Arnaud Peyronnet
Membre associé FMES de l’Observatoire stratégique de la Méditerranée et du Moyen-Orient (OS2MO).
Résumé
La conquête de l’ensemble du littoral ukrainien ainsi que la maîtrise du nord de la mer Noire représentent des objectifs essentiels pour Moscou dans son conflit avec l’Ukraine. Le contrôle total de la mer d’Azov, qui relie l’hinterland russe à la mer Noire, était l’objectif premier de Moscou qui voulait faire de cet espace stratégique une mer intérieure.
Les opérations russes dans le Nord de la mer Noire ont eu pour conséquence une réduction drastique de la liberté de navigation et l’utilisation de l’arme alimentaire par Moscou. Cet espace est devenu une zone d’affrontement naval dans laquelle la suprématie initiale russe est devenue contestée par l’Ukraine. Le rapport de forces s’y est progressivement équilibré, tandis que la création potentielle de couloirs maritimes humanitaires permettant une libre navigation des navires céréaliers, tant à partir d’Odessa que depuis certains ports limitrophes de l’Ukraine, est désormais au cœur des enjeux.
L’absence de bâtiments occidentaux de l’OTAN en mer Noire depuis le début du conflit (hormis ceux de la Turquie), afin de limiter les risques d’escalade et de co-belligérance vis-à-vis de Moscou, a en outre déplacé le face à face naval entre l’Occident et la Russie en Méditerranée qui est devenue une véritable antichambre du conflit en mer Noire. Cette situation profite à la Turquie qui fait valoir son rôle de 1er plan sur le flanc sud-est de l’Europe, notamment via sa décision de fermer, sous certaines conditions, ses détroits aux bâtiments de guerre étrangers. Ce conflit met en exergue l’utilisation des drones armés dans le domaine naval, faisant apparaître ce système d’armes comme un véritable outil de parité stratégique.
La conquête du littoral ukrainien et des ports associés, ainsi que le contrôle total du nord de la mer Noire sont des objectifs essentiels pour Moscou dans son conflit avec l’Ukraine. Il s’agit pour le Kremlin de faire de la mer d’Azov une mer intérieure totalement contrôlée par la Russie. Cet objectif apparaissait aisé, la flotte ukrainienne ayant perdu la majorité de ses unités en 2014 lors de l’invasion de la Crimée[1].
UNE VOLONTE RUSSE DE CONTROLER L’ENSEMBLE DU LITTORAL UKRAINIEN
Dès la mi-février 2022, les forces navales russes s’étaient entraînées à bloquer le littoral ukrainien de la mer d’Azov en fermant le détroit de Kerch, ainsi que les espaces maritimes autour de la Crimée annexée. La conquête de Marioupol et Berdiansk, villes industrielles dont les ports sont essentiels pour les exportations de céréales ou d’acier produits dans l’Est de l’Ukraine [2], était dès lors nécessaire pour s’assurer du contrôle de la mer d’Azov. Ainsi, après sa conquête, le port de Berdiansk a été utilisé comme un point logistique majeur par l’armée russe pour y débarquer du matériel. Il a été utilisé par une dizaine de bâtiments militaires russes faisant la navette avec les ports militaires [3] de la région afin de ravitailler les forces terrestres sur les lignes de front. Au mois de mai, la prise de Marioupol a permis une continuité territoriale entre les forces russes venues de la Crimée annexée, qui avaient déjà pris possession des ports de Berdiansk et Kherson, et celles venant du Donbass. Le contrôle de la mer d’Azov par Moscou a été achevé en mai 2022. Cet espace maritime est stratégique pour Moscou car il relie la mer Noire au cœur de l’hinterland russe ; vu de Moscou, il ne pouvait donc souffrir d’une quelconque menace [4] sur ses rivages. La mer d’Azov relie en effet la riche vallée du Don à la mer Noire et, depuis l’ouverture en 1952 du canal Don-Volga, permet également de connecter la mer Noire à la Caspienne, elle-même reliée à la Baltique et à la mer Blanche. Cet accès à la mer Caspienne est d’autant plus important que cet espace sert de plateforme de tirs de missiles de croisière navals contre toute menace pouvant venir du Moyen-Orient [5] ou d’Asie centrale.
En parallèle, les forces russes ont exercé un blocus de la région d’Odessa pour isoler Kiev tout en ayant l’objectif final de s’emparer de l’ensemble du littoral ukrainien. Le contrôle de la façade maritime ukrainienne au Sud de la Crimée reste en effet un objectif de Moscou, afin de relier cette péninsule à la Transnistrie[6], de contrôler Odessa, voire le canal Danube/mer Noire, qui est lui-même relié au canal Rhin/Danube, vital pour le trafic Est/Ouest à destination de l’Europe. La ville portuaire d’Odessa, essentielle pour le commerce extérieur et l’ouverture de l’Ukraine sur la mer Noire, est ainsi un objectif important pour Moscou qui a depuis le début du conflit imposé un blocus quasi complet [7] à cette région. Des rumeurs de débarquement amphibie russe près d’Odessa ont ainsi émaillé les premières semaines du conflit, de 8 à 13 navires amphibies patrouillant ponctuellement au large de cette région. Le trafic maritime marchand a été dissuadé de se rapprocher de l’Ukraine au travers d’avertissements massifs sur les dangers liés aux combats, de patrouilles navales fréquentes et surtout de frappes directes contre certains navires civils[8].Toutefois, Moscou n’a effectué que des gesticulations amphibies limitées qui n’ont réussi qu’à fixer des troupes ukrainiennes en anticipation d’un hypothétique débarquement [9]. Dans tous les cas, la perte du navire amphibie Orsk le 24 mars à Berdiansk et surtout le naufrage du croiseur Moskwa le 14 avril, ont rendu cette possibilité de plus en plus illusoire, l’Ukraine reprenant finalement le contrôle partiel de ses espaces maritimes.
DES IMPACTS INEDITS SUR LE TRAFIC COMMERCIAL
Ces opérations russes dans le nord de la mer Noire ont eu pour conséquences une réduction drastique de la liberté de navigation mais aussi l’utilisation de l’arme alimentaire par Moscou pour faire avancer ses buts de guerre.
La liberté de navigation en mer Noire a été réduite dès le début du conflit. Le 24 février 2022, le Yasa Jupiter, vraquier turc, a subi des tirs au large d’Odessa. Le lendemain, deux navires de commerce ont été touchés par des tirs de missiles, également au large d’Odessa (Namura Queen battant pavillon panaméen et Millennium Spirit battant pavillon moldave). Le 26 février, la marine russe a notifié à la navigation commerciale qu’en raison des opérations militaires en cours, celle-ci devait quitter la zone s’étendant du delta du Danube à Odessa pour se diriger vers le Bosphore. [10] Le Banglar Samriddhi, sous pavillon du Myanmar, a été touché le 2 mars alors qu’il était au mouillage, faisant 1 mort. Le Helt, sous pavillon panaméen, a quant à lui coulé le 3 mars après avoir heurté une mine. [11] Deux navires ainsi qu’un remorqueur ukrainien (Afina, Princess Nicol et Sapfir) ont par ailleurs été arraisonnés par la marine russe fin février près de l’île aux Serpents [12]. La mer d’Azov, les ports ukrainiens et l’ensemble du nord de la mer Noire ont été qualifiés de zones de quasi-guerre par l’association internationale des travailleurs du transport maritime. La navigation sur la mer d’Azov a quant à elle été suspendue par la Russie au moment du déclenchement du conflit[13] ; 200 à 300 navires de différentes nations ont été bloqués dans le nord de la mer Noire depuis le début du conflit[14] et, si les risques d’interférences GPS ou AIS, d’attaques cyber sont particulièrement présentes dans le Nord de la mer Noire, c’est surtout la menace constituée par les mines dérivantes qui reste la plus prégnante, y compris près du Bosphore. Selon les autorités russes, plusieurs centaines de mines « venant des ports ukrainiens » auraient dérivé dans l’ouest de la mer Noire[15], ce qui a été réfuté par Kiev. Les autorités turques n’ont détecté, fin mars, que deux mines dérivantes au large du Bosphore[16], obligeant toutefois Ankara à déployer deux chasseurs de mines, un patrouilleur et un avion de patrouille maritime pour traiter cette menace[17].
Cette crise a par ailleurs engendré une concentration du trafic maritime sur les côtes roumaines, bulgares et turques. Les grandes compagnies maritimes ont drastiquement limité leurs échanges avec l’Ukraine et la Russie, à l’instar des compagnies Maersk, CMA/CGM, MSC, Hapag-Lloyd à partir du 1er mars[18], obligeant les navires à trouver de nouveaux ports pour y débarquer/embarquer leurs marchandises. Le port de Constantza, en Roumanie, est ainsi devenu une nouvelle plaque tournante pour les cargaisons[19] à destination ou provenant d’Ukraine. Le blocus russe de la côte ukrainienne, et notamment d’Odessa, empêche les exportations céréalières d’Ukraine vers l’étranger, pouvant alimenter une crise alimentaire mondiale, Russie et Ukraine se partageant un tiers du marché d’exportation du blé. Cette situation pousse désormais les Etats-Unis, le Royaume-Uni et quelques pays européens, comme la Lituanie, à vouloir y mettre en place des couloirs maritimes humanitaires afin d’assurer la liberté de navigation des navires céréaliers. La Lituanie a proposé de créer une coalition navale de nations volontaires[20], potentiellement composée de pays riverains de la mer Noire, dont la Turquie, pour briser le blocus imposé aux ports ukrainiens même si les Etats-Unis privilégient de leur côté la livraison de missiles antinavires à Kiev pour maintenir les bâtiments russes à distance. La question des couloirs maritimes humanitaires, si elle présente un risque d’escalade avec la Russie, reste par contre une opportunité stratégique pour la Turquie afin d’affermir son rôle dans la région tout comme au sein de l’Alliance. L’instrumentalisation de ces couloirs[21] par Moscou, afin de lancer des opérations contre le littoral ukrainien, n’est pas non plus à exclure à terme, la guerre de l’information faisant rage entre les belligérants.
LE RETOUR DE LA TURQUIE COMME PIVOT GEOSTRATEGIQUE DU FLANC SUD DE L’OTAN
Face à l’absence de bâtiments occidentaux en mer Noire depuis le début du conflit en Ukraine[22], afin de limiter les risques d’escalade et de co-belligérance vis-à-vis de Moscou, la Turquie s’est imposée dans un rôle de premier plan sur le flanc sud-est de l’Europe.
Aucune unité navale occidentale n’a en effet franchi les détroits turcs depuis fin février et l’exercice Sea Shield prévu en mer Noire début avril a été annulé[23]. Compte tenu du niveau de tension entre la Russie, l’Europe et les Etats-Unis, ainsi que la situation sécuritaire dégradée en mer Noire, les marges de manœuvre navale y sont devenues extrêmement réduites et les risques de frictions importants. Pour éviter de nouvelles frictions entre la Russie et le bloc occidental, tout en évitant tout renforcement supplémentaire des forces navales russes en mer Noire, la Turquie a décidé[24] d’invoquer des articles particuliers de la Convention de Montreux de 1936 qui, en cas de guerre, permettent à Ankara de réguler le transit de bâtiments de guerre dans les détroits turcs et surtout de bloquer les bâtiments des nations parties au conflit. La Turquie n’avait invoqué de telles dispositions qu’une fois, lors de la 2ème guerre mondiale, pour empêcher les bâtiments des puissances de l’Axe d’entrer en mer Noire[25]. L’article 20 de cette convention dispose ainsi que si la Turquie s’estime menacée d’un danger de guerre imminent, elle est autorisée à appliquer l’article 21 qui indique que le transit de navires de guerre dans les détroits est à la discrétion complète du gouvernement turc[26]. L’article 19 permet cependant aux pays riverains des parties au conflit de faire revenir dans leurs ports bases, via les détroits turcs, les bâtiments qui s’en étaient éloignés. Les bâtiments russes présents en Méditerranée et appartenant à la flotte de la mer Noire peuvent donc transiter dans les détroits pour y revenir tandis que les bâtiments des autres flottes russes présentes en Mer noire peuvent aussi les franchir pour rallier leurs ports bases ailleurs en Russie[27]. De plus, comme l’appartenance de tel ou tel bâtiment à une flotte dépend de l’Etat à qui il appartient, Moscou peut librement changer l’affectation de ses bâtiments. La portée immédiate de la déclaration turque est donc limitée et ne contraint finalement que le transit de nouvelles forces russes n’appartenant pas à la flotte de mer Noire. Quatre bâtiments russes non originaires de la mer Noire, mais à destination de celle-ci, ont ainsi annulé leur transit dans les détroits turcs suite à l’annonce turque[28].
Cette situation a propulsé la Turquie au centre de l’échiquier géopolitique régional en capitalisant sur son rôle de gardienne des détroits. Elle est redevenue un allié indispensable sur le font sud-est de l’OTAN et a donné des gages importants aux Etats-Unis, alors même que les relations entre Washington et Ankara étaient restées tendues depuis l’élection du président Biden. Dans ce contexte et après avoir reçu l’autorisation tacite des Etats-Unis pour être équipée de nouveaux chasseurs F-16V[29], la Turquie utilise désormais sa position de force au sein de l’Alliance pour ralentir le processus d’adhésion de la Finlande et la Suède afin de soutirer d’autres avantages à ses alliés et éviter de provoquer davantage la Russie, sa voisine en mer Noire.
Ce contexte va sans doute accélérer le renforcement des activités navales turques dans le sud de la mer Noire. Les déploiements navals turcs y étaient déjà devenus plus conséquents et se focalisaient sur l’affirmation de la souveraineté turque sur le champ gazier offshore de Sakarya[30] qui permettra à Ankara de limiter à terme sa dépendance au gaz russe[31]. La crise russo-ukrainienne et le défi russe porté en mer Noire devraient accroître la présence navale turque dans cette zone, à la fois pour préserver ses intérêts géoéconomiques, défendre sa conception d’équilibre entre puissances maritimes riveraines[32] et faire-valoir son rôle de pivot essentiel au sein de l’Alliance. Son implication dans de potentielles escortes de navires céréaliers en provenance d’Ukraine renforcerait d’autant plus son rôle de médiateur et de pivot géopolitique entre les deux blocs. Dans tous les cas, cet intérêt renouvelé d’Ankara pour la mer Noire pourrait a contrario limiter à court terme les velléités turques en Méditerranée car sa marine ne peut être partout active en même temps.
UNE DOMINATION NAVALE RUSSE EN MER NOIRE CONTESTEE
Si les opérations russes en mer Noire ont été facilitées par une concentration initiale inédite de forces, le rapport de forces s’est progressivement équilibré entre les belligérants, notamment grâce à l’utilisation de nouveaux systèmes d’armes dans l’espace maritime par l’Ukraine. En revanche, puisqu’aucune unité occidentale n’est présente en mer Noire depuis le début du conflit, c’est la Méditerranée qui est progressivement devenue l’antichambre des frictions russo-occidentales.
Dès le début des hostilités, 26 bâtiments de la marine russe ont été mobilisés en mer Noire pour entraver l’accès aux côtes ukrainiennes et prendre à revers les forces adverses sur leur façade maritime[33]. Certaines de ces unités ont effectué des frappes par artillerie et missiles de croisière de type Kalibr sur des positions terrestres ukrainiennes[34], notamment l’île aux Serpents dès le 25 février[35]. Cet effort naval russe n’a toutefois pu être réalisé que grâce à des bascules d’effort des flottes du Nord, de la Baltique et du Pacifique au profit de la flotte de la mer Noire[36].
Cependant, et malgré un avantage quantitatif indéniable, la marine russe a subi des revers de plus en plus conséquents, érodant inexorablement ses opérations navales dans le nord de la mer Noire. Ainsi, un patrouilleur de type Raptor a été frappé le 22 mars au large de Marioupol par un missile anti-char tiré de la côte[37]. Le 24 mars, c’est le navire amphibie Orsk qui a été coulé alors qu’il était amarré au port de Berdiansk[38]. Le 4 avril, l’Ukraine a revendiqué une attaque sur la frégate russe Essen, avec des missiles antinavires de type Neptune[39]. Selon l’agence d’information russe Tass, cette frégate aurait d’ailleurs abattu un drone bayraktar TB2 le 12 avril alors que celui-ci effectuait une mission de reconnaissance et de ciblage[40]. Le 13 avril, c’est le navire amiral de la Flotte de la mer Noire, le croiseur anti-aérien Moskwa, qui a été frappé par deux missiles antinavires ukrainiens Neptune, avant de couler le lendemain. La perte de ce bâtiment a constitué un véritable aveu d’échec[41] pour la marine russe, dont les conséquences pourraient se répercuter jusqu’en Méditerranée, ce bâtiment ayant été déployé par le passé pour la défense anti-aérienne au large des bases russes de Syrie. Cette perte reste cependant à relativiser, la marine russe ayant depuis longtemps fait l’effort sur ses unités capables de tirer des missiles de croisière de type Kalibr. Cependant, ce naufrage et les nouvelles capacités de frappe à distance démontrées par les Ukrainiens ont conduit les Russes à davantage de prudence dans leurs opérations navales le long des côtes du sud de l’Ukraine, Kiev essayant d’y instaurer progressivement un déni d’accès[42] pour empêcher toute tentative d’opération amphibie russe et pour y alléger le blocus imposé par Moscou. Les bâtiments russes qui au début du conflit patrouillaient au large d’Odessa, restent désormais au plus près de la côte de Crimée pour être plus éloignés des côtes ukrainiennes, compliquer le ciblage, et rester protégés par la défense aérienne de la péninsule[43].
Le volet naval de ce conflit a en outre fait émerger le drone comme système d’arme efficace pour la protection d’espaces maritimes contestés. Ainsi, l’utilisation d’un drone TB2 pour frapper opportunément l’Orsk alors qu’il débarquait du matériel à Berdiansk reste une hypothèse crédible[44]. De même, les frappes sur le Moskwa pourraient avoir profité d’un ciblage préalable conduit par un drone du même type[45]. Ces deux actions constitueraient les premiers usages avérés de tels systèmes d’armes en temps de guerre dans le domaine maritime, tant en haute mer qu’au-dessus d’une zone portuaire. La communication ukrainienne sur ce sujet reste évasive, sans doute pour ne pas mettre la Turquie, pays constructeur du TB2, en difficulté vis-à-vis de Moscou. Le 2 mai, Kiev a de nouveau assuré avoir détruit deux patrouilleurs de type Raptor près de l’île aux Serpents avec au moins un drone TB2[46]. Le 7 mai, c’est une embarcation amphibie russe qui aurait été coulée par un TB2 près de la même île[47]. Le 8 mai, deux autres patrouilleurs de type Raptor auraient de nouveau été touchés. La Russie a d’ailleurs redoublé d’énergie pour tenter de mettre des systèmes sol-air sur cette île afin d’en empêcher l’approche aux drones TB2[48]. Les exemples d’irruption du drone dans le combat naval se sont donc multipliés à l’occasion de ce conflit.
La fermeture des détroits turcs pourrait enfin impacter sur le long terme les opérations russes en Méditerranée et surtout contrer les ambitions russes dans cette région[49]. La flotte de la mer Noire étant désormais bloquée, il revient aux flottes de la Baltique, du Nord ou du Pacifique la lourde charge de ravitailler les bases russes en Syrie, allongeant[50] considérablement les lignes logistiques par voie maritime, sauf à utiliser massivement des navires civils affrétés. De nombreux bâtiments russes sont en effet toujours en Méditerranée orientale, dans l’attente d’une éventuelle réouverture des détroits turcs. Cette présence opérationnelle permanente de la Russie en Méditerranée, d’habitude constituée d’une dizaine de bâtiments, a été doublée depuis février dans la perspective du déclenchement des hostilités en Ukraine. Ce dispositif s’étend désormais au large de la Crète et en mer Egée, afin de surveiller les forces occidentales présentes dans l’axe d’entrée des détroits turcs. Faute de pouvoir effectuer des bascules d’effort entre la Méditerranée et la mer Noire, et afin de ne pas mettre la marine turque en situation difficile en mer Noire, le face à face naval entre l’OTAN et la Russie s’est donc déplacé en Méditerranée, véritable antichambre du conflit en mer Noire[51]. Des actions coup de poing[52] de la marine russe en Méditerranée restent possibles afin d’accentuer, si besoin et selon l’évolution des combats terrestres en Ukraine, la pression sur le camp occidental, Toutefois, ces opérations de la marine russe, pour des raisons d’élongation et de soutenabilité, seront sans doute difficiles à tenir dans la durée, ce qui devrait laisser à terme le champ libre aux forces occidentales.
La crise ukrainienne a de nouveau mis en évidence l’ambition historique russe d’un contrôle exclusif des rivages de la mer Noire afin de protéger son hinterland. Cette crise et sa prolongation dans les espaces maritimes, a bouleversé le trafic commercial en remettant en cause le principe même de liberté de navigation. Les appels pour restaurer cette liberté de navigation, notamment pour assurer les exportations en provenance d’Ukraine, se font de plus en plus pressants. Ce sujet constituera sans doute un point majeur des futures négociations et un nouveau point de friction avec Moscou. Enfin, ce conflit a mis en exergue l’utilisation des drones armés dans le domaine naval, faisant apparaître ce système d’armes comme un véritable outil de parité stratégique, alors même que le déséquilibre des forces était patent en début de conflit.
[1] Sans compter le sabordage dans le port de Mykolaiv de la frégate Sahaidachny, seul bâtiment de 1er rang de la marine ukrainienne, afin d’empêcher les forces russes de s’en emparer. The Independent, 06/03/2022.
[2] Le Figaro, 05/03/2022.
[3] Sébastopol et Novorossisk. Navy lookout, 28/03/2022.
[4] La Russie craignant l’établissement d’une base navale ukrainienne pro-occidentale sur la mer d’Azov.
[5] Elle a ainsi permis en 2015 à la marine russe d’y effectuer des frappes contre des cibles terrestres de Daech en Syrie.
[6] Région au sein de laquelle sont basés entre 1 500 et 3 000 soldats russes depuis 1992, sans compter les supplétifs pro-russes locaux.
[7] Le trafic maritime marchand a été dissuadé de se rapprocher de l’Ukraine au travers d’avertissements massifs sur les dangers liés aux combats, de patrouilles navales fréquentes et surtout de frappes directes contre certains navires civils.
[8] The Maritime Executive, 03/03/2022.
[9] Naval News, 20/03/2022.
[10] Naval News, 27/02/2022.
[11] Mer et Marine,03/03/2022.
[12] Naval Today, 28/02/2022.
[13] Ibid.
[14] Opex360, 17/03/2022.
[15] Reuters, 21/03/2022.
[16] Hurriyet, 27/03/2022.
[17] Naval news, 27/03/2022.
[18] Offshore Energy Biz, 02/03/2022.
[19] Le plus grand port de la mer Noire, qui voit passer 67 millions de tonnes de marchandises par an subit une surcharge de conteneurs depuis le début de la guerre. Le Monde, 14/03/2022.
[20] Opex360, 24/05/2022.
[21] Au travers d’actions sous fausses bannières pour décrédibiliser le principe de tels couloirs maritimes.
[22] Excepté les marines roumaine et bulgare.
[23] Mer et Marine, 27/02/2022.
[24] La Turquie a interdit le 28 février le passage du Bosphore et du détroit des Dardanelles à tous les bâtiments de guerre, riverains ou non de la mer Noire, a annoncé le ministre turc des affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu. La Croix, 28/02/2022.
[25] Wall Street Journal, 27/02/2022.
[26] Naval News, 28/02/2022.
[27] Ces transferts restent par contre théoriquement définitifs, jusqu’à la fin du conflit.
[28] Deutsche Welle, 28/02/2022.
[29] Washington Post, 19/05/2022.
[30] D’un potentiel de 540 milliards de m3.
[31] 45% des importations turques de gaz viennent de Russie. Al Monitor, 21/04/2022.
[32] La conquête de la Crimée et de la façade maritime ukrainienne donnerait ainsi le contrôle total du Nord de la mer Noire à la Russie.
[33] Pression sur les ports d’Odessa, de Yuzhny et Ochakiv, ce dernier abritant le QG de la 5ème brigade ukrainienne des forces de surface. Janes, 25/02/2022.
[34] Mer et Marine, 27/02/2022.
[35] Cette île est symbolique pour les belligérants. Elle est située près du delta du Danube, à proximité de la Roumanie et permet de délimiter les eaux territoriales ukrainiennes. Le contingent ukrainien de cette île avait été ciblé par des tirs d’artillerie du croiseur russe Moskwa et de la corvette Bykov. La conquête de cette île a pu permettre à la Russie d’y établir une position A2/AD (anti-access/area denial) afin de contrer toute velléité d’intervention occidentale à partir du flanc Sud de l’Ukraine.
[36] Une douzaine de bâtiments de différentes flottes est ainsi venue renforcer la flotte de la mer Noire.
[37] Opex360, 14/04/2022.
[38] Al Monitor, 22/04/2022.
[39] Missile ukrainien d’une portée de 280 km avec guidage radar actif, dont les premiers essais remontent à 2018 et les premières livraisons à 2021.
[40] Navy recognition, 26/04/2022.
[41] Outre son nom symbolique, c’est le premier bâtiment de 1er rang à être coulé lors d’opérations de combat depuis la guerre des Malouines en 1982.
[42] Les Etats-Unis ayant d’ailleurs l’intention de livrer, via le Danemark, de nouveaux missiles antinavires, probablement de type Harpoon, à l’Ukraine. Naval News, 22/05/2022.
[43] Naval News, 11/05/2022.
[44] Navy lookout, 28/03/2022.
[45] Navy Lookout, 15/04/2022.
[46] Opex360, 02/05/2022.
[47] Huffington Post, 07/05/2022.
[48] Naval News, 11/05/2022.
[49] L’accès russe à la Méditerranée a influencé la stratégie russe depuis plus de trois siècles, certains courants impérialistes russes ayant même, par le passé, envisagé d’annexer le Bosphore et les Dardanelles. Ces détroits étaient d’ailleurs fermés à la Russie et ses alliés pendant la 1ère guerre mondiale. Foreign Policy, Research Institute, Nicholas J. Myers, 04/03/2022
[50] La distance entre Sébastopol et Tartous est d’environ 1100 milles nautiques contre 4200 milles avec Kaliningrad, sur la Baltique, 4900 nautiques pour Mourmansk, sans parler des 8300 nautiques pour Vladivostok.
[51] Le Monde, 26/04/2022.
[52] Allant de la démonstration massive de forces de chasseurs venant de Syrie, de simulation de tirs de missiles antinavires, à des arraisonnements de navires marchands et à des manœuvres nautiques agressives cherchant à provoquer un incident.