CONSEILS DE LECTURE DÉCEMBRE 2021

Chine et terres d’Islam : un millénaire de géopolitique. Emmanuel Lincot.

Chine et terres d’Islam : un millénaire de géopolitique. Emmanuel Lincot. PUF, octobre 2021. 23€

Le récent ouvrage d’Emmanuel Lincot, spécialiste de l’histoire politique et artistique de la Chine contemporaine, étudie les relations entre le monde musulman et l’Empire du milieu à travers les siècles sous un angle géopolitique.

L’auteur revient de manière chronologique sur les évènements qui ont façonné la vision chinoise de l’Islam et continuent de l’influencer aujourd’hui. Historiquement, pour les Han, le danger vient des régions de l’ouest et du nord, accueillant des peuples turcos-mongols. Des invasions et batailles, comme celle de Talas en 721 opposant le califat abbasside à la dynastie Tang, contribuent à faire prospérer une image des contrées lointaines comme inhospitalières car désertiques et abritant des « barbares ». L’Islam parvient tout de même à s’étendre grâce aux Routes de la soie dans des villes comme Samarcande qui servent de carrefour des échanges commerciaux. S’ensuit un phénomène d’acculturation qui voit prospérer des minorités musulmanes comme les Ouïghours ou les Hui, descendants directs des immigrants des Routes de la soie. Ces échanges donnent lieu à un syncrétisme religieux illustré par les écrits de l’intellectuel musulman Liu Zhi qui emprunte fréquemment des terminologies du néoconfucianisme en les alignant sur les conceptions islamiques.

  Alors que diverses expériences politiques ont marqué l’histoire récente des ethnies chinoises musulmanes en quête d’indépendance – deux courtes républiques du Turkestan oriental ont existé -, l’arrivée au pouvoir de Mao a réprimé ces velléités. Aujourd’hui, la Chine mène une politique particulièrement violente à l’égard des populations musulmanes, usant de moyens régaliens et démographiques pour annihiler l’influence de la population ouïgoure du Xinjiang. Par peur de subversions qui pourraient déranger « l’émergence pacifique » de la Chine – les révoltes comme celles des Taiping ou des Panthays ont façonné l’histoire du pays depuis 2000 ans -, la Chine a entrepris de les « rééduquer » à travers des moyens d’humiliation et d’oppression constants. L’actualité récente contraste avec d’une part le pragmatisme économique et géopolitique de la Chine vis-à-vis des pays musulmans du Moyen-Orient et d’Asie et d’autre part l’histoire multiculturelle du pays, façonnée par des échanges religieux depuis des siècles. La Chine mène donc une sorte de realpolitik religieuse, se souciant beaucoup de la similarité des moeurs au sein du territoire national et peu des réactions de ses interlocuteurs musulmans sur la scène mondiale, politiquement inopérants car trop dépendants économiquement.

Ce livre est important car il offre au lecteur la possibilité de prendre un recul historique nécessaire sur les relations entre le monde musulman et la Chine. De surcroît, sa formation d’historien de l’art est ici nécessaire pour appréhender toute la complexité des échanges culturels le long des Routes de la soie et la diversité des pensées politico-religieuses jusqu’à aujourd’hui. En somme, un ouvrage dense mais très intéressant.

M.G

Le complexe de sécurité de la Méditerranée occidentale. Dynamiques de sécurité et migrations (« 5+5 défense »). Abdennour Benantar

Le complexe de sécurité de la Méditerranée occidentale. Dynamiques de sécurité et migrations (“5+5 défense”). Abdennour Benantar. L’Harmattan, novembre 2021. 28€

Abdennour Benantar est maître de conférence à l’Université Paris 8 et chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Ses travaux portent sur les questions de sécurité en Méditerranée. Il publie aux éditions L’Harmattan en novembre 2021 Le complexe de sécurité de la Méditerranée occidentale. Dynamiques de sécurité et migrations (« 5+5 défense »).

Dans son ouvrage, il analyse le complexe de sécurité régional en Méditerranée occidentale et plus particulièrement les pays du groupe 5+5 (Espagne, France, Italie, Malte et Portugal pour le Nord et Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie et Tunisie pour le Sud). Six chapitres très bien référencés structurent ces propos et permettent de mettre en lumière ce qu’est un complexe de sécurité régional et comment il s’applique dans une région aussi particulière qu’est la Méditerranée occidentale à travers l’illustration du groupe 5+5 et de son initiative défense.

Dans son introduction, l’auteur rappelle les différentes définitions du mot région, « un terme ambigu dans l’espace commun » comme le souligne le théoricien Joseph Nye. En somme, les régions sont socialement construites et cette notion est d’autant plus vraie dans un monde post-guerre froide où différentes initiatives régionales se sont mises en place. Dans ce contexte est née la notion d’Euroméditerranée qui a donné lieu aux concepts de Méditerranée occidentale et le Groupe 5+5 qui comporte en son sein deux pays non-méditerranéens géographiquement (le Portugal et la Mauritanie) mais qui le sont par leur culture et leurs interactions avec leurs voisins.

Pensé dans les années 1980 par le président français François Mitterrand et né en 1990, le groupe 5+5 représente l’une des plus importantes plateformes de sécurité dans la région et entend promouvoir un dialogue sur les problématiques communes. Dans les années 2000, le groupe lance son initiative défense pour propulser la coopération régionale à travers des enjeux sécuritaires. L’ouvrage souligne la dimension inédite de ce format de rencontres qui réunit ministres et chefs d’Etats mais également le contexte brûlant de ces réunions sur fond de révoltes arabes. Le format défense reste actuellement l’une des composantes les plus actives de ce groupe 5+5.

Abdennour Benantar évoque tout de même les limites de ce groupe 5+5 qui ne bénéficie ni de structure ni d’instrument financier. Aujourd’hui, l’enlisement de la crise libyenne et les problèmes sécuritaires émanant du Sahel viennent compliquer la tâche de ce forum. Ces problématiques posent la question d’une paix réalisable dans la région où l’absence de cohésion entre Etats, pourtant élément moteur pour la coopération, se fait davantage ressentir notamment pour les pays du Sud. Le groupe 5+5 se heurte également au poids politique important de l’Union européenne qui impose ses limites et qui contrôle un certain nombre de dispositifs de coopération à l’instar de la politique européenne de voisinage (PEV). Autre élément bloquant : la question migratoire. Si cette question s’est rapidement hissée dans les priorités des pays du 5+5 notamment après 2001, les travaux de réflexion sont dans les faits inscrits dans l’agenda européen.

Cet ouvrage est important puisqu’il met en lumière la volonté conjointe de coopération dans cette région cruciale qu’est la Méditerranée occidentale. La diversification sectorielle à travers les rencontres des différents ministres (Transports, Affaires étrangères, Culture, etc.) est une illustration que ce groupe de rencontre gagne en substance. Dans cette optique et parce que la coopération est un élément clé pour favoriser le dialogue et la paix dans notre région, l’institut FMES partage cette réflexion puisqu’il a pensé, à l’issue du sommet des deux rives du président Emmanuel Macron, la création de sessions de formation destinées à la jeunesse des pays du 5+5.

S.S.

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