Les quatre premiers séminaires de la 34ème session méditerranéenne des hautes études stratégiques/ Cadres-Dirigeants ont conduit nos auditeurs à aborder concrètement, sur le territoire national et sur le terrain, les cinq grandes fonctions stratégiques qui structurent la stratégie de puissance et de défense de notre pays. Ils ont pu constater qu’étudier sous l’angle des cinq fonctions stratégiques des secteurs qui peuvent en paraître éloignés de prime abord, comme par exemple ceux de l’énergie ou du transport aéronautique, les éclaire d’un jour nouveau et les replace dans une logique globale, une vision et un projet. C’est celui de la souveraineté, de l’autonomie d’appréciation, de décision et d’action, capacités essentielles pour tout pays qui se veut une puissance d’équilibres. Or la notion même d’équilibres porte en elle une prise en considération de l’altérité et un besoin comme une recherche d’interactions avec les autres : amis, alliés, concurrents, compétiteurs mais aussi adversaires et parfois ennemis. Dans le monde d’interdépendances qui est le nôtre, autisme, isolement et repli sur soi ne sont tout simplement plus des options possibles. En conséquence, la puissance, le rôle, l’ambition et la vision de la France ne peuvent se comprendre et véritablement s’apprécier que si on les replace dans le contexte de l’Union Européenne (UE) et de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) auxquelles la France est partie. Pour chacune des deux, notre pays est même un membre fondateur et il faut toujours se souvenir que la France était présente et a été à l’initiative lorsque l’OTAN puis l’UE ont été créées !
Venir à Bruxelles afin d’explorer comment la France articule ses politiques : défense, économie, commerce, agriculture, environnement, recherche etc… avec et dans le cadre de l’Union Européenne et de l’Otan était donc une étape incontournable. C’était aussi et peut être avant tout une formidable occasion pour les auditeurs d’approcher de près et de comprendre de l‘intérieur le fonctionnement de L’Union Européenne et de l’Otan ; de revenir sur leur sens, leur genèse, leur projet, leur action et leur évolution. Avant d’aller plus loin, il est utile de rappeler le sens des mots et si on parle d’alliance pour l’Otan et d’union pour l’UE c’est bien la marque que les deux notions sont différentes malgré leur proximité sémantique. La définition même des deux mots « alliance » et « union » laisse en effet entrevoir les similitudes et les différences ces deux modes d’association. Une alliance exprime une volonté de solidarité entre des parties sans perte de souveraineté tandis que l’union fait référence à la création d’un ensemble nouveau qui capte une part de souveraineté en vue d’une meilleure efficacité par l’effet de groupe ou de masse. Expliquée de manière plus concrète, l’alliance qu’est l’OTAN résulte de la décision d’Etats souverains de se garantir mutuellement assistance et solidarité en cas d’agression ; c’est la notion de défense collective par solidarité que le fameux article 5 du Traité de l’Atlantique Nord définit. Autrement écrit, l’OTAN est en substance et au quotidien un forum de concertation entre Etats membres s’agissant de leur défense commune. Ce sont les Etats entre eux qui tranchent et décident de tout ; chacun d’entre eux est l’égal des autres et garde un pouvoir immense qui est celui de s’opposer à une décision qui ne lui convient pas ; c’est le principe de consensus. Toutes les décisions de l’OTAN sont prises par consensus, après échange de vues et consultation entre les pays membres. Comme une décision par consensus est prise d’un commun accord, l’annonce d’une « décision OTAN » exprime dès lors la volonté collective de tous les États souverains membres de l’Alliance.
L’Union Européenne est une tout autre chose. Elle procède du constat que la mise en commun de domaines centraux comme par exemple la politique commerciale, agricole ou migratoire et partant du transfert de souveraineté qui s’attache à chacune d’elles, est une solution bien plus bénéfique et efficace que de les conserver sous stricte compétence nationale. En corolaire, l’union suppose donc la création d’institutions législatives et exécutives capables de gérer en commun, au nom et au bénéfice de tous, les domaines qui lui ont été transférés. C’est à cela que servent essentiellement la Commission Européenne et le Parlement. Pour autant, les autres domaines qui restent de la responsabilité des Etats membres : la défense et la politique étrangère ou les questions sanitaires par exemple gagnent aussi à être coordonnées entre Etats membres. C’est fait selon une approche intergouvernementale au sein du Conseil européen où les Etats membres discutent et se concertent sur ces domaines dont la responsabilité n’a pas été transférée à l’instance communautaire : la Commission. On remarquera aussi que l’Union Européenne et l’Otan parlent de « conseil » pour définir les instances dans lesquelles les Etats siègent et négocient entre eux : Conseil de l’Atlantique Nord d’un côté, Conseil européen de l’autre. Une fois encore les mots ont un sens et y revenir permet de bien comprendre ce que sont et font ces différentes institutions et leurs organes.
C’est par l’UE et la Commission européenne que les auditeurs de la 34ème SMHES/Cadres –Dirigeants, accompagnés cette fois par l’Amiral Pascal AUSSEUR, Directeur Général de la FMES, ont débuté leur odyssée bruxelloise le 08 février matin. Chaleureusement accueillis par Madame Nicole PEIL au sein du grandiose bâtiment Charlemagne, sis au cœur du quartier Schuman et non loin de l’emblématique bâtiment Berlaymont, les auditeurs y ont successivement entendu les exposés de Madame Lucile COLLIN puis de Monsieur Patrick SIMONNET.
Dans une démarche très pédagogique, Madame COLLIN a présenté les différentes institutions de l’UE et leurs rôles respectifs. Imageant son propos sous le prisme de « quireprésente et porte la voix de qui » elle a rappelé que la voix des citoyens de l’UE est portée par le Parlement européen, celle des domaines mis dans la corbeille commune l’est par la Commission européenne et qu’enfin celle des Etats l’est par le Conseil européen. Madame COLLIN a ensuite détaillé le rôle de chaque institution et tout particulièrement celui de la Commission. Cette dernière est tout particulièrement chargée de la mise en œuvre des politiques que les Etats membres ont transférées à l’Union de manière exclusive comme par exemple le commerce et la concurrence ou de manière partagée comme l’agriculture ou l’environnement. Dans son fonctionnement, selon que le domaine est exclusif à la Commission ou qu’elle y a une action partagée ou encore en appui comme c’est le cas pour la santé ou l’Education, la Commission produit un droit dérivé. Il est contraignant sous la forme de règlements et de directives applicables à tous et qui s’imposent sur le droit national des pays membres dans les domaines considérés. Ce droit dérivé est non contraignant pour les domaines partagés ou ceux pour lesquels la Commission européenne ne fournit qu’un appui ; ce droit prend alors la forme de recommandations. Pour autant l’identité des Etats membres n’est pas totalement exclue de l’équation car chaque pays membre a un commissaire qui siège à la Commission. Néanmoins, la mission de tout commissaire est bien la mise en œuvre de la politique commune dans son domaine de compétence et il se doit de toujours agir dans l’intérêt commun. Les auditeurs ont alors posé la question de leur légitimité et au moins celle des figures emblématiques de la Commission à savoir son Président et son vice-Président. Dans le détail le processus de désignation des commissaires européens, après proposition des gouvernements des Etats membres, suit un parcours bien normé et transparent où le Conseil et le Parlement européen ont un rôle central. Toutefois l’idée de renforcer le caractère démocratique de ce processus de nomination revient régulièrement. Ainsi en 2010 le Président du Parlement européen Jerzy BUZEK proposa que les commissaires fussent élus directement. A cette fin ils pourraient alors être placés en tête des listes aux élections européennes et obtenir un nombre de suffrage minimal pour pouvoir ensuite être nommés. Un tel dispositif leur donnerait individuellement, mais aussi à l’institution dans son ensemble, un mandat démocratique plus net. Dans la même veine, le questionnement sur la réorganisation de la responsabilité au sein des instances de l’UE revient régulièrement et c’est un vrai débat démocratique. Beaucoup plaident ainsi pour une recomposition des équilibres au profit du conseil qui ne semblerait pas illogique, en particulier à la lumière des hypothèses d’élargissement de l’Union Européenne.
En écho avec l’intervenant suivant, Monsieur Patrick SIMONNET, Madame COLLIN a également présenté les organismes dépendants de la Commission et tout particulièrement le service européen d’action extérieure (SEAE) qui est en charge de l’action diplomatique de l’UE. Ce service a à sa tête le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et ce dernier est également le vice-Président de la Commission européenne. Le SEAE a la lourde charge de coordonner l’action de l’UE et celle de ses Etats membres en matière de politique étrangère et de relations internationales. A titre d’exemple, Monsieur SIMMONET qui a été récemment nommé représentant de l’UE pour la méditerranée, a décrit aux auditeurs son rôle et son action dans ce périmètre particulier. Si on garde en tête le thème qui structure les travaux de la 34ème SMHES à savoir les conséquences en Méditerranée de la guerre en Ukraine, l’exposé de Monsieur SIMONNET tombait à point nommé. Ce dernier a dépeint les enjeux des nombreuses crises en cours dans le bassin méditerranéen et dans ses approches et tout particulièrement la guerre qui oppose Israël au Hamas avec ses répercutions en mer Rouge. Sans masquer les difficultés qu’il y a à harmoniser une approche commune de cette crise qui polarise fortement les opinions dans bien des pays de l’UE, Monsieur SIMONNET a montré comment l’UE est un acteur direct de sa gestion notamment dans la mise sur pied de missions à caractère humanitaire ou militaire. Il a terminé son propos en insistant sur la nécessité de porter un regard global et stratégique sur le nœud de crises qui se développent en Méditerranée afin de bien identifier qui en sont les principaux responsables mais aussi pour distinguer quels jeux géopolitiques s’y mènent et quels grands acteurs mondiaux s’y impliquent.
L’après-midi du 08 février a ensuite été consacré à l’OTAN et les auditeurs ont eu le privilège d’être accueillis à son siège installé à Evere au nord Est de Bruxelles depuis 1967. Il faut à cet égard se souvenir qu’avant cette date le siège de l’OTAN se trouvait à Paris. Lors de sa création en 1949, l’organisation installa son siège à Londres puis, en 1950, il fut décidé de l’établir à Paris en raison de la position centrale qu’occupe la capitale française et des excellents moyens de communication dont elle dispose. C’est ainsi que l’Alliance atlantique occupa initialement des locaux temporaires au palais de Chaillot, en attendant la construction d’un bâtiment spécifique sur un terrain, porte Dauphine, offert par la France en avril 1954 et sur lequel le « Palais de l’OTAN » fut bâti entre 1955 et 1957. Le siège de l’OTAN en est parti en 1967 à la suite de la décision du général de Gaule de retirer la France d’un commandement intégré qu’il jugeait trop attentatoire à la nécessaire souveraineté qu’un pays doit garder sur ses capacités nationales en matière de défense. A Evere, la siège de l’OTAN a encore bougé puisqu’il s’est installé depuis 2017 dans un impressionnant bâtiment de verre et d’acier dont l’aspect austère et grandiose intimide tout nouveau visiteur. Le message est clair et voulu : l’organisation qui se dote d’un tel siège est sérieuse, solide et puissante et il ne fait aucun doute qu’un tel message porte.
Monsieur Damien ARNAUD, coordinateur des engagements et des relations stratégiques au sein du service diplomatique de l’OTAN a été le principal superviseur de cette visite. Prenant lui-même la parole il a délivré aux auditeurs de la 34ème SMHES un premier exposé particulièrement vivant et complet brossant l’histoire de l’OTAN et le panorama des défis qui l’attendent. Revenant sur les différentes périodes que l’Alliance a traversées depuis sa création, Monsieur Arnaud a montré sa capacité d’adaptation et sa réactivité sans que pour autant ses principes fondamentaux eussent jamais été remis en cause. Parmi ces principes figure en premier lieu le fait que l’OTAN est et reste une alliance d’Etats souverains qui ont consenti à se concerter pour mieux se défendre collectivement. La nature profonde de l’OTAN est donc très différente de celle de l’UE car l’Alliance n’implique aucun transfert de souveraineté. L’Alliance est et reste avant tout un forum où les Etats se parlent et se concertent. Lorsqu’ils décident de coopérer et d’agir c’est exclusivement en vertu d’un consensus. A la différence de l’unanimité où tout le monde doit donner la même réponse, le consensus c’est quand personne ne dit non. La nuance peut paraître subtile mais elle change tout et en particulier elle évite bien des blocages. Ensuite Monsieur ARNAUD a détaillé les nombreux défis auxquels l’OTAN et ses pays membres font face. En tout premier lieu, la guerre en Ukraine dans laquelle l’OTAN ne s’implique pas en tant que telle tandis que de nombreux pays membres le font. Le défi est de taille et toute la difficulté consiste pour l’OTAN à ne pas sortir de son rôle tout en optimisant les effets et les bénéfices que tirent les pays membres de leur appartenance à l’Alliance : standardisation capacitaire et opérationnelle, mutualisation, interopérabilité, plans de mouvements et d’engagements, etc. Ensuite dans un discours à trois voix, celles de Madame ROBERTS et de Messieurs WIECZORKIEWICZ et GILES, a été exposé la manière dont l’OTAN appréhende les thèmes de rupture et comment elle s’y adapte. Les auditeurs ont pu ainsi découvrir comment l’OTAN comprend et gère l’hybridité sans cesse croissante dans les opérations et les crises contemporaines ; comment et pourquoi l’Alliance considère que l’énergie et le climat généreront des ruptures majeures, comment et pourquoi le domaine cyber nécessite une attention et des investissements soutenus ? L’ensemble de ces exposés a donné aux auditeurs l’image d’une organisation attentive et agile en dépit de sa taille. Par-là elle continue de démontrer sa pertinence et le fait que les 75 années de paix que ses membres ont connues depuis 1949 ne sont pas le fruit du hasard. Elles sont le résultat direct et probant d’une alliance qui fonctionne parce qu’elle a su s’adapter aux changements et aux ruptures de toute nature qui ont régulièrement émaillé son histoire. Cette après-midi à la fois dense et studieuse s’est ensuite poursuivie avec un dernier exposé fait par le Colonel PEYTAVIN qui a détaillé les défis que l’OTAN identifie sur son flanc Sud : migrations, flux énergétiques, ingérences russes et chinoises, emballement des crises en Lybie, en Syrie, en Irak, tensions avec l’Iran, instabilité politique et sociale dans les pays du Maghreb, frictions entre la Turquie et la Grèce, etc. Le catalogue semble sans fin et il indique bien que le flanc Sud de l’Alliance est au moins aussi inquiétant que son flanc Est. L’Otan en est consciente et elle agit pour ne se faire ni surprendre ni contourner dans cette zone très sensible.
Enfin, à la faveur d’un petit moment de convivialité, les auditeurs de la 34ème SMHES ont eu le rare privilège de pouvoir échanger avec Mesdames Marie DOHA-BESANCENOT et Marguerite RABASSI. Respectivement Secrétaire Générale Adjointe de l’OTAN pour la première et Représentante adjointe de la France au siège de l’OTAN pour la seconde, ces deux personnalités françaises de très haut niveau ont partagé avec les auditeurs leur expérience, leur vécu et leurs avis sur l’OTAN et la place majeure que notre pays y tient. Nul doute que ce moment d’échange spontané et très amical a marqué les auditeurs de la 34ème SMHES ; c’est une précieuse marque de considération qui leur a été adressée et le message ne leur a pas échappé.
La seconde journée du séminaire bruxellois de la 34ème SMHES a été consacrée aux organes et outils de l’UE en matière de gestion de crise. Cette journée s’est articulée entre une matinée consacrée à l’Etat-major de l’Union Européenne (EUMS) et en une après-midi pendant laquelle les officiers français de la représentation de défense auprès de l’UE nous ont fait part de leur expérience. De cette journée se dégage la conclusion que même si l’UE ne s’engage pas dans des opérations majeures et de haute intensité, les Traités ne le prévoient pas et l’OTAN est faite pour cela, elle fait pourtant beaucoup en matière de gestion de crise mais on le sait peu.
Les officiers de l’EUMS qui sont intervenus durant la matinée sous la supervision du général de brigade Jean Philippe LEROUX directeur des opérations de l’état-major de l’Union européenne à Bruxelles, ont tout d’abord respectivement présenté la place, le rôle et les missions des différents organes à vocation militaire au sein des institutions européennes. Le Lieutenant-Colonel Coralie FELBLINGER, qui occupe la fonction d’assistant militaire du général BRIEGER, actuel président du comité militaire de l’UE (CMUE), a ouvert la séquence en présentant la composition, le rôle et le fonctionnement du CMUE. Organe sommital de nature militaire au sein des institutions européennes, le CMUE est une structure mise en place dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne pour donner des avis militaires et émettre des recommandations sur les questions militaires au profit du comité politique et de sécurité du Conseil de l’UE. Son rôle est donc essentiellement d’éclairer les décisions du conseil de l’UE en matière militaire et de ce fait le CMUE n’a pas de responsabilités directes de commandement.
Le CMUE donne des directives à l’état-major de l’Union européenne (EMUE) qui est la seconde instance de l’UE à vocation militaire. Dépendant organiquement du SEAE déjà évoqué plus haut, l’EMUE dans lequel sert le général Jean Philippe LEROUX est quant à lui un état-major de niveau politico-militaire dont les principales fonctions sont l’alerte stratégique, l’évaluation de situation et la planification stratégique. De l’EMUE dépend enfin la capacité militaire de planification et de conduite (MPCC selon son acronyme anglais) qui a pour rôle essentiel d’assurer le commandement des missions militaires non exécutives de l’UE. Il assure le contrôle stratégique militaire hors théâtre afin d’assurer la planification de la conduite des opérations.
On comprend rapidement de cette structure et de la définition du rôle de chacune de ses strates, que l’UE n’entend pas conduire des opérations dites exécutives, c’est-à-dire qui impliquent l’usage délibéré de la force pour accomplir les missions. Il faut en effet se rappeler que jamais les Traités ne le suggèrent et si l’UE peut donner l’impression d’être un acteur en matière militaire c’est strictement dans le cadre de la Politique de Défense et de Sécurité Commune (PSDC). En parfait alignement avec les termes du Traité de Lisbonne la PSDC ne reconnaît donc de responsabilité à l’UE que dans le cadre des missions dites de Petersberg : missions humanitaires et d’évacuation de ressortissants, missions de maintien de la paix, missions de gestion de crise avec éventuellement rétablissement de la paix. Cependant, les crises de la dernière décennie et essentiellement la guerre en Ukraine ont néanmoins conduit les Européens à repenser cette approche et ils l’ont fait avec les travaux sur la Boussole Stratégique.
Document élaboré par le SEAE en 2020 et 2021 et adopté par le Conseil Européen en 2022, c’est à dire au moment où la guerre en Ukraine a éclaté, la Boussole Stratégique a pour objectif de faire de l’UE une garante de sécurité plus forte et aux capacités renforcées. L’UE entend être en mesure de protéger ses citoyens et de contribuer à la paix et à la sécurité internationales et pour ce faire, elle structure désormais son action autour de quatre piliers : agir, protéger, investir, coopérer. Dans le détail, il s’agit de ne plus s’interdire d’agir de manière concertée et délibérée sur le sol européen et le changement d’état d’esprit que cette Boussole Stratégique traduit parmi les Européens est majeur. Pour autant il y a encore loin de la coupe aux lèvres et il apparaît que des freins importants se dressent encore sur le chemin d’une UE qui prendrait vraiment en main sa sécurité. Le premier de ces freins, c’est la grande faiblesse des ressources et des capacités militaires dont les Etats membres disposent. Elles ont considérablement fondu durant les 3 dernières décennies ; elles sont partagées avec l’OTAN et elles demandent beaucoup de temps et d’argent pour se reconstituer notamment lorsque plus rien n’existe. Le second frein c’est le mode de gestion de l’UE. Différent de l’approche de l’OTAN par consensus, l’UE gère les questions et les sujets de la PSDC à l’unanimité et si un seul membre dit non c’est le blocage. Le dernier frein c’est l’absence d’une structure de commandement et de contrôle (C2) permanente, intégrée, équipée et entraînée propre à l’UE et capable de conduire sur un théâtre une opération complexe de nature exécutive. S’il faut le faire l’UE doit alors faire appel aux capacités de l’OTAN en application des accords de coopération dits de « Berlin + » ou à des capacités nationales or on a vu qu’elles sont rares et beaucoup d’entre elles sont généralement dédiées à l’OTAN.
Néanmoins sous la pression des crises actuelles : la guerre en Ukraine et le confit à Gaza avec ses répercussions en Mer Rouge, les choses bougent dans le bon sens. C’est ce qu’a confirmé le général Nicolas CHAMBAZ, adjoint au général représentant la France auprès de l’OTAN et de l’UE. Lors de l’exposé qu’il a fait à la session le 09 février après midi, le général, qui est plus particulièrement chargé de l’UE, a décrit son rôle et celui de son état-major. Confirmant la vision du général LEROUX sur les forces et faiblesses des organes de l’UE qui s’occupent des questions de défense et des sujets militaires, le général CHAMBAZ a aussi montré que ces outils peuvent aussi être remarquablement réactifs et efficaces lorsque les Etats membres s’entendent et le veulent. Trois exemples récents le prouvent. Le premier concerne la crise en Mer Rouge et le lancement prochain de la mission Aspides qui verra des bâtiments de guerre de pays membres de l’UE participer à la protection active des navires marchands. Très rapidement mise sur pieds après avoir obtenu l’accord des 27, cette mission démontrera l’engagement de l’UE dans les crises actuelles. Le second exemple ce sont les efforts faits par l’UE pour améliorer concrètement la mobilité militaire en Europe avec la mise en œuvre concrète d’un plan d’action très complet adopté par le Conseil Européen en 2020. Enfin c’est l’engagement de l’Europe au profit de l’Ukraine est qui est l’exemple le plus parlant de l’implication active et concrète de l’UE dans les crises au travers de la mission EUMAM (EU Military Assistance Mission in support of Ukraine). EUMAM, on le sait peu, a permis des transferts de matériels, des financements spectaculaires et l’entraînement de milliers de soldats ukrainiens. Ainsi l’Union prend toute sa place en complément de l’aide procurée selon une approche bilatérale par nombre de ses pays membres. L’Union agit en particulier grâce à la facilité européenne pour la paix (FEP)qui s’est révélée être un mécanisme de financement particulièrement réactif. La FEP est née en mars 2021 d’une combinaison entre le mécanisme Athéna qui servait à financer les missions et opérations de l’UE et la facilité africaine de paix (FAP) qui servait à financer des mesures d’assistance auprès des pays partenaires d’Afrique et se limitait aux équipements non létaux. La FEP permet le financement des coûts communs des opérations et missions de la PSDC, le soutien des opérations de maintien de la paix des organisations internationales et le développement des capacités militaires des Etats y compris des capacités létales et tout particulièrement la livraison de matériel militaire. En appui du général CHAMBAZ le Commissaire en chef de 1ère classe CAFFERATO a détaillé aux auditeurs les effets de l’arrivée de cet outil de financement dans la panoplie de ceux dont l’UE dispose. Dans un premier temps la FEP a démontré son efficacité en situation d’urgence et notamment pour le financement immédiat des opérations d’assistance à l’Ukraine qui ont pu être lancées en 4 jours en février 2022, c’est-à-dire plus vite que n’importe quel autre contributeur. De fait, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a clairement conduit à un changement d’échelle de la FEP. Son budget initial fixé à 5,7 milliards prévu pour 7 ans a été dépensé au profit de l’Ukraine dès 2023 et depuis il a été abondé à 2 reprises pour atteindre aujourd’hui les 12 milliards d’euros. La FEP a véritablement pris son essor depuis l’agression russe, et s’avère très structurante en terme de financement rapide et massif des missions et des opérations de l’UE mais encore plus comme un outil de politique étrangère.
Au bilan, ces éclairages donnés par le général CHAMBAZ et ses officiers montrent clairement que la Boussole Stratégique d’une part et les crises récentes d’autre part ont sorti l’UE de sa frilosité et de sa léthargie et qu’elle devient vraiment un acteur majeur de la sécurité et de la défense en Europe. Il en ressort aussi qu’opposer UE et OTAN sur ces sujets n’a pas de sens et que les considérer dans une perspective de complémentarité en a bien plus. S’il ne fallait retenir qu’une leçon de cet intense séminaire bruxellois de la 34ème SMHES Cadres-Dirigeants c’est bien celle-là : L’OTAN et l’UE ont des approches bien plus complémentaires que différentes en matière de défense et de sécurité et les crises du monde qui vient représenteront de tels défis que, comme l’a si bien dit le général CHAMBAZ dans sa conclusion « Nous aurons besoin de plus d’OTAN et de plus d’UE ».