La pression est maintenue sur l’organisation de nos séminaires dans un contexte qui ne permet pas encore un retour à la situation normale tant espérée. Le mode hybride s’impose donc avec l’accent porté sur l’utilisation de la visioconférence. Ce contexte fixe une double exigence, celle de la flexibilité pour adapter le déroulement de nos séminaires, conjuguée à celle de la performance car il est toujours délicat de maintenir l’attention d’un auditoire qui n’est pas directement au contact des intervenants. En la matière, nous ne pouvons que nous réjouir de ce niveau de performance avec un parterre d’intervenants particulièrement impatients d’échanger avec les auditeurs de la 31ème session méditerranéenne des hautes études stratégiques. Car finalement s’adresser à des acteurs de la société civile ayant fait le choix d’un parcours académique centré sur la réflexion stratégique et prospective n’est pas si courant. Leur impatience s’est agrégée à l’enthousiasme des actions qu’ils ont présentées et à celui des auditeurs dont les échanges ont été particulièrement nourris. Ces échanges s’inscrivent directement ou indirectement dans le cadre des travaux de leur session.
Dans le cadre de nos séminaires, il est désormais acquis de systématiser la rencontre avec les organisations internationales. A ce titre, les organisations relevant des Nations unies méritent d’être présentées car elles couvrent un spectre très large d’actions de portée mondiale. Dans un monde où le multilatéralisme s’exprime difficilement, ces organisations fournissent un bon indicateur de l’Etat du monde. En première analyse, le monde apparaît instable et plus que jamais imprévisible. La crise sanitaire en est une illustre démonstration. Née à Versailles et installée à Genève au lendemain de la Première guerre mondiale, la Société des Nations devait être le moteur d’actions multilatérales permettant de maintenir la paix universelle. Mais cette organisation sera totalement discréditée avec une seconde vague d’extrême violence au cours de la Seconde guerre mondiale. L’Organisation des Nations unies allait alors prendre la place. Entrée en vigueur le 24 octobre 1945, la charte des Nations unies a été signée par 51 États le 26 juin 1945. L’organisation compte aujourd’hui 193 États membres. Son origine caractérise sans doute le mieux la volonté occidentale au lendemain des heures sombres de son histoire. Puis, avec le transfert à New-York du siège de l’organisation, cette volonté est relayée aux Etats-Unis avec un recul de la puissance occidentale au moment où son empire connaissait progressivement le déclin. Genève constitue donc le creuset où se regroupent toutes les organisations internationales sous leurs différentes formes. C’est véritablement le berceau du multilatéralisme. Le berceau d’un multilatéralisme dont la mise en œuvre soulève aujourd’hui de multiples questions.
Le jeudi 27 mai 2021
Mais avant de rencontrer les représentants de nos organisations internationales, un rendez-vous était consacré aux fondamentaux de la culture stratégique. Monsieur Yann Hwang, ambassadeur représentant permanent de la France près de la conférence du désarmement à Genève, a finalement ouvert cette session en partageant son expérience de terrain dans son champ d’expertise du désarmement et bien au-delà. Dans son intervention très complète, c’est aussi le changement de l’état du monde qui transparait. Dans ce changement, les sujets relatifs aux armements gardent toujours la même acuité. Ils affirment aussi une plus forte sensibilité avec une l’accélération technologique très rapide qui peut contrarier l’approche juridique portée à ces sujets. Car les traités imposent l’établissement d’un cadre juridique dont la dimension multilatérale constitue une évidente difficulté technique. Or, cette accélération technologique, l’affaiblissement du multilatéralisme et le contexte sanitaire actuel constituent autant de freins à l’élan des Etats engagés dans cette conférence du désarmement. Et dans les nouveaux équilibres du monde qui se dessinent, il n’y a pas eu d’actes majeurs en matière de désarmement en dehors d’un accord bilatéral New Start signé en 2010 entre la Russie et les Etats-Unis. Puis, notre représentant a réaffirmé le besoin de culture stratégique pour les décideurs. Car aujourd’hui, les responsables placés aux affaires appartiennent aux générations de plus en plus éloignées des heures sombres de l ‘histoire de l’Europe. Ils n’ont pas connu la guerre et pour la plupart d’entre eux n’ont pas vécu d’expériences au sein d’organismes de défense ou de sécurité. Dans un échange où les questions n’étaient pas convenues, les auditeurs n’ont pas manqué d’interpeller notre ambassadeur avec une « impertinence » annoncée qui donne l’envie de débattre.
La conséquence des enjeux environnementaux en Méditerranée comporte évidemment une dimension économique. Il était donc naturel de solliciter un représentant de l’organisation mondiale du commerce. Monsieur Victor do Prado, diplomate brésilien et directeur exécutif de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), s’est plié à cet exercice en s’exprimant dans un français impeccable devant nos auditeurs. Sans en détailler toutes les facettes, il a souligné les difficultés de mise en œuvre d’une régulation économique mondiale. La logique du rapport de force entre les États semble désormais s’imposer y compris dans les instances juridictionnelles. Cette situation souligne en particulier la vive tension entre les États-Unis et la Chine sur de profonds différends commerciaux. L’organisation mondiale du commerce fait donc face à de nouveaux enjeux dans un contexte évolutif et instable où les équilibres entre les puissances changent. Le contexte de crise sanitaire a souligné quelques tendances avec notamment le repli sur soi des Etats et des réaffirmations de souveraineté économique portant aussi un coup d’arrêt au multilatéralisme commercial qui aurait atteint ses limites. A n’en pas douter, la dimension environnementale sera un élément structurant l’économie mondiale et comptera dans les facteurs de puissance des Etats.
Monsieur Bruno Pozzi, directeur du bureau Europe pour le programme des Nations unies pour l’environnement a confirmé ce point. Ardent défenseur du multilatéralisme et de la nécessité de placer l’environnement au centre de l’action politique, il a souligné la dimension centrale des questions environnementales pour les Etats et les tensions qui pouvaient en résulter. Ces tensions résultent le plus souvent d’une différence d’appréciation sur les priorités conduisant au retrait des Etats de certains accords internationaux comme l’accord de Paris. De fortes ambitions sont malgré tout affichées, notamment au sein de l’Union européenne, avec le Green Deal et l’objectif de la neutralité carbone à l’horizon 2050. Le changement climatique et la dégradation de l’environnement constituent donc une menace existentielle pour l’Europe et le reste du monde. Dans le contexte actuel, l’anticipation, face aux conséquences de ce changement, mérite sans doute une attention particulière.
Parmi ces conséquences, la question des flux migratoire est évidemment posée. Au-delà, les tensions interétatiques, pouvant surgir compte tenu de la rareté de certaines ressources vitales, pourraient conduire à ajouter aux migrations naturelles celles de réfugiés victimes de conflits internes aux Etats ou entre Etats. II était donc intéressant de présenter à nos auditeurs la mission du Haut-commissariat pour les réfugiés, et en particulier celle de l’envoyé spécial pour la situation en Méditerranée centrale et occidentale. Monsieur Vincent Cochetel a fait une intervention remarquée, empreinte de beaucoup d’humanité, à partir de ses bureaux de Tunis. Spécialiste des questions juridiques, il a ainsi précisé tous les éléments de droit relatif à la protection des personnes. Son intervention terriblement d’actualité a mis en évidence le rôle central d’une organisation provisoire née au lendemain de la Seconde guerre mondiale en 1950. Nous reviendrons un peu plus tard sur cette thématique des flux migratoires lors d’une présentation de l’Organisation internationale pour les migrations.
Le vendredi 28 mai 2021
Au terme d’une première journée d’échanges très riche, les auditeurs étaient prêts à poursuivre leur parcours pour mieux comprendre l’articulation des différentes agences des Nations unies et la cohérence des différentes structures existantes. En complément de la présentation du programme des Nations unies pour l’environnement, il était indispensable de présenter l’agence principale en charge du développement. Le programme des Nations unies pour le développement ou PNUD contribue à la réalisation d’objectifs de développement durable (ODD) dans quelques 170 pays et territoires. Comme l’indiquait monsieur Alexis Laffittan, responsable des partenariats, l’objectif est, par le biais de solutions intégrées, d’aider les pays cibles à lutter contre les inégalités, prévenir les conflits et répondre aux réalités quotidiennes des populations. La réalisation des objectifs de développement durable implique des partenariats entre tous les secteurs, publics et privés ainsi que la participation de la société civile et des citoyens. Ce qui prévaut dans la mise en œuvre des actions de ce type d’agence est d’appréhender la réalité du terrain. Madame Rachel Scott du bureau des crises pouvait en parler avec une évidente aisance en ayant couvert de nombreuses crises dont celle récente résultant de l’explosion d’un dépôt à Beyrouth. Cette réalité du terrain est déterminante et raisonne comme un écho à cette ambition des Nations unies d’éradiquer la pauvreté et de protéger la planète pour vivre dans la paix et la prospérité. Ce message peut paraître un peu idéaliste mais milite sans doute pour que l’on s’intéresse aux conséquences de nos actions anthropiques.
S’agissant de la réalité du terrain, la présentation du comité international de la croix rouge (CICR) s’imposait. Son action se fonde sur les conventions de Genève de 1949 dont le CICR est à l’origine. Institution indépendante et neutre, elle compte parmi les plus anciennes de notre histoire. Monsieur Martin Lacourt en a fait une présentation très complète. Le message est simple et ambitieux. La vocation du CICR est unique, celle de protéger la vie et la dignité des victimes des conflits armés. Accompagnée de collaborateurs référents dans les dimensions juridiques ou opérationnelles, la présentation réalisée au cours de cet échange souligne le rôle central du CICR dans la gestion des crises dont la caractéristique aujourd’hui est de s’inscrire dans la durée.
Pour clore ce séminaire consacré aux instances internationales, plusieurs intervenants de l’organisation internationale pour les migrations (OIM) ont présenté leurs champs d’actions. Madame Laetitia Vaval, chargée des relations externes, nous a permis d’appréhender toutes les facettes d’une organisation confrontée à une actualité particulièrement fournie. Les questions environnementales, la situation en Libye ainsi que des situations particulières en Somalie, Sud-Soudan, Afghanistan, ex-Yougoslavie, aux Philippines ainsi qu’en Syrie ont évidemment souligné l’ampleur du phénomène migratoire sous toutes ses formes. Les intervenants ont été précis et très objectifs dans la présentation de données qui sont parfois politiquement instrumentalisées. Sans aucun doute, ces flux migratoires continueront de mobiliser ce qu’il est commun d’appeler la communauté internationale sans toutefois trouver de réponse totalement homogène.
A la lecture de ces quelques lignes, chacun pourra apprécier la densité de ce séminaire au contact des Nations unies. Nous remercions nos interlocuteurs d’avoir animé toutes ces séquences avec un réel enthousiasme. Nous les remercions d’avoir su nous faire part de la réalité du terrain. Nous formons le vœu d’être au contact de notre armée de terre, à l’occasion du séminaire du mois de juin, nous permettant là aussi d’avoir un retour d’expérience des opérations conduites sur des terrains souvent difficiles.