Bouquins, Paris, 2023, 367p., 21€
C’est par un récit d’expérience personnelle que Jean-Louis Levet et Paul Tolila amènent le lecteur à travers les coulisses du régime politique algérien des années 2010. En prenant le recul sur les soixante années qui se sont écoulées depuis l’indépendance du pays en 1962, les auteurs dressent un bilan de la politique algérienne, mêlant brillamment analyse et récit de leur expérience de terrain. Tous deux nés français dans l’Algérie d’avant indépendance, les deux auteurs de cet ouvrage ont été nommés responsables d’une mission gouvernementale de coopération technologique et industrielle entre la France et l’Algérie entre 2013 et 2019. Sans fermer les yeux sur le passé des deux pays, ils invitent le lecteur à renouveler la réflexion sur les relations franco-algériennes à travers quinze chapitres thématiques.
Si les auteurs proposent davantage une analyse de la politique intérieure algérienne, que des relations franco-algériennes, ils cherchent à comprendre comment le pouvoir politique maintient le pays dans une impasse politique, économique et sociale, malgré ses nombreuses richesses. Les anecdotes de rencontres des deux auteurs témoignent du mal-être de la jeunesse algérienne, de la lutte des femmes pour leur émancipation et de l’équilibre obscur entre pouvoir militaire et affaires politiques, équilibre qui sera bouleversé par le Hirak.
En 2019, ce système aristocratique dirigé par la nomenklatura algérienne voit la société civile se soulever. C’est la candidature du président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat consécutif qui va faire naitre ce mouvement de protestation pacifique, le Hirak. Dénonçant un gouvernement déficitaire et illustrant la volonté du peuple de reprendre sa place dans l’espace public, la population crie le rejet de ses élites politiques. Les auteurs analysent les erreurs du pouvoir politique, qui en orchestrant depuis de nombreuses années la redistribution de la rente pétrolière, s’est bercé dans l’illusion d’acheter la paix sociale. Une paix sociale désormais bouleversée par la mobilisation de tout un peuple.
La mobilisation du Hirak aura permis de déraciner l’ancien Président du pouvoir et de condamner les nombreux responsables politiques coupables de corruption. Mais la pandémie de Covid-19, qui mettra le monde sur pause en 2020, portera un coup d’arrêt au mouvement populaire. L’ambition d’instaurer un pouvoir civil s’est confronté à l’armée, clé de voûte du pouvoir algérien. Ainsi, les tentatives de reprise du mouvement ont donné lieu à une importante répression et de nombreuses interpellations, affaiblissant progressivement le Hirak.
Au bilan, les auteurs plongent le lecteur au cœur des réalités algériennes, permettant d’explorer les racines d’un système politique paralysé et de « regarder l’Algérie au présent ».
Revue Moyen-Orient, n°59 « Bilan Géostratégique 2023 – Affirmation autocratique » (juillet-septembre 2023), 10,95€
Ce numéro 59 de Moyen-Orient, dirigé par Alexis Bautzmann, décrypte la reconfiguration géostratégique au Moyen-Orient au cours de l’année 2023. Plus de dix ans après les soulèvements de 2011, on assiste à un fort regain de l’autoritarisme dans la région, au nom des priorités économiques et des défis sociaux grandissants. Marqué notamment par le rétablissement des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran sous les auspices de la Chine et la réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe, le premier semestre de l’année 2023 a reconfiguré les rapports de force.
Manon-Nour Tannous, maîtresse de conférences et chercheuse associée au Collège de France, traite de l’autoritarisme au Moyen-Orient à travers le retour du dirigeant syrien, Bachar al-Assad, sur la scène diplomatique. L’isolement de la Russie suite à l’invasion en Ukraine a sans doute motivé les efforts de réhabilitation et de diversification des alliances pour le régime syrien, qui a réintégré la Ligue arabe en mai dernier. Disqualifié de l’organisation en 2011 à cause de sa gestion autoritaire de la crise et des nombreuses violations du droit international, Bachar al-Assad semble redevenir fréquentable pour ses pairs de la région ; il multiplie les visites dans le Golfe depuis le tremblement de terre du 6 février 2023.
C’est à travers un atlas de 51 pages réunissant de nombreux experts de la région, que ce numéro dresse un bilan géostratégique et une analyse individuelle de chaque pays, documenté par des données économiques et démographiques ainsi qu’une cartographie détaillée. Cette analyse éclaire le lecteur sur l’affirmation du modèle autocratique dans la région, et la stratégie saoudienne de recomposition régionale. Incarnant la vision autocratique de la région, le prince héritier Mohamed ben Salmane s’attèle à des manœuvres diplomatiques ambitieuses au Moyen-Orient : accord avec l’Iran, jusqu’alors rival de l’Arabie saoudite dans la course au leadership régional, sommet de la Ligue arabe à Djeddah où il accueille le dirigeant syrien Bachar al-Assad.
L’affirmation des régimes autocratiques s’appuie sur les nécessités d’assurer stabilité, avenir économique et de répondre aux défis sociaux dans les pays de la région. L’atlas permet néanmoins au lecteur de prendre conscience des contestations multiples de ces régimes autocratiques, la population n’ayant plus une confiance immuable envers le pouvoir. Si l’Iran connaît un large mouvement de contestations depuis la mort de Mahsa Amini en septembre 2022, le tremblement de terre en Turquie a également révélé les fragilités du régime d’Erdogan, qui fait aujourd’hui face à une triple contestation : celle des femmes, des jeunes et des Kurdes. Le pouvoir israélien, qui tente d’imposer une réforme judiciaire controversée, a également connu une contestation massive de la population, amenant Benyamin Netanyahou à geler temporairement son projet de réforme.
On ne peut que recommander ce numéro qui offre une analyse détaillée de la recomposition politique, économique et diplomatique du Moyen-Orient, tout en fournissant un atlas permettant d’illustrer les ambitions et les défis sociaux-économiques des pays de la région.
A.D