« Combattre pour l’Ukraine » de Lasha Otkhmezuri, Passés composés, Paris, 2023, 218 p, 19 €
Alors que les uns et les autres multiplient les décryptages à l’occasion de la première année de guerre en Ukraine, Lasha Otkhmezuri adopte une approche totalement différente et réellement passionnante. Cet historien de talent, ancienne plume du magazine Guerres & Histoire et coauteur de plusieurs ouvrages de référence sur le front de l’Est, nous livre les témoignages de 10 combattants ukrainiens et étrangers qu’il a longuement interviewé au cours de l’été et de l’automne 2022. Ce journaliste polyglotte géorgien a su trouver les mots pour gagner leur confiance afin que ces combattants, tous volontaires, racontent sans fard, sans idéologie et avec force détails leur engagement dans les rangs de l’armée territoriale ou de la Légion internationale ukrainienne. Car seuls les volontaires ont été autorisés par l’état-major ukrainien à s’exprimer a posteriori auprès d’étrangers ; les militaires professionnels et appelés de l’armée régulière ukrainienne restent soumis à une censure très sévère.
Au fil des pages, on découvre des Ukrainiens, des Baltes, des Géorgiens et même un Russe ancien transfuge du FSB, qui sont écrivain, étudiants, hommes d’affaires, chefs d’entreprises, agriculteurs et même retraité pour l’un d’entre eux. Le portrait de Maria Chashka, femme politique engagée volontaire sur le front – il y aurait actuellement près de 60 000 combattantes servant dans les forces armées ukrainiennes – est particulièrement éclairant et riche de réflexions. Tous sont venus combattre en Ukraine pour des raisons différentes, mais tous se rejoignent sur un point : stopper l’appétit et les ambitions du Kremlin tant qu’il en est encore temps, y compris pour éloigner les risques d’extension du conflit à leur pays. Ce qui est le plus marquant dans ces témoignages, c’est qu’ils sonnent d’un ton juste, sans fioriture ni démagogie ou idéologie, et qu’ils livrent la réalité brute du terrain. On apprend beaucoup, notamment sur les opérations des premiers mois de guerre et les difficultés initiales de l’armée ukrainienne. La description des combats de l’usine Azovstal de Marioupol vaut à elle seule l’acquisition du livre, tout comme le descriptif des combats dans la périphérie de Kiev.
On pourra sans doute s’étonner que l’auteur ne donne pas la parole aux combattants russes, mais ce n’est pas le but de son ouvrage percutant et engagé qui explique pourquoi, selon lui, les Européens doivent soutenir les Ukrainiens dans leur combat existentiel face au Kremlin. Dans une introduction remarquable qui se veut une mise en perspective du conflit, Lasha Otkhmezuri redevient historien, philosophe et polémologue en décrivant le choix de la guerre par Poutine et l’aveuglement initial des Ukrainiens et des Occidentaux qu’il compare à l’aveuglement dont les démocraties ont fait preuve face à la montée des dictatures rouge et noires à la fin des années 1930. Sa conclusion est tout aussi percutante, notamment quand il imagine les conséquences multiples de cette guerre sur les sociétés russe, ukrainienne et européenne, une fois que celle-ci sera terminée.
Bref, un must intelligent que tous ceux qui se sentent concernés par les conséquences de la guerre en Ukraine devraient lire et méditer !
P.R.
Revue Confluences Méditerranée n°123 (hiver 2022-23) : « Sécurité en Méditerranée : acteurs et stratégies », IREMMO-L ’Harmattan, 214 p, 21€.
Ce 123e numéro de Confluences Méditerranée, dirigé par Jean-Paul Chagnollaud (directeur de l’IREMMO) et coordonné par Chloé Berger, porte sur l’implication des différents acteurs dans la région méditerranéenne et les stratégies déployées par ceux-ci pour défendre aux mieux leurs intérêts. Espace riche de ressources, pivot sécuritaire et commercial, la mer Méditerranée est le théâtre de nombreuses rivalités mais a aussi permis l’émergence de coopérations sur des enjeux clés. Cet ouvrage scindé en trois parties (La Méditerranée au prisme de ses crises : enjeux et causes profondes, Ambitions et limites des approches « classiques » de gestion de crise, Stabilisation et reconstruction : quelles approches alternatives ?) est composé de douze contributions. Bien que certaines décrivent ces stratégies internationales dans leur globalité, la plupart présentent des études de cas plus précises en se focalisant plus particulièrement sur un Etat ou une région.
Alors que certains acteurs plus éloignés tentent de défendre leurs intérêts géopolitiques et de maintenir leur influence (Russie), d’assurer des relations commerciales pérennes (Chine), ou choisissent de limiter un interventionnisme fortement critiqué (Etats-Unis), la question méditerranéenne représente un enjeu sécuritaire majeur pour les pays qui en sont riverains.
Les contributeurs à cet ouvrage proposent diverses pistes de réflexion quant à l’effort de stabilisation de la région. L’influence exercée par les militaires sur la population peut représenter à la fois un facilitateur et un obstacle pour la transition démocratique ; les printemps arabes sont une illustration pertinente de ce paradoxe. De plus, les acteurs non-étatiques doivent être pris en compte de façon « pragmatique et inclusive », car leur importance dans la vie politique est croissante et fait d’eux de nouveaux acteurs à part entière. Également, l’échec des approches globales occidentales accentue la nécessité d’initiatives locales, en comptant sur le soutien des acteurs les plus puissants et d’organisations telles que les Nations Unies pour garantir à terme une paix durable.
Ce numéro permet ainsi d’aborder divers sujets à échelles globale (les Nations-Unies), régionale (le Sahel, les Etats du Golfe) et locale (la Syrie du Nord-Est, le Rubicon), permettant une compréhension assez complète de la situation critique de l’espace méditerranéen.
L.F.