Russia Today (RT) Un média d’influence au service de l’Etat russe. Maxime Audinet.
Maxime Audinet retrace la naissance et l’évolution de Russia Today dans un contexte double de multiplication des révolutions de couleur et d’élargissement des instances occidentales à l’est. La ligne éditoriale est alors assez classique ; RT est une chaîne de soft power cherchant à véhiculer une image positive de la Russie à l’étranger.
C’est en 2008, lors du conflit avec la Géorgie, que la ligne éditoriale de la chaîne russe connaît un bouleversement afin de sortir de l’impasse dans laquelle elle se trouve alors. L’objectif n’est plus d’incarner la position du gouvernement russe mais de devenir une source d’information globale et alternative au sein d’un environnement médiatique international. La nouvelle version de la chaîne est un succès et permet la création d’antennes dans la plupart des régions du monde en diffusant une certaine conception : importance des valeurs traditionnelles, nécessité d’un monde multipolaire et mise en lumière d’un modèle alternatif. Maxime Audinet met particulièrement en lumière la subtilité opérée par RT dans son approche éditoriale alternative qui vise non pas à retranscrire la position officielle russe mais plutôt à incarner une approche alternative modulable en fonction du public cible. Ainsi, la chaîne hispanophone de RT est très à gauche et anti-impérialiste en Amérique latine, avec une forte présence de la gauche anti-américaine et bolivarienne tandis que RT France et RT Deutsch sont plus sur une ligne eurosceptique de plus en plus de droite et d’extrême droite. Russia Today s’avère être un formidable outil au service de la puissance russe non pas en cherchant à véhiculer une image positive de la Russie à l’étranger mais en incarnant une caisse de résonance capable de nuire à la puissance d’attraction de ses rivaux.
M. D.
L’Irak, un siècle de faillite : de 1921 à nos jours, Adel Bakawan.
Le nouvel ouvrage écrit par le sociologue Adel Bakawan fait la synthèse d’un siècle irakien tumultueux – pour ne pas dire chaotique – qui emmène le lecteur de Bassora à Mossoul, des révoltes kurdes aux révoltes chiites. Franco-irakien, l’auteur retrace la chronologie de son pays natal depuis 1921 tout en mettant en exergue les diversités confessionnelle (chiites/sunnites), ethnique (arabes/kurdes) et politique (panarabistes/nationalistes) qui continuent de diviser les trois communautés majoritaires : les chiites au Sud, les sunnites au centre et les Kurdes au nord. Pour cause, la création des frontières de l’Etat irakien ex nihilo par les Britanniques niant le besoin d’un mythe fondateur et de projets communs comme conditions sine qua non d’une intégration nationale réussie.
L’absence de légitimité de la nation irakienne n’est pas démontrée pour la première fois dans ce livre mais la lecture des évènements sous le prisme de la collaboration des élites du pays avec les puissances étrangères est extrêmement intéressante. La démonstration d’Adel Bakawan est claire : les élites sunnites pourtant minoritaires ont collaboré étroitement pendant des décennies avec l’occupant ottoman puis britannique dans le but de conserver leurs privilèges, jusqu’à ce que la communauté chiite profite du vide étatique créé en 2003 par la répression américaine et la « débaasification » pour tenir à leur tour les rênes du pouvoir.
Si l’avènement de la République en 1958 s’est révélée bénéfique pour les chiites sous Abdel Karim Kassem (1958-1963), les mandats d’Abdel Saraf et son frère (1963-1968) puis du parti Baas (1968-2003) ont illustré la volonté des élites sunnites de diriger le pays sans partage en privant les minorités kurdes et chiites de postes de fonctionnaires et en les massacrant sous Sadam Hussein (Anfal, déchiification). Quand bien même la situation s’est inversée puisque les chiites sont désormais au pouvoir grâce aux « moyens extraordinaires mobilisés par les Etats-Unis », la structure inégalitaire de l’Etat irakien reste similaire selon Adel Bakawan : celle d’un Etat failli en proie à ses vieux démons que sont l’unité politique, ethnique et confessionnelle. Du fait de la milicisation et de la corruption massive (1000 milliards de dollars détournés entre 2003 et 2021), le pays est plus que jamais vulnérable à la pandémie, aux mouvements terroristes et au mouvement de contestation inédit déclenché le 1er octobre 2019.
En somme, la contribution d’Adel Bakawan est un récit captivant de l’évolution de l’Irak depuis un siècle mêlant histoire, sociologie et géopolitique. Un ouvrage clair traitant de sujets complexes reste toujours en mémoire : celui-ci est à lire absolument !
M.G