Chacun connait l’intérêt de la revue Courrier international qui offre les regards croisés des meilleurs journalistes mondiaux sur des thèmes d’actualité. Le Hors-série de l’été, consacré au Moyen-Orient, permet d’aborder sous trois angles différents, complémentaires et parfois antagonistes les crises et les enjeux stratégiques qui caractérisent aujourd’hui le Moyen-Orient : Guerres et soulèvements, Vivre et survivre, La fin des illusions. Ce dernier reste le plus fourni puisqu’il regroupe à lui seul la moitié des articles. Les articles consacrés au Yémen, à l’Iran, au Liban me paraissent utiles pour percevoir l’évolution des sociétés locales. La carte en double page (pp. 56-57) est remarquable de clarté, illustrant les ambitions de la Turquie, de l’Iran, de l’Egypte et des monarchies de la péninsule Arabique. Sur l’angle strictement géopolitique, c’est l’article consacré à l’inévitable confrontation entre la Turquie et l’Iran (pp. 72-73) du magazine américain Newlines qui m’a paru le plus original. En résumé, les 8€50 du magazine restent un investissement utile pour tous ceux qui souhaitent comprendre les évolutions à l’œuvre dans la région.
Thibault Muzergues, directeur du programme Europe du think tank américain International Republican Institute (IRI), pose une question provocatrice dans son dernier ouvrage : après tant d’années sans conflit majeur sur son territoire, et malgré le slogan « l’Europe c’est la paix », notre continent peut-il redevenir un champ de bataille ?
Dans ce livre divisé en trois parties (passé, présent, futur), l’auteur fait le constat d’une détérioration des conditions géopolitiques sur le continent européen et du retour potentiel des conflictualités dans un territoire qui a connu pourtant 75 ans de paix.
Les premiers chapitres, très fouillés, reviennent sur la longue histoire européenne et soutiennent que le continent possède un naturel belliqueux : Thibault Muzergues replace ainsi notre immédiateté dans le temps long et rappelle que nous vivons à présent dans l’exception. Il détaille la disparition, à ses yeux, des conditions de l’anomalie pacifique, et soutient que la guerre fait partie de l’ADN de l’Europe, pour nous mettre sous les yeux la désagrégation progressive et lente de l’Europe, qui s’accélère en 2008 et 2014 et conduit à l’affaiblissement des garde-fous européens, face à de multiples crises (Caucase, Ukraine, Méditerranée…)
Dans une deuxième partie, l’auteur fait un état des lieux des dynamiques négatives, des divisions internes et des menaces extérieures auxquelles fait face l’Europe. L’auteur soutient que les Européens ne sont pas préparés aux nouvelles formes de guerre et que la conflictualité violente redevient possible, bien que sous une forme différente. Il fustige le déclin et la faiblesse stratégique européenne, pour nous alerter sur les risques à venir.
Dans un troisième temps, Thibault Muzergues présente plusieurs scénarios possibles à horizon 2032 : affrontement sino-américain, invasion en provenance de l’Est, explosion interne de l’Union Européenne… Malgré des années 2010 qu’il qualifie de decennium horribilis et ses projections peu réjouissantes, l’auteur soutient que le retour à la guerre n’est pas inévitable, mais il affirme que si l’Europe veut survivre et éviter la guerre, elle doit se réformer. A ses yeux, cette réforme repose sur deux piliers : une réappropriation de la violence par les Européens afin de s’en prémunir, et un nouvel élan pour l’OTAN, le marché intérieur et le fédéralisme. Cela passe en particulier par la France qui doit à ses yeux être un acteur-clé du changement pour remettre l’Europe sur le chemin de la paix, en renforçant le lien transatlantique et en travaillant à une véritable introspection sur notre européanité et nos ambitions.
Si cet ouvrage semble peu optimiste, son intérêt est qu’il contribue au débat stratégique européen et qu’il ne devienne à terme qu’un ouvrage de fiction et d’anticipation. Espérons qu’il ne deviendra pas dans vingt ans une prophétie de Cassandre, mais gardons en tête son avertissement : si vis pacem, para bellum.
Il n’est pas dans nos habitudes de recenser les romans, mais celui-ci fait exception car il s’inscrit en droite ligne des fameux techno-thrillers qui ont fait le succès de Tom Clancy en son temps. On ne dévoilera pas l’intrigue pour vous laisser le plaisir de la découvrir ; disons qu’il s’agit d’un conflit aéronaval majeur entre la Chine et les Etats-Unis dans un avenir proche. On peut ne pas partager les postulats géopolitiques posés par les auteurs, l’un grand reporter et l’autre expert reconnu du Département d’Etat américain, ni la crédibilité du scénario qu’ils déroulent, mais il est indéniable qu’ils ont le sens du suspense, du narratif, et qu’ils maîtrisent les sujets militaires. L’intérêt majeur de ce roman de politique fiction est ailleurs : il évoque avec force détails de nombreuses percées technologiques (dans l’espace, le cyber, sous la mer, sur terre et dans les airs) qui pourraient modifier durablement la guerre aéromaritime demain ou après-demain. A l’heure où les industriels de défense, les états-majors, les stratèges et les autorités publiques n’hésitent plus à faire appel à des auteurs de science-fiction ou de jeux vidéo pour imaginer la guerre de demain, ce roman qui pointe les atouts et les faiblesses de la technologie est le bienvenu. Bref, un bon moment de lecture pour cette fin d’été pour ceux qui seraient encore en vacances ou pour ceux qui s’interrogent sur le devenir de la guerre aéronavale. Je conseille toutefois la version originale américaine, car la traduction française, bien que satisfaisante, n’est pas toujours précise pour la terminologie militaire.
Après un Grand Dossier sur la Russie, le nouveau numéro de Diplomatie, réalisé en partenariat avec l’IFRI, s’intéresse à la Chine.
Dans son éditorial, Alexis Bautzmann discute l’expression « piège de Thucydide » du politologue américain Graham T. Allison. Si les Etats-Unis et la Chine peuvent ressembler dans leur affrontement à Athènes et Sparte, il ne faut pas oublier de nombreux facteurs contemporains : l’auteur appelle ainsi à une meilleure connaissance de la Chine, auquel ce nouveau numéro contribue utilement.
On retiendra particulièrement l’article de Didier Chaudet, chercheur associé à l’IFEAC, qui s’intéresse à la monté en puissance de l’influence chinoise au Moyen-Orient via le projet des nouvelles Routes de la Soie : il souligne que l’engagement chinois dans les conflits de la région (Afghanistan tout d’abord, Syrie et Yémen ensuite) est toujours pragmatique et réactif. La Chine réussit à parler à tous les acteurs des conflits tout en préservant ses intérêts stratégiques, en s’investissant notamment dans la reconstruction. Entretenant de bonnes relations avec les Kurdes par intérêt géostratégique, elle est également capable d’avoir des liens forts à la fois avec Israël et les Palestiniens. Cette stratégie, selon Didier Chaudet, contribue à faire de la Chine un concurrent sérieux aux ambitions européennes, américaines et russes dans la région.
Entre Accord global sur les investissements et sanctions croisées, les relations sino-européennes sont particulièrement tendues : Philippe Le Corre, chercheur à la Harvard Kennedy School, revient sur les développements récents de la relation entre Pékin et Bruxelles, caractérisée par de nombreux désaccords en matière économique et de droits de l’Homme (signature des conventions de l’Organisation Internationale du Travail, investissements). L’auteur souligne que l’image de la Chine, dégradée en Europe, représente une faiblesse pour Pékin ; il dessine les perspectives de la relation Etats-Unis/UE/Chine.
Xavier Aurégan, chercheur associé à l’Institut français de recherche sur l’Asie de l’Est, propose un article sur la diplomatie économique chinoise agressive en Afrique, caractérisée par une relation asymétrique engendrant inégalités et dépendances, intensifiée par le projet des nouvelles routes de la Soie. L’auteur revient sur l’historique de la présence chinoise en Afrique depuis les années 1950 et détaille les caractéristiques de la nouvelle « Chinafrique » depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en s’intéressant notamment à l’enjeu central des ressources naturelles et des matières premières.
Dans un entretien mené par Thomas Delage, Antoine Bondaz, directeur du programme Taïwan sur la sécurité et la diplomatie à la FRS, répond à de nombreuses questions portant sur la défense chinoise, sa modernisation pour en faire une « armée de classe mondiale » et son rôle de vecteur indispensable d’affirmation de puissance, notamment dans les domaines maritime, nucléaire et hybride.
Pour être au fait des ambitions chinoises et bien préparer votre rentrée, ne manquez pas ce numéro de Diplomatie !