Le conflit entre la République Démocratique du Congo et le Rwanda est le fruit de plusieurs dynamiques structurelles, toutes aussi importantes les unes que les autres et qui contribuent à son caractère fondamentalement multidimensionnel.
– Les dynamiques territoriales et historiques qui renvoient à un « grand Rwanda » dominé par le royaume dont la monarchie était Nyanza et le monarque le mwami.
– Des dynamiques identitaires sont également à l’œuvre, dont les logiques sont doubles : d’une part, la présence sur le territoire de la RDC de populations rwandophones appartenant aussi bien aux communautés hutues que tutsi : les Banyamulenge sont des Tutsis du Sud-Kivu et les Banyarwanda sont des Hutus et Tutsis du Nord-Kivu. D’autre part, les répercussions génocide rwandais de 1994 perpétré par le régime du Président Juvenal Habyarimana contre la minorité Tutsi mais aussi contre les Hutus modérés ou de l’opposition politique (plus d’un million de morts en 3 mois) .
Aujourd’hui, deux récits s’affrontent. D’un côté, le Président Tshisekedi présente le M23 (mouvement du 23 mars à l’origine de la conquête de Goma et de Bukavu) comme la marionnette du Rwanda. La question des ressources naturelles est l’explication principale du gouvernement congolais pour expliquer l’agression rwandaise à travers le M23, présenté comme avant tout motivée par le pillage des minerais congolais avec la complicité de la communauté internationale. Le M23 est incontestablement instrumentalisé par le Rwanda, mais est aussi animé par un plan politique (cf. infra). De l’autre, est avancé l’argument ethnique sur lequel se positionne le Rwanda, qui s’appuie sur l’absence de reconnaissance par les gouvernements congolais successifs des communautés rwandophones du Congo. Cependant, les leaders des communautés tutsies congolaises répètent inlassablement qu’ils n’ont pas demandé de protection à Paul Kagame. Le Rwanda affirme aussi poursuivre les anciens génocidaires Hutus réunis au sein du FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda).
– Les dynamiques politiques : les rivalités entre les principaux acteurs qui dominent la scène intérieure congolaise depuis plus de 30 ans ressurgissent aujourd’hui, tantôt à travers les alliances de circonstances, tantôt à travers l’instrumentalisation des groupes armées de l’Est. Le M23 est ainsi animé par des motivations politiques qu’il cherche à imposer à travers ses opérations militaires. Il n’est pas uniquement un « proxy » du Rwanda, ni son bras armé pour la défense des Tutsis du Congo. C’est aujourd’hui la conquête du pouvoir à la tête de l’Etat congolais qui est affichée comme l’objectif poursuivi non seulement par le M23, mais aussi par Corneille Nangaa, ancien Président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), désormais à la tête d’un mouvement armé, l’AFC (Alliance du Fleuve Congo) : l’AFC est ainsi une coalition politico-militaire congolaise à part entière, à laquelle a été intégré le M23. Le M23 et l’AFC affichent un projet politique commun visant à reconquérir les grandes institutions nationales. Derrière l’AFC, certains voit l’ombre de l’ancien Président Joseph Kabila (qui fut Président de la RDC de 2001 à 2019), lui, même fils du Président Laurent-Désirée Kabila. Joseph Kabila avait été contraint en 2018 de se retirer de la scène politique mais avait conclu, avec la complicité désormais ouvertement assumée de Corneille Nangaa, un pacte électoral avec Félix Tchisekedi (fils de l’opposant historique Etienne Tchisekedi) pour favoriser son élection, tout en aspirant à continuer à exercer le pouvoir par procuration. Le Président Tchisekedi, élu en 2018 et réélu en 2024, s’est cependant émancipé de son mentor, qui désormais cherche à s’investir de nouveau sur la scène politique congolaise. Après avoir autoproclamé leurs propres institutions provinciales et municipales sur les zones qu’ils occupent au Nord et Sud-Kivu, le M23 et l’AFC affichent un projet politique commun visant instaurer un cadre fédéral dans le pays, à reconquérir les grandes institutions nationales et à faire reverser leurs soldats dans l’armée nationale.
Le gouvernement congolais et les forces loyalistes interviennent à travers les FARDC (Forces armées de la République démocratique du Congo) et sont appuyées par des sociétés militaires privées roumaines et bulgare (la société AGEMIRA, composée notamment d’effectifs français), mais aussi sur les milices Wazalendo.
– les dynamiques régionales : Joseph Kabila apparaît proche du Président rwandais Paul Kagamé. Il convient de rappeler que l’accession au pouvoir de celui-ci en 1994 avait été portée par une alliance entre le Président Museveni de l’Ouganda et Laurent-Désirée Kabila qui avait pu prendre le pouvoir et renverser le Président Mobuto Seseko (président de 1965 à 1997) à la faveur d’une offensive contre les anciens dirigeants rwandais. En revanche, le Président Tchisekedi apparait comme proche du gouvernement actuel du Burundi.
– les dynamiques économiques : l’Est de la RDC est riche de nombreuses ressources (cobalt, cuivre, manganèse, cuivre, tungstène, des minerais utilisés dans la fabrication des batteries rechargeables, des smartphones, des véhicules électriques et dans les industries pharmaceutique et aéronautique) dont l’exploitation suscitent des rivalités entre les acteurs congolais, régionaux et internationaux. Dans chaque zone qui passe sous leur contrôle, les Forces rwandaises et le M23 mettent la main sur les cités minières : le Rwanda exporte ensuite des minerais qui ne sont pas présents sur son sol. Le leader de l’AFC a lui aussi des intérêts dans l’exploitation de ces ressources. De nombreux acteurs régionaux et internationaux sont aussi présent dans l’Est de la RDC pour exploiter les ressources. L’Etat garde la main sur le secteur artisanal, qui représente entre 10 % et 20 % de la production congolaise. Le reste est déjà dominé par les entreprises chinoises qui sont arrivées en masse au début des années 2000. Elles ont alors acheté de nombreuses mines, dont certaines étaient la propriété de sociétés américaines. Depuis l’arrivée au pouvoir de D. Trump, l’idée d’un accord avec Washington en échange d’une aide à la sécurité, à l’image de celui en discussions avec l’Ukraine, circule en RDC. L’entreprise anglo-suisse Glencore, l’entreprise China Molybdenum et l’entreprise canadienne Barrick Gold détiennent des parts importantes dans l’exploitation des mines de cuivre, de cobalt et d’or. De nombreuses compagnies sont spécifiquement présentes dans l’Est de la RDC, telles que Gécamines, la société nationale, qui exploite les réserves minières notamment dans les territoires dans l’ancienne province Katanga.
– Enfin, les dynamiques internationales : de nombreux acteurs continentaux et internationaux ont tenté de contribuer au règlement du conflit, à travers des interventions militaires bilatérales et multilatérales. La Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) avait déployé un contingent de maintien de la paix en décembre 2023 dans l’est de la RDC, à la suite de la résurgence du M23 : cet engagement a pris fin le 13 mars 2025. Au niveau international, la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République Démocratique du Congo (MONUSCO) – qui a succédé à la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC) – est présente sur le territoire depuis 1999. L’offensive du M23 a relégué au second plan la question du désengagement progressif de la mission de paix onusienne.
Le 17 mars 2025, le Rwanda a annoncé la rupture de ses relations diplomatiques avec la Belgique. Cette décision est intervenue alors que l’Union européenne a adopté des sanctions contre trois hauts gradés rwandais et plusieurs cadres du M23. Cet affrontement diplomatique marque la détérioration des relations entre Kigali et Bruxelles, ravivant le passé colonial entre les deux Etats.