Emmanuel Véron est spécialiste de la Chine contemporaine et enseignant-chercheur associé à l’Inalco et à l’Ecole navale.
Depuis 15 ans, la relation sino-africaine a évolué en faveur de Pékin plutôt qu’en faveur des pays africains. Le facteur économique est l’un des vecteurs essentiels du déploiement stratégique chinois en Afrique, permettant d’assoir une relation asymétrique et de dépendance. Cependant, la Chine est également de plus en plus présente en Afrique dans le champ sécuritaire. Elle poursuit aussi en Afrique, depuis l’ère de Mao Zedong, le tissage de liens politiques pour faire levier contre l’Occident et promouvoir son propre modèle normatif. Cela passe par la promotion de normes et de standards à dominante chinoise et une présence tous azimuts de l’économique au militaire.
Indéniablement, les relations entre l’Afrique et la Chine (République populaire de Chine – RPC) forment un faisceau majeur des relations internationales. Essentiellement dans le champ des relations dites « sud-sud », Pékin a développé de manière prioritaire une politique étrangère tous azimuts en direction de l’ensemble du continent, sur la base de la perception stratégique de Mao Zedong dès les années 1950[1].
Les formulations éloquentes à l’instar de « Chinafrique » en France et dans l’espace francophone, ou d’Afrique, « le deuxième continent chinois » dans l’espace anglo-saxon montrent le poids de ces relations. Dans le prolongement de la politique dite « aller à l’extérieure » (zouchuqu) de Jiang Zemin en 1999, l’actuelle politique africaine de la Chine est à la croisée des chemins entre dépendance et puissance. Les visites d’Etat se sont accumulées depuis vingt ans[2], poursuivant ainsi la tradition de la diplomatie chinoise d’opérer la première visite diplomatique de l’année en Afrique. L’Etat-Parti a mis régulièrement à jour sa politique africaine à travers la publication de livres blancs (2006, 2013 et 2021)[3]. Si les années 2000 montraient l’essor économique et l’abaissement des droits de douanes, les versions récentes suggèrent une intégration croissante de l’Afrique dans le schéma de puissance globale de Pékin, parlant de « la Chine et l’Afrique dans la nouvelle ère : un partenariat d’égalité ».
D’un point de vue économique, politique et diplomatique, le champ des relations sino-africaines est complexe, très souvent asymétrique en faveur de Pékin, mais aussi variable selon les contextes nationaux, régionaux et locaux. D’une manière générale, les liens avec l’Afrique relèvent d’un fragment important d’une stratégie globale de la Chine que cet article propose d’analyser.
L’Afrique dans la « grande stratégie » de Pékin
La grande stratégie de Pékin est composée de trois cercles ou principes fondamentaux. D’abord, le Parti-Etat consolide sa puissance nationale (de l’économie au domaine militaire en passant par les technologies et l’innovation) ; puis, il s’agit d’entraver et de contourner les pressions américaines (aujourd’hui à l’échelle globale) ; enfin, de consolider sa place et son rôle de puissance dans le monde en re-trouvant la primatie des « Suds », une sorte de doyen des pays non-occidentaux, émergents et en développement, souvent non-démocratiques. L’Afrique représente une place singulière dans ce dispositif. Pour Pékin, cet ensemble d’Etats hétérogènes forgerait un ciment commun anti-occidental pour mieux assoir ses intérêts, à la fois commerciaux, technologiques mais aussi diplomatiques. L’ensemble des Etats non-occidentaux et par là même, les régimes autocratiques constituent le plus utile des leviers (« pivot » zhidian et « ligne extérieure » waixian) de la Chine, pour discréditer la puissance américaine et imposer son récit de puissance. L’Afrique est depuis Mao Zedong le « pivot » prioritaire et cette « ligne extérieure » privilégiée pour réduire l’espace stratégique occidental. A l’instar de la stratégie d’encerclement des villes par les campagnes prônée par Mao pour prendre le pouvoir, l’espace des mondes non-occidentaux serait décisif pour y augmenter son aura et réduire celle de l’Occident.
Après la Conférence de Bandung (1955), Pékin a initié une politique singulière à l’endroit des jeunes Etats issus des dislocations des empires coloniaux. Durant près de deux décennies, alors que les troubles politiques internes à la République populaire de Chine (RPC) suggèrent un certain isolement, Mao élaborera une approche théorique des relations internationales qui prendra le nom de « Théorie des trois mondes ». Selon Mao, le système international est composé trois niveaux ou « trois mondes » : le face à face Etats-Unis et URSS, puis, les puissances moyennes industrialisés et développées (Occident et Japon), enfin, le Tiers-monde qui avait, selon Mao, vocation à être dans le sillon de Pékin. Cette analyse prévaut aujourd’hui encore. Ainsi, la politique africaine de la RPC est-elle ancienne, d’abord marquée et structurée par l’établissement de liens diplomatico-politiques privilégiés (avec Nasser, le Front de libération nationale algérien, l’Union des populations du Cameroun, l’African National Congress en Afrique du Sud, le Mouvement populaire de libération de l’Angola , le Chama cha Mapinduzi tanzanien ou l’Union nationale africaine au Zimbabwe etc.) afin de valoriser et amplifier l’aura « maoïste » (des années 1950 à 1970), puis de constituer, sur la base de ces liens politiques, un sanctuaire économico-extractif (des année 1900 à aujourd’hui) et de réduire l’espace stratégique taïwanais (depuis les années 1950)[4].
Quatre grands axes stratégiques et constants depuis les années 1950 se dégagent ainsi :
- Pékin cherche à légitimer son rôle de « grand pays en développement » (fazhanzhong daguo ou pays en développement – fazhanzhong guojia) capable d’investir (« diplomatie du chéquier ») et d’offrir une alternative au consensus de Washington.
- Le régime vise aussi à éviter que ne se constitue une coalition antichinoise dans les organisations internationales : il s’agit donc de dissiper l’idée d’une « menace chinoise » et de resserrer l’étau diplomatique autour de Taïwan pour l’étouffer. Au début de l’année 2024, Taïwan n’est ainsi reconnuen Afrique que par un seul Etat : l’Eswatini (ex Swaziland).
- La RPC, dont la dépendance aux ressources naturelles s’est considérablement accrue depuis 25 ans, vise aussi à sécuriser ses approvisionnements en pétrole, gaz, matières premières (minerais), poissons et produits agricoles.
- De manière récurrente et croissante depuis deux décennies, Pékin se positionne sur les grands dossiers internationaux tout en discréditant les démocraties occidentales et bénéficie de la neutralité ou de la convergence d’un très grand nombre d’Etats africains.
Politiquement, le Parti-Etat a développé en Afrique des liens denses et multiples par l’intermédiaire de ses outils privilégiés : le département de liaison internationale du PCC d’une part et le Front-Uni[5] d’autre part. Ainsi, on identifie en 2023, un faisceau de relations entre le Département de liaison international du PCC avec plus 110 partis politiques dans 51 pays africains[6]. Le Parti-Etat chinois cherche par ce biais à amplifier son influence politique d’une part et à bonifier l’image de la Chine et de son régime d’autre part.
Enfin, Pékin a institutionnalisé le Forum Chine-Afrique (FOCAC) : le FOCAC est devenu une plateforme politique qui centralise et coordonne la relation sino-africaine. Chaque sommet sino-africain (tenus tous les trois ans, alternativement à Pékin et dans une capitale africaine) est ainsi organisé par le FOCAC, comme l’ensemble des réunions et dialogues sino-africains de la diplomatie publique. En vingt ans, le FOCAC s’est donc considérablement consolidé et a élargi ses compétences fonctionnelles et techniques.
Asymétrie, maillage et opportunisme chinois plutôt que partenariat économique avec le continent
Depuis 15 ans, Pékin s’est imposé comme le premier partenaire commercial de l’Afrique, puis comme le premier créditeur bilatéral du continent. Le volume du commerce bilatéral a été multiplié par 30 en vingt ans. Cette dynamique est évolutive, s’appuie sur la constitution d’un réseau de relations et instrumentalise une asymétrie durable. Depuis 2009, la Chine est en effet devenue le premier partenaire commercial du continent africain, bien que les échanges commerciaux demeurent faibles (notamment l’investissement chinois en Afrique) au regard des échanges économiques avec l’Asie, l’Europe ou l’Amérique du Nord. En 2023, le commerce bilatéral sino-africain a atteint 282 milliards de dollars. Cependant, l’Afrique représente seulement 3 % du commerce extérieur chinois. En 2021, 14 % des échanges extérieurs africains intervenaient avec la seule RPC. Certains pays africains considérés individuellement sont très dépendants à l’égard de la Chine. A titre d’exemple, 80 % des infrastructures sont réalisées par des opérateurs chinois à Djibouti, au Nigéria, au Congo, en République centrafricaine, ou en Guinée. Après la crise du Covid-19, le déficit commercial de l’Afrique s’est creusé pour atteindre 64 milliards de dollars, la Chine ayant enregistré une baisse de ses échanges avec ses principaux partenaires sur le continent – l’Afrique du Sud, l’Angola, le Nigeria, la RDC et l’Égypte – qui sont principalement des pays riches en ressources naturelles[7] que Pékin a sanctuarisé depuis plusieurs décennies.
Economiquement, l’asymétrie a été soutenue par les prêts chinois sur la période des 20 à 30 dernières années. Le volume de prêts est estimé à plus de 170 milliards de dollars entre 2000 et 2022, principalement orientés vers le financement d’infrastructures (ponts, routes, rails, infrastructures urbaines etc.) et divers projets de développements (zones franches, mines, zones de développement économiques), l’ensemble réparti entre 49 pays africains et plusieurs institutions régionales[8]. Un pic a été atteint en 2016 avec un volume de 28,4 milliards de dollars. Depuis, les montants alloués ne cessent de diminuer, corrélativement aux moyens chinois réduits d’une part, et à une décision politique du Parti-Etat de glisser vers une forme nouvelle d’engagement financier en Afrique, quel que soit le contexte africain. L’ensemble du continent est impliqué dans ces dynamiques de prêts, cependant, les observateurs ont démontré qu’il y a une forte concentration dans la diffusion des prêts entre seulement quelques Etats africains. A titre d’exemple, l’Angola recevait près de 19 milliards de dollars de prêts pour l’année 2016. Plus généralement, dans la période prépandémique, les deux tiers des prêts chinois se sont concentrés sur sept pays africains (Angola, Ethiopie, Zambie, Kenya, Nigeria, Soudan, Cameroun).
Région | Afrique du nord | Afrique centrale | Afrique de l’ouest | Afrique de l’est | Afrique australe |
Part des prêts 2000-2022 | 4 % | 7 % | 10 % | 15 % | 64 % |
Sources : https://thediplomat.com/2024/01/what-lies-ahead-for-chinese-lending-to-africa/ https://www.eiu.com/n/china-and-africas-long-road-to-debt-recovery/
La dette des pays africains envers la Chine est devenue un sujet important, sinon majeur, mais assez hétérogène selon les contextes bilatéraux. Cette dette est en miroir du volume des prêts octroyés depuis deux décennies. Ainsi, le volume peut-il varier de plus de 60 % à 11 % selon les Etats. Djibouti, l’Angola, la Zambie, le Congo ou le Nigeria figurent en haut du spectre avec plus de 60% de dette bilatérale avec la Chine, tandis que le Soudan, la Mauritanie, le Kenya sont en dessous de 25 à 20 % de dette bilatérale. Si la Chine n’est pas la seule responsable de l’endettement africain, il n’en demeure pas moins qu’elle en a été un acteur majeur au cours des dix dernières années sur le continent. Les experts estiment que la Chine détient aujourd’hui plus de 60 % de la dette extérieure bilatérale africaine – hors institutions financières internationales.
La dette publique en Afrique a atteint le chiffre de 1,8 trillion de dollars en 2022, ce qui représente une augmentation de 183 % depuis 2010. Ce chiffre est presque 300 % plus élevé que le taux de croissance du produit intérieur brut de l’Afrique au cours de la même période.
La stratégie économique chinoise se concentre d’abord sur des prêts chinois dans des secteurs ciblés : extractions de minerais, hydrocarbures, autres ressources naturelles. Puis, les prêts ciblent les grands projets d’infrastructures (Djibouti, Ethiopie, Nigeria, Congo, etc.) et enfin des prestations de services. Quatre grands opérateurs chinois[9] concentrent la très grande majorité des dynamiques des prêts depuis plus de 20 ans. Ces banques n’ont pas tout à fait la même nature (entre « banque politique » et « banque commerciale »), mais toutes sont liées au Parti-Etat, qui opère au plan tactique selon les contextes locaux, au service d’une stratégie où la cohérence principale réside dans la sanctuarisation de ressources énergétiques, naturelles et agricoles d’une part et la construction d’infrastructures d’autre part.
La République démocratique du Congo (RDC) constitue un pays cible particulier dans le dispositif africain de la Chine (au même titre que la Guinée), en raison de sa richesse en minerais et en métaux rares : cuivre, or, cobalt, coltan, tungstène, bauxite, etc. A titre d’exemple, 70 % de l’approvisionnement mondial en cobalt est issue de la RDC. Depuis un peu plus d’une quinzaine d’années, ce sont précisément les acteurs chinois qui ont investi les mines de cobalt du pays, 15 des 19 mines de RDC. Le lithium africain suscite également les intérêts de Pékin. Du Zimbabwe au Mali (mine de Bougouni) en passant par la RDC et la Namibie, les acteurs miniers chinois et les outils de financement associés opéraient de manière accélérée avant la période de pandémie. Comme pour d’autres secteurs (technologies, agriculture, automobile etc.), Pékin a cherché à maîtriser l’ensemble de la filière de l’amont à l’aval. En ce sens, la domination de la Chine dans l’extraction (en amont) en Afrique lui assure ainsi une forme d’hégémonie industrielle (en aval)[10].
De plus en plus la Chine perçoit le continent africain comme un vaste marché sur lequel l’industrie chinoise et ses technologies innovantes (3G, 4G et demain 5G, téléphonies, réseaux, « caméras intelligentes », antennes et relais, câbles sous-marins, etc.), en tête, peuvent constituer une alternative aux solutions occidentales, renforçant le déséquilibre très important de la relation commerciale et la dépendance croissante des Etats africains à la RPC. Le développement des intérêts chinois induit un renforcement de sa présence militaire et sécuritaire.
En matière d’infrastructures, les ports représentent une dimension majeure. Le déploiement commercial chinois et les relations politiques favorables ont largement participé à la constitution d’un maillage portuaire (à usage dual) de l’ensemble du pourtour du littoral africain (El Hamdania – Algérie, Alexandrie – Egypte, Djibouti, Bagamoyo et Dar es Salam – Tanzanie, Lobito – Angola, Durban – Afrique du Sud, Kribi – Cameroun, Lomé – Togo, Nouakchott – Mauritanie, etc.). Le lancement du projet Belt and Road Initiative représente un aspect important de la stratégie économique chinoise en Afrique, en passant par Djibouti et l’Egypte.
Dans le même temps, Pékin encourage vivement la constitution de la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECA) d’une part et cherche à dissiper les critiques quant aux méfaits des formes variées d’hégémonie et de prédation chinoise sur le continent.
Pékin, acteur militaire et sécuritaire sous-estimé
Parallèlement au développement des liens politiques, diplomatiques et économiques, Pékin a déployé en Afrique une coopération militaire et sécuritaire multi vecteurs.
Tout d’abord, le maillage des infrastructures, notamment portuaires ci-dessus décrit, peut être utilisé à des fins civiles ou militaires et permet à Pékin de mieux maîtriser les points d’entrée/sortie[11] sur les territoires et d’y augmenter la sanctuarisation des produits échangés entre la RPC et le continent. Ces infrastructures sont en effet souvent dotées d’ équipements d’interceptions et d’écoute, renforçant le caractère sécuritaire de la présence de la Chine en Afrique.
Si depuis 2017 l’installation de la première base militaire[12] chinoise à Djibouti a révélé l’intérêt porté à l’Afrique par Pékin d’un point de vue stratégique, la réalité du déploiement armé chinois sur le continent répond à plusieurs logiques sino-africaines. L’évolution du contexte sécuritaire africain couplée à l’intensification des formes de présences chinoises d’une part, et l’évolution de la perception stratégique et sécuritaire de Pékin d’autre part ont induit trois formes de déploiement des forces armées et de sécurité de la RPC en Afrique :
- Premièrement, la base militaire de Djibouti[13] (« base de soutien de l’APL ») constitue l’infrastructure de l’Armée Populaire de Libération (APL) projeté, dont l’ampleur et les objectifs demeurent opaques.
- Deuxièmement, depuis plus de 15 ans, la mobilisation de troupes chinoises dans le cadre des opérations de paix des Nations unies assure une présence et une responsabilité chinoise sur le continent tout en permettant de mieux connaître les environnements sécuritaires des zones de missions, y compris une meilleure connaissance des forces occidentales déployées.
- Enfin, plus diffus et discrets, mais très nombreux, sont les réseaux de l’APL et de la Police Armée du Peuple (PAP) pour la sécurisation des intérêts chinois (mines, ambassades et consulats, entreprises, plateformes et sites d’extraction d’hydrocarbures, etc.), la formation[14] militaire et sécuritaire, la vente de matériel de guerre et la « protection des Chinois de l’étranger » (haiwai gongmin baohu). Il est estimé qu’évoluent sur le continent africain, plusieurs dizaines de milliers voire centaines des membres de l’APL et de sociétés militaires privées chinoises, sans port nécessaire de l’uniforme. Ces dernières opèrent sur l’ensemble du continent, au service des intérêts de Pékin.
Plus de trente Etats africains ont conclu des partenariats avec la RPC portant sur des accords stratégiques (formations, échanges de renseignements, ventes de matériels) et des traités d’extraditions. La RPC est le troisième fournisseur d’armes à l’Afrique. D’après le SIPRI, en 2023, la RPC représentait ainsi près de 20% des livraisons à l’Afrique subsaharienne, dépassant la Russie (dont les ventes d’armes en Afrique ont diminué en raison de la guerre en Ukraine).
Les vingt dernières années ont ainsi été marquées par la diffusion d’armes et systèmes d’armes de plus en plus modernes et lourds, alors que les armes légères dominaient jusque dans les années 2000. Depuis moins d’une décennie, les drones chinois (principalement Wing Long II et CH-4 – similaire au design du MQ-9) ont été l’un des principaux vecteurs de la diplomatie militaire dans le cadre de l’expansion des exportations chinoises. Ces livraisons viennent concurrencer les autres offres de drones (occidentaux, turcs, russes etc.) pour leur prix et leur utilisation. Au total, plus d’une dizaine d’Etats africains ont acquis des drones chinois (armés et de reconnaissance). Plus largement, la quasi-totalité des Etats africains achètent des armes chinoises. A titre d’exemple et parmi les principaux pays qui achètent des armes à la Chine, retenons : l’Algérie (corvette, aéronef, type 056, système de guerre électronique, missiles, drones Wing Long II etc.) ; Djibouti (sociétés de sécurité, missiles, navire moyen de débarquement, aéronefs) ; l’Egypte (drones Wing Long II, missiles, aéronefs) ; l’Ethiopie (sociétés de sécurité, artillerie, missiles) ; le Nigéria (aéronefs et drones, artillerie, véhicules blindés), le Soudan (société de sécurité, drones, missiles) ; la Tanzanie (système de guerre électronique, société de sécurité, véhicules blindés) ; le Rwanda (artillerie et missiles) ; Côte d’Ivoire (hélicoptères et blindés VN22B de Norinco) ; le Maroc (drones Wing Long II) ; la RDC (drones CH-4) ; la République centrafricaine (blindés, sociétés de sécurité etc.). Enfin, plusieurs milliers de policiers et de militaires africains sont formés en Chine dans un écosystème d’écoles et académies réparties en RPC. Ces formations sont anciennes (plusieurs dirigeants africains ont été formés en Chine) et se sont étoffées depuis 20 ans. C’est un vecteur majeur de l’influence militaire chinoise. De plus en plus, l’instruction et la prestation de service de sécurité par la RPC se développent sur le continent.
Carte :
Source : Courrier international. Pékin mène une diplomatie de l’armement en Afrique (courrierinternational.com)
En plus des forces armées et de sécurité, Pékin a consolidé la formation des magistrats et professions juridiques des élites africaines, ce qui participe à la diffusion de « normes chinoises » en matière de sécurité et de maintien de l’ordre. Plus généralement, l’ensemble du spectre de la formation correspond à ce que le Parti-Etat appelle le « travail politique militaire » (jundui zhengzhi gongzuo). Il s’agit de poursuivre et intensifier les objectifs politiques et militaires du PCC en Afrique de diffusion et d’influence du discours et normes chinoises pour transformer l’environnement cognitif du système international.
Enfin, dans le domaine spatial, plus de 20 Etats ont établi un partenariat avec Pékin : parmi les coopérations les plus intenses, on retrouve le Nigéria, l’Ethiopie, l’Egypte, l’Algérie ou l’Afrique du Sud. Si la coopération porte sur l’environnement et l’observation de la terre (météorologie, télédétection etc.), l’usage des satellites et de l’imagerie requiert une demande et une autorisation de l’administration idoine à Pékin par le pays africain demandeur.
Conclusion : Antagonisation du monde et avenir de la relation sino-africaine
La montée en puissance de la Chine en Afrique bouscule les équilibres géopolitiques. Pékin a intégré le continent africain à sa stratégie globale comme levier contre l’Occident. Lors du 9ème Sommet sino-africain du FOCAC, qui doit se réunir à Pékin à l’automne 2024, après celui de 2021 tenu à Dakar (pour partie en visioconférence), les 53 pays africains recevront sans doute un message politique de consolidation des antagonismes structurels « monde occidental contre monde non-occidental ». En effet, l’influence chinoise en Afrique s’appuie aussi sur une présence intense dans l’espace informationnel et culturel, la diffusion d’un discours normatif chinois et la proximité entretenue avec les élites politiques mais également avec la société civile. Si l’Afrique est convoitée par un jeu de puissances tous azimuts, Pékin demeure en bonne place et ne semble à ce stade pas débordée par les puissances du Moyen-Orient, le Japon, l’Inde ou les puissances transatlantiques anciennes et héritées toujours plus contestées. A un niveau stratégique, Pékin et Moscou semble agir de concert plutôt qu’en opposition. Les effets induits par Moscou bénéficient à la puissance chinoise dans l’antagonisation des mondes. La connivence avec la Russie, voire l’Iran, permet aussi à Pékin d’assoir en Afrique sa rivalité avec les Etats-Unis, notamment sur le plan commercial.
L’action internationale de Pékin a aussi consisté à initier un paysage international complet d’institutions et organisations (OCS, BRICS +, BRI etc.) permettant à la RPC de faire coexister un univers diplomatique, de normes et de standards à dominante chinoise : l’Afrique est particulièrement visée par cette approche fondée sur l’émergence d’enceintes multilatérales alternatives.
Enfin, à l’échelle de la « grande stratégie » chinoise aujourd’hui, l’ampleur et la réalité du champs de relations sino-africain soulèvent trois questions principales : la concurrence et la complémentarité avec les acteurs extrarégionaux, la trajectoire démographique africaine et celle de la Chine, enfin le poids des déséquilibres sociaux, économiques et environnementaux. La distance euclidienne dans la perception stratégique de Pékin serait l’élément de réponse immédiat aux deux dernières questions. Pour la première, la RPC poursuit son dessein de transformation du système international, afin de n’avoir aucun pôle symétrique à sa primatie inédite.
[1] En 2014, le Premier ministre Li Keqiang initiait, un schéma nouveau de la relation sino-africaine désigné « 461 » et articulé autour de quatre principes (égalité, confiance mutuelle, tolérance et innovation), de six projets de coopération (industrie, finance, lutte contre pauvreté, protection de l’environnement, échanges civils et culturels, paix et sécurité) et d’une plateforme appelée Forum Chine-Afrique (FOCAC).
[2] Entre 2014 et 2020, Xi Jinping effectuera 10 visites en Afrique, et après la période de pandémie de Covid-19 et la chute de ses déplacements internationaux, il se rendra en Afrique du Sud en août 2023 pour le sommet des BRICS. Au total, sur une décennie, c’est plus de 85 visites officielles étatiques chinoises qui ont été effectuées sur le continent africain.
[3] En 2014, le Premier ministre Li Keqiang initiait, un schéma nouveau de la relation sino-africaine désigné « 461 » et articulé autour de quatre principes (égalité, confiance mutuelle, tolérance et innovation), de six projets de coopération (industrie, finance, lutte contre pauvreté, protection de l’environnement, échanges civils et culturels, paix et sécurité) et d’une plateforme qui correspond au FOCAC.
[4] Le vote des 25 pays africains à la résolution 2758 en 1971 a été décisif pour Pékin à l’ONU. Plus tard, les pays africains ont contribué par leur soutien et vote à la montée en puissance de la Chine au sein de l’ONU
[5] Le Front-Uni (tongyi zhanxian) est une large structure au service du PCC répartie entre le Département du travail du Front uni, le travail de Front uni et le système de Front uni. Il s’agit d’une « galaxie » d’acteurs placés sous l’autorité du Parti-Etat qui cherche à recruter et rallier à sa cause des personnes, des institutions, des partis, toutes entités humaines, politiques et économiques.
[6] Ces relations sont très actives et animés par des rencontres successives entre universitaires, représentants de l’administration, du PCC et fonctionnaires de l’Etat-Parti. La fin des mesures restrictives liées à la politique « zéro Covid » donne lieu à un retour important des visites institutionnelles partout en Afrique et en Chine.
[7] Pékin perçoit le continent africain comme l’une des trois grandes régions mondiales d’approvisionnement en hydrocarbures avec la Russie/Asie centrale et l’Amérique latine pour diversifier ses importations du Moyen-Orient.
[8] Depuis la fin des années 1990, l’ensemble du continent africain, en écho aux logiques de développement et de financement de projets, a accueilli des opérateurs chinois pour le financement, la construction et la gestion des infrastructures. S’il n’est pas exhaustif (en lien avec la difficulté d’avoir une traçabilité totale des présences chinoises), le Global China Investment Tracker a montré que tous secteurs confondus (transports, minerais, finance, énergie, immobiliers, spatial, réseaux, infrastructures etc.) ce sont plusieurs milliers de constructions, investissements et prêts réalisés entre 2005 et 2023. Au total, plus de 25 zones industrielles ont été développées par la Chine et ses opérateurs. On compte entre 2016 et 2020 plus de 200 milliards de projets d’infrastructures (de palais à des zones portuaires en passant par des routes, des hôpitaux et infrastructures sportives etc.). Pékin a réalisé la construction du siège de l’Union Africaine (Addis-Abeba) et du siège de la CEDEAO à Abuja (Nigéria).
[9] Eximbank, China Development Bank, Industrial and Commercial Bank of China, Bank of China. S’ajoute à ces principaux acteurs, l’Agricultural Bank of China et la Construction Bank of China.
[10] Notamment des batteries lithium-ion et des voitures électriques.
[11] Les logiques portuaires correspondent selon les cas à des investissements, des gestions, des participations dans un ou plusieurs terminaux. Parmi les opérateurs chinois, China Communications Construction Company (CCCC) est l’un des principaux acteurs en complément de la société China Merchant, qui vise à créer des zones franches portuaires sur le continent.
[12] Plusieurs observations tendraient à montrer que Pékin cherche à obtenir une seconde base sur le continent.
[13] La base chinoise est directement installée sur la sortie de câbles sous-marins de Djibouti. Elle comporte une série de galeries souterraines, ce qui suggère une ampleur bien supérieure à ce qui est visible depuis l’extérieur. Enfin, la construction d’un quai pouvant accueillir des navires de grand tonnage induit la possibilité d’accueillir un groupe aéronaval.
[14] Ce sont plusieurs dizaines de milliers de bourses et cadres d’échange avec les pays africains qui peuvent être recensés sur une décennie. Ces programmes de bourses et de formations concernent un spectre complet de disciplines et de domaines d’études et ne sont pas limités au seul domaine de la défense et de la sécurité.