” L’Amiral Bloch : une vie d’engagement au service de la France “, d’Emmanuel Hecht, Perrin, 2023, 272 p., 21 €
Cette biographie retraçant la vie de René Bloch est écrite par Emmanuel Hecht : journaliste et directeur de la collection « Vérités & Légendes » chez Perrin. Sa formation d’historien lui permet de relater la vie de cet ingénieur général de l’armement appliqué aux différents contextes historiques rencontrés par celui qui se fait appelé l’amiral.
Les 20 chapitres de cet ouvrage décrivent ainsi avec acuité le brillant parcours de cet ingénieur général du génie maritime. La famille de René Bloch est très investie dans la communauté juive d’Alsace : ayant lui-même un grand-père rabbin. La Seconde guerre mondiale provoque l’exil de sa famille à Limoges puis en Algérie. D’Alger, René Moïse Bloch suivra les combats avant de décider de s’engager pour la France libre. Il participera à la campagne d’Italie, au débarquement de Provence, ainsi qu’à la poussée vers l’Allemagne. Cette expérience de jeune officier qui s’est illustré au front façonnera le caractère de ce futur polytechnicien.
L’auteur dresse au fil de cette biographie, le portrait d’un homme animé par les valeurs du gaullisme, de la république et du judaïsme. Surdiplômé, René Bloch entame sa carrière dans l’aéronautique navale. Il prend très vite en responsabilité et s’affirme malgré son caractère jugé tempétueux par ses supérieurs. Il participera à ce titre au développement des aéronefs Aquilon, CM 175 Zéphyr ou encore l’Étendard IV. Son réel chef d’œuvre est toutefois sans nul doute le développement du Breguet 1150 Atlantique : avion de patrouille maritime qui s’imposa en 1965 comme une référence pour les pays de l’OTAN dans son domaine. Ce fut d’ailleurs le seul programme de coopération international otanien dont la langue officielle est le français.
La carrière de cet homme va se poursuivre au sein de l’armée dans les affaires internationales. Multipliant les expériences à l’étranger, René Bloch façonne sa propre vision de l’efficacité qu’il mettra pleinement à profit au Centre d’Essai des Landes (CEL). Ce centre qui atteint son apogée dans les années 70 est devenu une référence européenne dans le tir de missile. Sous la direction de René Bloch, le centre est commandé au gré d’une rigueur institutionnalisée, donnant une symbolique militaire à un poste qui pourtant ne le permettait pas. À travers les années 1970, des centaines de missiles balistiques sont tirés permettant d’assurer la pleine efficacité de la dissuasion française. L’ingénieur général de génie maritime a été un des maîtres d’œuvres de l’opérabilité de la force de frappe française.
Au bilan, l’auteur propose un ouvrage qui mêle l’évolution de la vie de René Bloch au prisme du contexte géopolitique passé. Ce livre rend de fait hommage à ce grand homme qui a apporté par son dévouement et son courage à la grandeur de la France.
Revue Diplomatie, Les grands dossiers N°74 : « Géopolitique de l’agriculture et de l’alimentation », (juin-juillet 2023), 96 p., 10,95 €.
Ce numéro de la revue Diplomatie dirigé par Alexis Bautzmann et Thomas Delage s’attèle à décrypter les effets de l’agriculture et de l’alimentation sur la géopolitique. À travers 24 analyses, cartographies, focus et entretiens, le lecteur se familiarise aux enjeux agricoles modernes étudiés sous le prisme des relations de puissances.
Delphine Acloque, docteur en géographie et spécialiste des questions agricoles et alimentaires au Moyen-Orient traite de la menace de l’insécurité alimentaire en Égypte. Cet État du mashrek fait partie des plus gros importateurs mondiaux de blé, alors que sa production couvre moins de la moitié de sa consommation. La situation alimentaire actuelle est inquiétante et fait que la moitié de la population se dit avoir été contrainte de réduire son alimentation. Ainsi, ce sujet est redevenu une question politique comme en attestait le slogan « pain, liberté, justice sociale » scandé sur la place Tahrir en 2011. Le pouvoir politique en place d’Abdel Fattah al-Sissi tente de relancer des programmes ayant vocation à soutenir par une participation de l’État à l’achat d’aliments, à la production agricole, ou encore à l’interdiction d’exportation de certains produits. La situation est qualifiée selon l’auteur d’encore plus critique du fait de la pénurie hydrique qui divise les Egyptiens entre les secteurs touristiques, agraires, urbains autour de la répartition de l’eau.
Omar Bessaoud, professeur en économie agricole traite au fil de son analyse les systèmes agricoles et alimentaires maghrébins. Ces derniers sont sous pression du fait d’une multiplicité de facteurs : bien souvent provoqué par le changement climatique. La température augmentera au Maghreb de 1,5 à 2° en comparaison des 0,74° à l’échelle mondiale. Cela entraîne un stress hydrique, une dégradation des sols, une désertification ainsi qu’une favorisation des feux de forêts comme au Maroc. L’auteur poursuit en avançant l’échec des politiques publiques qui visaient à endiguer les baisses de rendements et l’augmentation des produits alimentaires. La dépendance est surtout forte envers les produits de base : blé, huiles alimentaires, sucre et produits laitiers. À ce titre, l’Algérie dépend à 75% des importations céréalières et le Maroc ainsi que la Tunisie à 60%. La crise de la Covid-19 ainsi que la guerre en Ukraine n’ont produit qu’une exacerbation des tensions autour de l’apport de ces matières pour les populations.
Bien d’autres articles éclairent le lecteur quant à l’importance que revêt l’agriculture au sein du contexte géopolitique actuel. La Chine se sert de cela pour alimenter sa « diplomatie agricole ». Pékin use de ses 1,4 milliard d’habitants pour faire pression et tenter d’influer sur certains États exportateurs. C’est ce qui a poussé la Chine par exemple à restreindre l’importation de vin australien, d’ananas de Taiwan, de saumon de Norvège ou encore de bananes des Philippines. Jean-Marc Chaumet auteur de cet article relate ces cas qui sont parfois des échecs comme dans le cas australien qui a réorienté l’export vers d’autres pays et renforcer son lien avec les États-Unis. Pékin a d’ailleurs usé du facteur alimentation dans la guerre commerciale qui l’opposait à Washington en limitant l’importation de soja produit aux États-Unis.
Ce numéro de Diplomatie fait réellement prendre conscience de l’aspect déstabilisateur que peut représenter l’agriculture appliqué aux relations internationales. La prospective d’une invasion de Taiwan par la Chine pourrait en dehors de la réponse militaire entraîner un embargo sur les exportations de produits alimentaires à destination de la Chine qui ne peut subvenir seule à ses besoins. Ce sujet reste encore relativement flou aux yeux des français appliqué au contexte international. La guerre en Ukraine, la pandémie de la Covid-19 ainsi que le réchauffement climatique ont permis de replacer l’agriculture au centre des discussions.