Une terre promise
Barack Obama
Barack Obama, Une Terre promise, Fayard, 2020, 843 p., 32 euros
Alors que Joe Biden vient de prêter serment en tant que 46e Président des États-Unis d’Amérique, il nous a semblé judicieux de recenser le premier tome des mémoires du 44e Président paru en fin d’année dernière. En refermant la dernière page de cet ouvrage imposant qui s’achève à la fin de la troisième année (2011) de son premier mandat, l’on ne peut qu’être impressionné par le niveau de réflexion et d’introspection de ce président atypique qui nous livre un témoignage de première main. Même s’il s’agit indubitablement d’un travail d’équipe au regard du nombre de relecteurs et collaborateurs cités, il s’agit d’abord et avant tout de l’œuvre originale d’un intellectuel brillant tiraillé entre la défense de ses valeurs, l’attrait du pouvoir, le choc des réalités et la volonté de transformer la société américaine. La trame est construite comme un thriller de politique fiction et le style est percutant, sans concession pour lui-même comme pour les autres. Les descriptions de certains de ses pairs sont croustillantes, à l’instar d’Angela Merkel et Nicolas Sarkozy (pp. 422-424), de Recep Tayyip Erdogan (pp. 436-437) et de Vladimir Poutine (pp. 569-576). Il ne se ménage pas lui-même non plus, pointant régulièrement ses failles et ses faiblesses. Son parcours témoigne à la fois de la méritocratie à l’américaine, d’une volonté d’airain, d’une capacité de travail hors du commun et d’un peu de chance aux moments cruciaux. Sa conquête du pouvoir reste avant tout la somme d’un concours de circonstances, comme il le reconnait sans fard. Elle illustre néanmoins pleinement la valeur du travail pour se hisser aux plus hautes responsabilités.
Si la moitié de ce premier tome est consacrée aux études de Barack Obama et à sa conquête du pouvoir, la seconde nous plonge directement dans l’ambiance du bureau ovale et des grands dossiers du premier mandat : crise financière, Medicare, relance de l’industrie, effort militaire en Afghanistan, retrait d’Irak, tentative de reset avec la Russie, ouverture du dialogue avec l’Iran, « pivot » vers l’Asie. Les pages consacrées au discours du Caire sur le monde arabe et sur sa vision et sa compréhension de l’espace méditerranéen et moyen-oriental (pp. 456-460) intéresseront sans nul doute nos lecteurs.
L’ouvrage fourmille de détails et d’analyses sur la vie politique américaine, notamment sur le rôle des conseillers, au risque d’être parfois long et lassant pour le non-spécialiste de la politique intérieure américaine. Les afficionados de Kissinger ou Brzezinski resteront sans doute un peu sur leur faim, car les analyses géopolitiques sont assez convenues et auraient mérité d’être un peu plus étoffées. Il n’en demeure pas moins qu’elles restent très précieuses pour comprendre le logiciel de Barack Obama, témoignant d’un homme très pragmatique, méfiant envers les idéologies, qui a dû s’adapter aux évènements et aux rapports de force à l’image du titre de la cinquième partie intitulée « Le monde tel qu’il est ». Le dernier chapitre consacré au raid sur Abbottabad visant à éliminer Oussama Ben Laden est captivant et justifie à lui seul l’acquisition du livre, ne serait-ce que pour brosser le caractère des principales autorités impliquées dans cette décision, à commencer par son vice-Président Joe Biden dont on perçoit bien « qu’il n’a pas le doigt sur la gâchette ». Nul doute que les Iraniens l’auront lu avec beaucoup d’intérêt… Au bilan, nous avons là un témoignage d’exception, précieux, qui a sa place dans toute bonne bibliothèque. L’on ne peut qu’attendre avec impatience le second tome.
P.R.
Stratégies d’influence et guerres de l’information
Maud Quessard
Maud Quessard, Stratégies d’influence et guerres de l’information, Presses universitaires de Rennes, 2019, 374 p., 30 euros
Alors que les yeux étaient rivés sur les États-Unis avec l’investiture du nouveau président Joe Biden, il nous a semblé opportun de faire une recension de l’ouvrage de Maud Quessard Stratégies d’influence et guerres de l’information, paru en 2019.
Maud Quessard nous permet de comprendre la diplomatie américaine notamment à travers l’USIA (United States Information Agency). L’ouvrage rend compte des origines de cette agence américaine destinée à la « diplomatie publique », fondée en 1953 et remplacée en 1999. À travers les différents mandats des présidents qui se sont succédé, il est intéressant de voir comment chaque président s’est servi de cet outil de manière à façonner sa diplomatie. Si le président Eisenhower l’a fondée en pleine période de Guerre froide, l’Agence a été mise à mal sous le mandat de Richard Nixon. A contrario, elle a connu de beaux jours avec John F. Kennedy et plus encore sous Ronald Reagan et la période de « guerre fraiche ».
La seconde moitié du XXème siècle a marqué les débuts de la communication politique comme technique de persuasion. Le président Roosevelt prend conscience de l’importance de la communication politique pour peser dans les relations internationales dès les années 1930, notamment face à la montée croissante des régimes fascistes et nazis. Plusieurs organes de propagande sont mis en place progressivement. Dans un contexte post-Seconde guerre mondiale marqué par la Guerre froide, l’Europe a donc été le premier terrain de l’USIA avec pour but affiché de Dwight Eisenhower de « vendre l’Amérique au monde ».
En somme, le sort de l’USIA, véritable organe de propagande qui ne dit pas son nom, a été soumis aux choix stratégiques de ses directeurs, aux différents occupants du bureau ovale mais également au contexte international et notamment lors des périodes d’assouplissement des relations américano-soviétiques. L’Agence a été appuyée par ses proxies sur le terrain, les United States Information Services (USIS). En effet, l’USIA a œuvré en faveur d’une stratégie différente selon les théâtres d’action en imaginant des méthodes différentes.
L’ouvrage va plus loin et ne s’arrête pas à 1999, date de fin de l’USIA. Maud Quessard nous invite à poursuivre notre réflexion et analyse ce mode « post-américain » où les méthodes d’information et de propagande se sont adaptées et transformées au changement de la société et de l’époque. Dans cette nouvelle société, les attentats du 11 septembre ont engendré une remise en cause des stratégies de communication prônées et amènent à entrevoir la diplomatie publique de manière différente.
S.S.
Un duel Chine / États-Unis ?
Revue internationale et stratégique, n°120
« Un duel Chine / États-Unis ? », Revue internationale et stratégique 2020/4, n° 120.
Alors qu’aucun changement radical de la politique étrangère des États-Unis n’est attendu, en particulier à l’égard de la Chine, la rivalité croissante entre Washington et Pékin devient un sujet géopolitique central dans la mesure où elle est en train de modifier les équilibres de puissances à l’échelle mondiale. Il s’agit d’une rivalité non seulement économique, mais bien multidimensionnelle, ce que ce numéro spécial de la Revue internationale et stratégique, qui célèbre ses 30 ans, se propose d’explorer.
Les premiers articles rendent compte, chiffres à l’appui, du rattrapage économique et militaire opéré par la Chine ces deux dernières décennies. La préoccupation des États-Unis à ce sujet les pousse depuis l’ère Obama à lever le pied sur leurs multiples théâtres d’opérations militaires, afin de se concentrer sur la « menace existentielle » que représente la Chine. Pékin a de son côté développé une capacité de projection et adopté une posture de défense active en s’implantant à l’étranger (base militaire de Djibouti). Les articles suivants s’intéressent aux multiples terrains sur lesquels les deux rivaux poursuivent une posture d’hégémonie : questions environnementales, développement technologique, soft power, aide au développement… Loin des mécanismes de la bipolarité, cette rivalité est complexe à appréhender.
Ce numéro se penche dans un deuxième temps sur les formes que prennent ces rivalités et la posture des États dans les différentes régions du globe. Le Moyen-Orient est une fois encore révélateur des recompositions géopolitiques internationales à l’œuvre. Le relatif retrait des États-Unis a en face de lui un intérêt discret, mais croissant de la part de la Chine. Poursuivant son approvisionnement en matières premières et ses investissements dans une logique de sécurisation des échanges, Pékin conforte ses intérêts économiques et son implantation dans la région. Ceux-ci commencent, d’après Didier Billion, à modifier à son avantage les règles et les flux économiques de la mondialisation libérale. La Chine évite pour l’instant avec soin tout affrontement direct avec Washington, mais arbore une neutralité politique qui lui permet d’entretenir un dialogue et des relations fluides avec tous les acteurs du Moyen-Orient sans exception.
Bien documenté et accessible, ce dossier laisse néanmoins un certain flou quant à l’ampleur de la « menace » chinoise, et on sent qu’il n’y pas consensus entre les contributeurs. L’affirmation de Pékin est pour l’instant assez peu prédatrice et ses intentions sont difficiles à évaluer. La lecture critique de Barthélémy Courmont est en ce sens bienvenue, car elle élargit intelligemment la réflexion à la question du remodelage des relations internationales, à celle de la crise du multilatéralisme et du leadership mondial qui les traverse, et enfin à celle de la politique européenne et son incapacité à se positionner.
En somme, ce dossier permet bien d’appréhender ce qui s’annonce comme une situation de transition de pouvoir des plus incertaines, avec une évolution des rapports de force et un déclenchement de crises politiques et stratégiques difficiles à anticiper.
L.D.C.
IEMed Mediterranean Yearbook 2020
IEMed Mediterranean Yearbook 2020, en accès gratuit
« Europe is a Mediterranean Continent »… En insistant sur cet aspect, Ursula Von Der Leyen introduit la version 2020 de l’IEMed Mediterranean Yearbook et souligne l’imbrication renforcée des enjeux euro-méditerranéens en période de Covid-19. Ainsi, cet annuaire choisit d’aborder plusieurs thèmes qui offrent une vision transversale des effets de la pandémie sur les différents pays, régions, et secteurs stratégiques méditerranéens. À travers des articles sur le changement climatique, le retour de l’autoritarisme, les questions migratoires ou encore l’émergence des nouvelles technologies, cet annuaire met en exergue le fait que les enjeux méditerranéens communs doivent conduire à repenser l’ancrage européen au sein de son proche voisinage méditerranéen. L’article sur le partenariat entre l’Europe et l’Afrique à l’épreuve du Covid-19 et celui sur la position d’Emmanuel Macron comme « leader européen » permettent particulièrement de mettre en lumière l’importance de ces enjeux méditerranéens pour l’ensemble de l’Europe.
Loin d’être devenue une zone marginale pour les défis contemporains, la Méditerranée concentre l’essentiel des enjeux transverses qui constituent des obstacles mais aussi des pistes d’opportunités pour les pays riverains. Par conséquent, la traversée de la pandémie mondiale du Covid-19 renforce l’image méditerranéenne d’un « laboratoire de la mondialisation » et pousse l’Europe à envisager cette aire stratégique non pas comme un simple espace de voisinage mais comme partie intégrante de la construction d’une stratégie européenne. Dès lors, cette nouvelle normalité que nous impose la pandémie semble opérer une reconfiguration qui a accéléré les grandes tendances des 25 dernières années depuis le processus de Barcelone. Pour autant, les objectifs de celui-ci restent toujours d’actualité tant la crise sanitaire actuelle affecte le libre-échange et la coopération pour la paix et la sécurité en Méditerranée. En cela, la pandémie mondiale apparaît comme un catalyseur des futures décennies dans l’espace méditerranéen car elle semble remettre à zéro les compteurs amorcés depuis 1995 tout en mettant à l’épreuve les réalisations qui ont fait avancer la prospérité, la sécurité et la coopération en Méditerranée.
M.-C.D.