Depuis le jeudi 17 octobre, les manifestations se multiplient au Liban. La décision du gouvernement d’imposer une taxe de six dollars par mois sur l’application Whatsapp et d’autres messageries électroniques, symboles d’exutoire et d’expression a provoqué l’ire d’une frange de Libanais. Ce qui peut être considéré comme un épiphénomène a agi comme un catalyseur des colères.
Initié sur les réseaux sociaux, le mouvement a pris de l’ampleur et s’est mué en véritable contestation. les Libanais dénonçant leurs conditions de vie, la corruption et le népotisme de la classe politique, incapable de résoudre la crise économique et sociale qui perdure dans le pays. Ces derniers mois, le Liban s’est en effet enlisé dans une crise financière, la dette nationale dépassant les 150% du PIB et le déficit courant 30%.Dans ce mouvement qui concerne toutes les régions du pays, aucun leader ni groupe politique ne semble tirer les ficelles. Surtout, les manifestants semblent unis dans la rue, faisant fi de leurs divergences politiques ou confessionnelles dans un pays historiquement communautarisé. Par ailleurs, les manifestations se tiennent également dans des régions dominées par le mouvement Hezbollah, qui ne sont pas familières des vagues de protestation. Pour le journaliste du quotidien libanais Al-Akhbar Walid Charara, il s’agit d’une « authentique explosion populaire qui s’est rapidement répandue à l’échelle du pays et à laquelle participent des milieux sociaux très différents ». Alors que les Libanais s’unissent au-delà de leurs différences, ils n’ont épargné aucun chef politique. Le journaliste Paul Khalifeh écrit : « La foule en colère a conspué le président de la République, le maronite Michel Aoun, réclamé, dès les premières heures, la démission du gouvernement du sunnite Saad Hariri, et déchiré les portraits du chef du législatif, le chiite Nabih Berry ».
Spontanée et surprenante, cette contestation de masse transcommunautaire dans un contexte de fragilité politique interne a surpris les dirigeants libanais, les partis politiques et les diplomates en poste dans le pays. Par ailleurs, l’annulation quasi immédiate de la taxe concernant Whatsapp n’a pas freiné les manifestants en colère.
Le lundi 21 octobre, le Premier ministre libanais Saad Hariri a annoncé des mesures à l’issue du Conseil des ministres. Attendu depuis quelques jours, ce plan de réforme en 24 points représente une rupture avec les politiques économiques et financières que connaît le pays jusqu’à présent. Pour autant, Saad Hariri se justifie : « Ces décisions n’ont pas été prises en vue d’un marchandage. L’adoption de ces réformes ne vise pas à mettre fin aux manifestations ». Les réformes prévoient, entre autres, la réduction de moitié des salaires des présidents, des ministres et des parlementaires ainsi que la baisse de certains avantages dont bénéficient les hauts fonctionnaires. Le plan, qui promet un « budget 2020 sans impôts supplémentaires pour la population », vise aussi à la suppression ou à la fusion de certains organismes dont des ministères dans le but de réaliser des économies d’échelle. Le Premier ministre s’est également dit prêt à accepter des élections anticipées. Concernant les manifestants, le chef du gouvernement déclare : « Dans la rue, vous demandez de la dignité, de l’emploi et qu’on entende vos demandes. De mon poste de responsabilité, je dis que tout ce que vous avez fait ces derniers jours a cassé tous les obstacles. Il s’agit d’un nouveau départ pour le Liban. »
A l’issue du discours du Premier ministre, les manifestations ont tout de même repris. Son discours, un plan de sauvetage pour le pays touché par les crises diverses, a été perçu par les manifestants comme une énième tentative de sauver la classe politique.
Près de 30 ans après la fin de la guerre civile ayant rendu le pays exsangue, le Liban reste miné par les crises intérieures. Depuis 2011, il subit en sus les répercussions de la guerre en Syrie. A l’instar des pays de la région, Irak, Algérie, Mauritanie ou Egypte, une frange de la population a décidé de s’opposer au système en place en choisissant la voie de la manifestation.