Décourager – Défendre – Défaire (3D)
Stratégie aérienne adaptée aux circonstances !
Dans quel monde vivons-nous ! Tel était le thème de l’intervention de l’amiral (2s) Pascal Ausseur du jeudi 13 octobre pour lancer les réflexions géopolitiques qui animeront les auditeurs tout au long de leur parcours avec pour thème d’étude : « l’influence des Balkans en Méditerranée ». Face à un monde fragmenté et interdépendant, chacun aura mesuré toute l’importance qu’il convient d’accorder à certains domaines où l’autonomie stratégique et la souveraineté semblent désormais s’imposer. La crise du Covid-19 et la guerre en Ukraine auront en effet l’une et l’autre souligné d’immenses vulnérabilités. Chacun gardera en mémoire les aléas des processus décisionnels relatifs à la gestion de la crise du Covid. Mais pis encore, le retour de la guerre en Europe fut presque une surprise dans un monde pourtant en pleine recomposition géopolitique où l’affirmation des puissances revient en force. Elles mettent en œuvre des modes d’actions dépassant d’ailleurs le simple emploi de la force. Les principes de la guerre totale où ceux des guerres invisibles sont d’actualité.
Avec la guerre en Ukraine, les conséquences énergétiques pèsent et pèseront sur nombre d’équilibres. Elles ne sont pas les seules mais elles sont pour l’heure les plus visibles. Il faut y prendre garde car elles induisent des effets collatéraux sur la cohésion nationale. Toute instrumentalisation sociale pourrait avoir des effets dévastateurs au lendemain d’une crise sanitaire où le quoi qu’il en coûte l’avait emporté. Ainsi, en lieu et place du temps de paix, temps de crise et temps de guerre, nous faisons plutôt face aujourd’hui à trois temps ; celui de la compétition, de la contestation et de la confrontation. Inutile donc de s’étendre ici sur le besoin de s’accorder un peu de temps à la réflexion de portée stratégique. C’est la vocation même des séminaires des sessions méditerranéennes des hautes études stratégiques. Les auditeurs de la 33ème SMHES en ont d’emblée mesuré le sens. Le titre de cette synthèse du premier séminaire rappelle notamment la nouvelle orientation stratégique d’une composante de force essentielle à notre système de défense, celle de l’armée aérienne et plus largement celle de l’arme aérospatiale. Ce n’est qu’une étape car nos auditeurs iront à la rencontre de toutes les composantes de notre défense et sécurité. Cette sécurité dont le général de Gaulle rappelait qu’elle était le premier devoir de l’État et qu’Il n’y saurait manquer sans se renier lui-même !
Cette introduction un peu sombre ne doit pas pour autant masquer l’enthousiasme des auditeurs de la 33ème SMHES qui se sont donnés rendez-vous à la résidence des hôtes du CEA de Cadarache. Au-delà du caractère exceptionnel de ce site, l’occasion était donnée d’appréhender globalement les enjeux énergétiques car telle est la mission du commissariat à l’énergie atomique créé par le même général de Gaulle le 18 octobre 1945. Rappelons d’ailleurs que nos auditeurs ont visité le site de Cadarache la veille de son anniversaire puisqu’il fut créé le 14 octobre 1959. La soirée du mercredi 12 octobre était consacrée à la prise de contact entre les auditeurs et l’équipe pédagogique de l’institut FMES qui les accompagnera tout au long du parcours académique. C’est un parcours sur mesure dont l’objectif est de produire au mois de juin 2023 un mémoire sur leur thème d’étude. Cette première rencontre a permis de présenter l’institut FMES dans les différents pôles qu’il anime. Elle a aussi été l’occasion d’une présentation mutuelle des auditeurs.
Pour conclure cette journée, le dîner a consolidé les premiers échanges. Ce dîner a également permis d’initier le débat sur les défis que les auditeurs de la 33ème SMHES relèveront au gré des huit séminaires qui suivront. En première analyse, mais cette information reste évidemment confidentielle, l’état d’esprit est excellent et augure une session riche et dense.
La journée du jeudi 13 octobre était consacrée au fait « nucléaire » dans toutes ses dimensions. En matinée, la visite d’ITER a souligné les avancées du plus important programme scientifique mondial initié en octobre 1985 à l’occasion de la première rencontre de Mikhaïl Gorbatchev et François Mitterrand lors de sa première visite en France. Il s’agit bien du chemin vers des énergies alternatives avec l’énergie de la fusion provoquée par le confinement magnétique. Le chemin est d’ailleurs la traduction du terme latin ITER. Les Anglo-saxons lui avaient donné un sens physique en le déclinant comme l’acronyme d’International Thermonuclear Experimental Reactor. Dans un monde où le nucléaire est souvent arbitrairement contesté, le mot latin est naturellement préféré.
« Bringing the power of the sun to earth! ». Cette expression anglaise est connue de toutes les nations parties-prenantes au programme ITER. Ce programme démultiplie l’énergie produite par ce type de réacteur en éliminant les risques des réacteurs utilisant les principes de la fission et en réduisant substantiellement la problématique des déchets avec des éléments à durée de vie limitée.
C’est monsieur Robert Arnoux[1], ancien journaliste, qui s’est livré à cet exercice suscitant le plus vif intérêt de nos auditeurs. Ce projet de réacteur de recherche à fusion nucléaire est en effet une exception mondiale. Trente-cinq pays participent à la mise en œuvre de ce laboratoire avec, pour simplifier, parmi les principaux, les Etats-membres de l’Union européenne, la Chine, la Corée du Sud, les Etats-Unis, l’Inde, le Japon et la Russie. Un premier rendez-vous est donné en 2025 pour la production du premier plasma. A partir de là, l’essai nucléaire proprement dit pourra être envisagé.Le réacteur, dans sa version productive, est quant à lui programmé plus tard vers 2050.
L’après-midi a permis aux auditeurs de mesurer toutes les actions conduites par le CEA de Cadarache dans le domaine de l’énergie de fusion. En particulier, la présentation du Tore Supra, seul réacteur ou Tokamak dans son appellation russe, capable de générer un champ magnétique important et sur une longue durée, indispensable pour la production d’un plasma et l’extraction de la puissance produite par l’énergie de fusion. Depuis 2013, ce Tore a été largement amélioré en utilisant des matériaux plus adaptés tels que le tungstène qui résiste mieux aux températures élevées induites par la fusion. Ce Tokamak s’appelle désormais WEST, le W étant l’appellation du tungstène dans le tableau de classification des éléments en anglais de Mendeleïev (Tungstène (W) Environment in Steady-state Tokamak).
Cette présentation scientifique fut rendue très accessible en simplifiant très habilement des approches pour le moins complexes. Elle fut suivie par une présentation générale du CEA réalisée par son directeur, monsieur Jacques Vayron. A cette occasion, les auditeurs ont pu mesurer toute l’étendue des applications du CEA, démontrant s’il en était besoin, que cet organisme est au cœur des programmes d’innovation dont nous avons ta nt besoin dans une période de transition énergétique. En un mot, le CEA démontre que la recherche n’a de sens que si elle contribue à faire changer les choses. Cette visite l’a parfaitement illustré.
A l’issue de cette journée de visite exceptionnelle, les auditeurs se sont retrouvés à la maison des hôtes de Cadarache où le vice-amiral d’escadre (2s) Pascal Ausseur, directeur général de l’institut FMES, leur avait donné rendez-vous en visioconférence pour une introduction à la géopolitique. Je ne reviendrai pas sur le thème du propos exposé supra mais j’insisterai particulièrement sur la nature du message. Il faut donner du temps à la réflexion et au débat. Il faut, quelle que soit la forme choisie, se livrer au combat des idées. C’est l’esprit qui anime nos sessions depuis leur création.
Dès le lendemain, le vendredi 14 octobre, les auditeurs allaient apprécier un autre rendez-vous, celui programmé avec l’armée de l’air. La colonelle Anne-Laure Michel, commandant la base aérienne, s’est livrée à la présentation des enjeux stratégiques de l’armée de l’air et de l’espace. Elle a souligné, avec beaucoup de hauteur de vue, les principaux axes stratégiques et décliné sa perception pour les appliquer au sein d’une emprise majeure de l’armée de l’air et de l’espace qu’elle commande depuis quelques semaines seulement. La base aérienne 125 « Charles Monier » d’Istres est une base aérienne qui n’a pas d’équivalent en métropole en étant un véritable tremplin de projection de nos forces armées où sont regroupées les capacités concourant à l’ensemble des fonctions stratégiques. Elle est aussi la base aérienne la plus importante en Europe à l’image de la base navale de Toulon.
Le colonel Pierre Asencio, commandant en second la base aérienne, s’est concentré sur la dissuasion nucléaire, fonction stratégique qui suscite aujourd’hui un renouveau d’intérêt dans un monde où la conflictualité de haute intensité réintroduit la grammaire nucléaire chez les décideurs. Pour ne pas être trop long, j’appuie le conseil de lecture du colonelle Anne-Laure Michel en invitant les auditeurs à lire le livre du général (2s) Bruno Maigret « opération Poker » qui illustre précisément toutes les facettes de la dissuasion.
La visite dynamique qui a suivi a permis de découvrir le nouvel avion ravitailleur stratégique Phénix, véritable game changer pour les forces aériennes ainsi que d’autres unités avec notamment une présentation du système de défense sol-air Mamba qui concourt aux missions permanentes de protection de l’armée de l’air et de l’espace tant sur le territoire national qu’en opérations extérieures.
Pour clore cette rencontre, les auditeurs ont pu apprécier un déjeuner dans les salons du mess de la base aérienne où les échanges se sont poursuivis avec la colonelle Anne-Laure Michel. A n’en pas douter, les auditeurs de la 33ème SMHES ont acquis les fondamentaux de la puissance aérospatiale au cours d’une visite qui constitue toujours un temps fort de ces sessions. Ils ont parfaitement compris le sens donné à cette règle des 3D pour décourager, défendre et défaire. Elle place résolument l’armée de l’air et de l’espace dans une posture où elle saura faire face aux défis de demain.
Accueillis par monsieur Jean-Christophe Abadie, ancien auditeur de la 32ème SMHES, les auditeurs ont mesuré le chemin parcouru et les perspectives d’un groupe où l’innovation a toujours été au cœur des préoccupations des ingénieurs. Plusieurs ateliers ont été successivement présentés, avec notamment celui consacré au dernier né de l’aviation d’affaire, le Falcon 6X, et bien sûr, les postes où sont modernisés les Rafale aujourd’hui dans un standard appelé F3R. Aujourd’hui, cet industriel de référence au niveau mondial prépare l’avenir avec l’avion de combat de sixième génération appelé système de combat aérien futur (SCAF). La question en suspens reste l’engagement européen sur un un programme, à bien des égards, stratégique pour la souveraineté et l’autonomie de l’Europe. Affaire à suivre !
Enfin, la matinée du samedi 15 octobre était consacrée à deux interventions de nature très différente. La première consistait à présenter la direction du renseignement et de la sécurité de la défense. La présentation a souligné le rôle très important d’une direction qui couvre le renseignement au sens large pour la protection de notre outil de défense et de sécurité mais aussi l’écosystème industriel dont certaines entités architecturent la base industrielle et technologique de défense, par construction sensible et exposée.
La seconde intervention réservée à monsieur Emmanuel Aragon, ancien auditeur de la 31ème SMHES et professeur des universités, était consacrée à la méthodologie préconisée pour produire collectivement un mémoire d’étude. Elle répond bien sûr aux exigences du diplôme universitaire mais plus globalement elle propose des approches possibles et les pièges à éviter face à un exercice toujours délicat.
La 33ème session méditerranéenne des hautes études stratégiques est donc lancée. Elle est bien née et les auditeurs ont d’emblée créé une atmosphère propice à l’échange et au débat. Cette première étape a confirmé le dépôt d’un plan de vol qui rythmera les huit prochains séminaires. Comme il est indiqué dans le manuel de l’auditeur ils agiront comme s’il était impossible d’échouer[2] !
[1] Robert Arnoux : ITER « le chemin des étoiles » EDISUD.
[2] Winston Churchill