GLOBAL BRITAIN, VERS UN RETOUR DE LA PUISSANCE NAVALE BRITANNIQUE ?

Faisant suite aux élections parlementaires britanniques du 12 décembre 2019, le Brexit est effectif depuis le 1er février 2020. Dans ce contexte, quelles en seront les conséquences pour la puissance navale britannique ? En effet, l’ex ministre britannique de la Défense, Gavin Williamson, avait très ouvertement indiqué le 30 décembre 2018 que le Royaume-Uni devait « devenir un véritable acteur mondial » après sa sortie de l’Union européenne, annonçant ensuite que le Royaume-Uni allait établir des « relations plus étroites » avec l’Australie, le Canada et la Nouvelle-Zélande. De fait, le Brexit va constituer effectivement un point d’inflexion stratégique pour le Royaume-Uni qui devrait revenir sur sa politique de « repli à l’ouest de Suez » mise en place depuis la fin des années 1960. La marine britannique s’inscrit pleinement et logiquement dans cette stratégie post-Brexit du « Global Britain » qui vise à faire retrouver au Royaume-Uni une position de 1er rang à l’échelon mondial, grâce au Commonwealth et aux alliances régionales déjà bâties. D’ailleurs, au cours de l’été 2019, les tensions liées à l’arraisonnement d’un navire britannique par l’Iran ont conduit la marine britannique à se projeter de nouveau, dans le golfe arabo persique, pour une opération navale de protection de son trafic commercial, en lien avec les Etats-Unis.

Les intentions visant à renouer avec le rôle « expéditionnaire » de la Royal Navy sont ainsi explicites mais constituent toutefois un pari ambitieux voire risqué, compte-tenu des difficultés structurelles majeures auxquelles fait face la marine britannique depuis plusieurs années. Dans ce cadre, le « Global Britain » post-Brexit signe t’il le renouveau de la puissance navale britannique ?

La création de partenariats approfondis à l’Est de Suez…

Pour le Royaume-Uni, il est devenu impératif, avec le Brexit, de maintenir des liens approfondis avec les économies d’Asie et d’y protéger la liberté de navigation. La marine britannique renoue ainsi avec « l’Est de Suez », ce qui constitue une rupture stratégique évidente par rapport à sa décision de « rapatrier » ses moyens vers l’Europe à la fin des années 60… Dans ce cadre, elle se rapproche davantage de certains Etats du Commonwealth (Australie et Nouvelle Zélande), ses partenaires du Five Power Defense Agreement (Malaisie et Singapour en sus des Etats déjà cités) et des Etats ouvertement « antichinois » (Inde, Japon1 et Vietnam), tout en accentuant sa présence dans le golfe arabo-persique.

Cette nouvelle stratégie impose toutefois des déploiements navals plus réguliers et l’implantation de bases dédiées. La marine britannique a donc consolidé ses partenariats avec Bahreïn (base officiellement ouverte en 2018 et au sein de laquelle une frégate de type 23 sera basée en permanence pour au moins 3 années à partir de 2019)2 et Singapour (où des frégates de type 31 pourraient être à terme basées), voire même Bruneï. Des facilités portuaires ont également été accordées par le sultanat d’Oman dans le port de Duqm où une future base navale logistique britannique sera construite3. Ce port sera plus particulièrement destiné à accueillir les porte-avions britanniques qui seront déployés en Océan Indien ou en Asie du sud-est.

En outre, les tensions de l’été 2019 liées à l’arraisonnement d’un navire britannique par l’Iran (en rétorsion de l’arraisonnement d’un pétrolier iranien à Gibraltar) ont conduit la marine britannique à déployer, probablement en permanence, une seconde unité dans le golfe arabo-persique afin d’y protéger le trafic maritime commercial britannique (opération Kipion). La marine britannique a aussi annoncé son intention de conduire des patrouilles régulières en mer de Chine méridionale pour y montrer son attachement à la liberté de navigation, les premiers déploiements en ce sens ayant été effectués au cours de l’été 2018. En outre, une frégate britannique a participé au contrôle de l’embargo des Nations-Unies vis à vis de la Corée du Nord. De fait, il est avéré que la marine britannique maintient depuis l’été 2018 une quasi permanence d’unités navales en Asie.

Redevenir le meilleur allié des Etats-Unis

La remontée en puissance de la composante aéronavale britannique se fait dans le cadre d’un partenariat privilégié avec les États-Unis. En effet, les porte-avions britanniques, tant pour des raisons politiques (ménager son allié) que capacitaires (manque d’aéronefs), embarqueront régulièrement des appareils américains. Ces groupes aéronavals deviendront donc de facto américano-britanniques. Les dirigeants de la marine britannique ont même indiqué au cours de l’automne 2019 que les porte-avions britanniques seront « interchangeables » avec les porte-avions américains, présentant ainsi une volonté d’interopérabilité

poussée. D’autre part, la dissuasion britannique devrait toujours rester étroitement dépendante des Etats-Unis. Le compartiment accueillant les missiles balistiques qui sera mis en place sur les futurs SNLE de type Dreadnought (en remplacement des 4 SNLE de type Vanguard) sera en effet identique à celui qui équipera les SNLE américains de type Columbia, augurant ainsi de l’utilisation des mêmes missiles. Enfin, les unités déployées depuis l’été 2019 dans le golfe arabo-persique dans le cadre de l’opération Kipion ont été intégrées à la « coalition maritime » voulue dans cette zone par les Etats-Unis pour faire face aux agissements iraniens.

Et retrouver un rôle majeur dans l’OTAN…

Le Brexit devrait favoriser un rapprochement du Royaume-Uni avec l’OTAN et surtout avec les positions américaines au sein de l’Alliance. Une plus grande implication de la marine britannique dans les missions navales de l’OTAN en mer noire, en mer Baltique ou en mer de Norvège est dorénavant escomptée. D’ailleurs, le Royaume-Uni a déployé au printemps 2019, en mer Baltique, une force amphibie de 2000 hommes pour la mission « Baltic Protector » Cette mission est la première utilisation à grande échelle de la Joint Expeditionary Force établie en 2015 avec le Danemark, la Finlande, la Suède, la Norvège, les Pays-Bas et les 3 pays baltes. De plus, le porte-avions Queen Elisabeth pourrait être directement mis à la disposition de l’OTAN à partir de 2021. Les sous-marins britanniques s’entraînent en outre déjà avec la marine américaine, y compris dans l’Arctique et une capacité commune de surveillance maritime autour de l’avion P-8 se met progressivement en place entre le Royaume-Uni, la Norvège et les États-Unis. A terme, le Royaume-Uni chercherait ainsi probablement à se voir octroyer le rôle de « protecteur du flanc Nord de l’OTAN ».

Le pari du Commonwealth

Le Royaume-Uni cherche résolument à renouer avec les Etats du Commonwealth riverains du Pacifique (Australie et Nouvelle Zélande) qui sont également ses partenaires du Five Power Defense Agreement en Asie du Sud-Est. Les escales de bâtiments britanniques dans ces pays ont nettement repris en 2019 après de longues années d’interruption. Enfin et surtout, le programme de frégate T-26 (choisi par le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie, voire potentiellement un jour la Nouvelle-Zélande) pourrait être à terme un formidable vecteur d’interopérabilité entre ces différents partenaires.

Mais une réactivation de forces expéditionnaires qui s’avère difficile

La remontée de la puissance navale britannique s’amorce surtout autour des deux futurs groupes aéronavals que mettra en œuvre la Royal Navy à l’horizon 2020-2030. Le premier déploiement opérationnel du porte-avions Queen Elizabeth, avec des F-35B britanniques et américains à bord, devrait d’ailleurs se concentrer en 2020 sur la Méditerranée, le Moyen-Orient et le Pacifique, illustrant les tendances lourdes de la géopolitique navale britannique. Cette remontée en puissance se fait toutefois dans le cadre d’un partenariat privilégié avec les États-Unis, ce qui réduira forcément à terme l’autonomie d’action du Royaume-Uni.

Le ministre de la défense britannique a également annoncé en février 2019 la mise sur pied, au profit des Royal Marines, et d’ici 2023, de deux « Littoral Strike Units »4, centrés autour de « Littoral Strike ships », dont l’un serait affecté dans la région Indopacifique et l’autre en Europe. Or cette déclaration a remis sur le devant de l’actualité la question délicate des moyens amphibies. En effet, si les capacités amphibies font logiquement partie d’une stratégie de projection de puissance (en Asie mais également en Europe du Nord face à la menace russe), l’existence des Royal Marines a été un temps menacée pour des raisons budgétaires. En outre, le renouvellement des moyens amphibies concurrence l’investissement nécessaire pour les 2 porte-avions, une flotte de surface moderne et le renouvellement de la dissuasion nucléaire par sous-marins… Les Royal Marines font donc actuellement face à une pénurie avérée de bâtiments (aggravée par la vente du LPH Ocean au Brésil en 2018), les unités disponibles étant anciennes tandis que le programme de nouvelles unités (navires logistiques multifonctions) a été réduit de 6 à 4 en 2010. Dans l’attente, le Royaume-Uni développe des partenariats avec la Norvège (entraînement en milieu arctique), les Pays-Bas (soutien logistique) et fait le pari de se transformer en « agrégateur de compétences » via la Joint Expeditionary Force, par essence multinationale. Les Royal Marines se transforment de fait progressivement en forces commandos légères déployées en permanence via les deux bâtiments qui leurs seront dédiés (concept de Littoral Strike). Ce manque de moyens, conjugué à l’allègement des forces de projection, semble ainsi compromettre durablement les velléités mondiales britanniques en matière de projection de puissance.

Une structure de flotte intrinsèquement fragile

Si les 7 sous-marins nucléaires d’attaque seront tous remplacés d’ici 2024 et les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins à partir de 2030, le renouvellement de la flotte de surface, colonne vertébrale de toute marine de haute-mer, est difficile, les problèmes budgétaires allant certainement limiter le rythme de remplacement de certaines unités. La Royal Navy cherche toutefois à dépasser le seuil « fatidique » des 19 bâtiments de 1er rang à l’échéance 2030. En effet, la marine britannique a prévu de construire au moins 5 frégates légères de type 31, en plus des 8 frégates multi-missions de type 26 (l’ensemble devra remplacer les 13 frégates de type 23 actuellement en service), ce qui permettrait, avec les destroyers de type 45, de rester au niveau minimal « fixé » de 19 bâtiments de 1er rang. Cependant, le programme de frégates légères de type 31 prend du retard et les destroyers de type 45 connaissent d’importants problèmes techniques limitant leur disponibilité. La première des frégates de type 26 ne devrait quant à elle n’être mis en service que vers 2027, en même temps que les frégates de type 31. Une solution intérimaire privilégié serait alors l’allongement de la durée de vie des frégates de type 23 pour combler certains vides capacitaires.

Or ce manque d’unités de surface devient un problème majeur tant pour la constitution de groupes aéronavals constitués que pour la protection simultanée des intérêts maritimes du Royaume-Uni dans un contexte d’activisme naval russe accru en Atlantique Nord. A cela se rajoute le fait que le Brexit devrait voir une intensification des missions de « surveillance et de protection des approches » maritimes britanniques, notamment pour lutter contre l’immigration illégale et pour la surveillance des zones de pêche. Ces nouvelles missions devraient donc étirer encore plus des forces navales britanniques déjà relativement chargées. Ce manque criant de moyens a d’ailleurs été particulièrement mis en exergue au cours de l’été 2019 lors de l’arraisonnement d’un pétrolier britannique par les Pasdarans iraniens dans le golfe arabo-persique. Plusieurs commentateurs d’outre-manche ont ainsi ouvertement critiqué l’option choisie d’investir dans des capacités moins nombreuses mais de haute-technologie (et donc interopérables avec la marine américaine), au détriment d’unités plus simples mais plus nombreuses et aptes à assurer une permanence à la mer… De fait, certaines projections montrent qu’en 2020 la marine britannique ne disposera d’unités que pour déployer un groupe aéronaval et assurer la dissuasion nucléaire, laissant seulement 2 autres bâtiments pouvant être déployés de façon indépendante. La Royal Navy pourrait donc faire l’objet d’un manque de « masse critique » évident dans les prochaines années, surtout par rapport aux ambitions affichées.

Le pari du Global Britain et du rôle donné dans ce cadre à la Royal Navy reste très ambitieux. Le succès de ce revirement géopolitique passera avant tout par la qualité des partenariats que le Royaume-Uni pourra nouer avec ses interlocuteurs, notamment les Etats-Unis. En effet, n’ayant plus une « masse critique » suffisante, la Royal Navy ne pourra certainement plus effectuer des déploiements simultanés d’importance à l’échelle mondiale. Elle devra alors forcément compter sur les forces américaines ou sur celles de ses alliés du Commonwealth les plus proches. Une vassalisation accrue de la puissance britannique par le partenaire américain pourrait alors s’esquisser à terme.

**

1 Un rapprochement avec le Japon s’est opéré avec au moins 4 escales de bâtiments britanniques recensées entre le printemps 2018 et le printemps 2019.

2 La base de Bahreïn est déjà un point d’appui important, la marine britannique contribuant déjà en nombre à l’état-major de la CMF (Combined Maritime Forces).

3 Les mêmes facilités ont d’ailleurs été accordées aux Etats-Unis par le sultanat d’Oman.

4 Les deux Littoral Strike Units devraient être composés de 3 bâtiments amphibies capables de se déployer rapidement et pouvant agréger différentes unités, du porte-avions à de simples navires affrétés, en fonction des besoins.

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