La territorialisation de l’espace maritime est en marche. C’est sans doute une des plus grandes caractéristiques de notre époque et il ne se passe pas un jour sans qu’une nouvelle création d’aire marine protégée, d’implantation d’éolienne ou de pose de câble sous-marins n’ait lieu au large de nos côtes. Concernant les câbles sous-marins, le développement des câbles de télécommunication masque une autre réalité moins connue qui est le réseau de plus en plus important et sensible des câbles électriques sous-marins haute tension.
En Europe, en raison de la demande en forte croissance d’électricité, de nombreux projets d’implantation de nouveaux câbles sous-marin sont en cours dans le cadre du « réseau interconnecté européen ». Ce dernier comprend les réseaux nationaux mais aussi des interconnexions entre les Etats européens qui parfois passent par le fond de la mer. Ces interconnexions permettent les échanges transfrontaliers d’électricité (la France est un exportateur net d’électricité), mais aussi de répondre à des crises liées à des pannes ou à des pics de consommation et d’optimiser la production électrique en allant toujours chercher l’électricité là où elle est la moins chère. C’est pour cette raison que la France dispose d’importantes interconnexions électriques sous-marines avec la Grande-Bretagne (notamment câbles IFA1, IFA2, Eleclink). Est aussi en construction actuellement, la première interconnexion électrique entre la France et l’Irlande avec le déploiement d’un important câble électrique sous-marin (Celtic Interconnector).
Les câbles électrique sous-marins se multiplient aussi dans le cadre de l’implantation des fermes éoliennes en mer. Ces câbles acheminent l’énergie électrique produite vers la terre, parfois sur de longues distances comme pour les fermes éoliennes implantées en mer du Nord.
Ce réseau de câbles électriques constitue des installations de plus en plus stratégiques et sensibles pour l’Europe. La crainte d’une action hostile d’un Etat s’est matérialisée avec la coupure récente, le 25 décembre 2024, du câble électrique sous-marin Estlink 2 qui relie la Finlande à l’Estonie. Les autorités finlandaises ont rapidement identifié le pétrolier Eagle S, appartenant à la « flotte fantôme » russe, d’avoir causé ces dommages en traînant son ancre sur le fond et n’ont pas hésité à dérouter le navire vers un port finlandais. Pour la première fois en Europe, une interconnexion électrique entre Etats a été volontairement sabotée.
Ce sont pour ces raisons de sensibilité croissante des infrastructures sous-marinesdans un contexte géopolitique tourmenté, que les Etats européens se sont mis en ordre de bataille. Ainsi, la France dans le cadre de sa nouvelle (2022) stratégie de maitrise des fonds marins a mis en place un « crash programm » pour doter, enfin, sa marine nationale des outils d’intervention sous la mer nécessaires. Quant à l’OTAN, elle vient de créer (mai 2024) son Centre maritime pour la sécurité des infrastructures sous-marines critiques au sein du Commandement maritime allié (Northwood).