L’élection de Donald Trump le 5 novembre dernier constitue l’évènement le plus marquant du mois par les conséquences multiples qu’elle entraîne. Son pacifisme, son transactionnalisme, son unilatéralisme, son obsession pour la Chine et son absence totale de références idéologique ou historique laissent la place pour des changements radicaux et inattendus.
En Ukraine une nouvelle période s’ouvre. L’heure des négociations a sonné et les combats devraient s’arrêter en 2025. La première question concerne la ligne de cessez-le-feu. Chacun fait effort pour prendre le maximum de gages avant la prise de fonction du nouveau président américain. L’autorisation donnée par Joe Biden d’utiliser les missiles ATACMS sur le territoire russe d’une part et de l’autre le tir du missile russe Orechnik, à capacité nucléaire mais avec une charge classique, sont l’illustration de ce rapport de force qui va aller en s’accentuant. La deuxième question porte sur la sécurisation des 1 000 km de « frontière » entre les belligérants. Il s’agit d’identifier les pays capables et volontaires pour garantir le cessez-le-feu pendant peut-être plusieurs décennies.
Au sud de l’Europe, les conséquences paraissent moins prévisibles pour plusieurs raisons. De prime abord, l’élection de Donald Trump a été saluée par les autocrates et dirigeants populistes de la région, Benjamin Netanyahou en tête. Ils se réjouissent de l’arrivée au pouvoir d’une administration qui ne leur fera pas la morale, ne fera pas la promotion des valeurs occidentales et leur laissera libre cours pour régler comme ils le souhaitent leurs conflits intérieurs. Seuls les dirigeants iraniens, l’émir Al Thani du Qatar et le roi Abdallah II de Jordanie déplorent cette élection, car ils dépendent – chacun à leur manière – de leur relation avec Washington et ils savent qu’il leur sera plus difficile de négocier avec une administration républicaine.
Il est probable que le nouveau président des Etats-Unis renforce le processus de désengagement de cette région, mouvement constant depuis Barak Obama. C’est tout particulièrement vrai pour l’Afrique du Nord qui n’a fait l’objet d’aucune déclaration pendant la campagne mais aussi pour le théâtre Irak-Syrie très impopulaire au sein de la population américaine, en particulier dans la base électorale de Donald Trump. Il est ainsi possible que le nouveau président accélère le retrait militaire américain de cette zone d’opérations, créant un appel d’air que certains acteurs régionaux s’empresseront de combler, tout particulièrement dans les interstices libérés à la frontière irako-turco-syrienne. Nul doute que la Turquie, la Russie et l’Iran en profiteront, mais peut-être aussi Daech et Al-Qaïda qui n’ont pas dit leur dernier mot et qui n’attendent que le moment opportun pour reprendre le contrôle des territoires où ils étaient solidement enracinés. Les grands perdants seront sans nul doute les Kurdes et les Palestiniens, mais aussi les Libanais qui ont montré leur impuissance lors du conflit opposant Israël au Hezbollah et à l’Iran. L’évolution de la Syrie dans cet environnement tourmenté sera le sujet de notre prochaine conférence, assurée par le lauréat du prix géopolitique de la FMES, Fabrice Balanche, qui décryptera les conséquences de la conquête surprise d’Alep par les islamistes et les rebelles syriens quelques jours après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah.
Enfin, Donald Trump reste imprévisible – c’est indéniablement sa force – amoral et profondément transactionnel, laissant ouverte l’hypothèse de retournements de situation totalement imprévus. Même ses plus fidèles supporters tels que l’Israélien Benjamin Netanyahou, le Saoudien Mohammed Ben Salmane, l’Emirien Mohammed Ben Zayed ou l’Egyptien Abdel Fatah al-Sissi se méfient de ses foucades et de ses initiatives. Ils ont également compris qu’en déclarant urbi et orbi qu’il comptait mettre un terme aux hostilités au Moyen-Orient, Donald Trump n’entendait pas engager les Etats-Unis dans un conflit armé au Moyen-Orient, notamment contre l’Iran, même s’il a nommé des personnalités très hostiles à ce pays dans son gouvernement (Marco Rubio). Les dirigeants israéliens auront probablement peu goûté la rencontre discrète à New-York entre Elon Musk et l’ambassadeur iranien auprès des Nations unies (14 novembre). Pas plus d’ailleurs que la relance de la coopération militaire et des manœuvres conjointes entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Dans ce nouvel environnement propice aux « coups », Benjamin Netanyahou, otage de ses ministres d’extrême droite fervents défenseurs d’une colonisation forcenée pourrait profiter de la fenêtre d’opportunité pour annexer purement et simplement la Cisjordanie, réglant ainsi à sa manière le dossier palestinien et s’assurant d’une réélection confortable. Le limogeage en pleine guerre de son ministre de la Défense Yoav Gallant, fermement opposé à cette annexion, conforte cette hypothèse. Il est impossible aujourd’hui d’anticiper la réaction de Donald Trump : applaudissement ou lâchage ? cela dépendra probablement du succès de l’entreprise.
De leur côté, les dirigeants iraniens sont divisés entre adeptes de l’ouverture autour du gouvernement et du Parlement et tenants d’une ligne dure autour du conseil national de sécurité et du puissant lobby pro-russe, sans qu’il soit possible de déterminer avec précision la part de connivence entre les deux partis. Ce jeu est d’autant plus important qu’il se déroule dans un contexte de fin de règne d’un guide suprême très malade dont chacun voit en Iran qu’il n’est plus forcément apte à diriger le pays. L’hypothèse du franchissement du seuil nucléaire est toujours en suspens.
Au Moyen-Orient, le désengagement américain promu par Donald Trump pourrait ainsi déboucher, dans un scénario noir, sur la destruction de la bande de Gaza, l’annexion de la Cisjordanie par Israël, l’affaiblissement de la monarchie hachémite après l’expulsion de nombreux Palestiniens en Jordanie, l’effondrement du Liban, une relance de la guerre civile en Syrie et une bombe atomique iranienne qui forcerait sans doute les Israéliens à sortir de l’ambiguïté nucléaire.
Plus généralement, l’incertitude engendrée par l’élection de Donal Trump ne peut que convaincre tous ceux qui ont choisi le multi-alignement de poursuivre cette stratégie pragmatique.
En Afrique, alors que l’instabilité s’accroit dans la bande sahélo-soudanaise comme dans la région des Grands lacs, la position de la France s’affaiblit alors que ses compétiteurs, en particulier russes et turcs, se renforcent. La décision du gouvernement tchadien de mettre fin aux accords de sécurité et de défense avec la France et l’évocation du départ des troupes françaises du Sénégal par le président Diomaye Faye illustrent la dynamique en cours qui semble générer un effet d’entrainement.
Les Européens sont donc désormais devant leurs responsabilités : vont-ils enfin se réveiller pour assumer leur sécurité ou vont-ils continuer à se bercer d’illusions faisant par là même le jeu de tous ceux qui rêvent de les écarter de l’histoire en espérant la réécrire à leur profit ? Le premier mandat de Donald Trump avait sonné l’alarme, sans réel réveil des Européens ; l’invasion de l’Ukraine par la Russie avait sonné le tocsin ; qu’en sera-t-il cette fois ? Certains s’y préparent (articles de Jean Marcou et Aris Marghelis). Alors que le président Macron a décidé de faire rentrer les cendres de Marc Bloch au Panthéon, les Français doivent faire l’effort intellectuel de comprendre ce qui advient, pour éviter une nouvelle « étrange défaite ». La FMES s’efforce d’y prendre sa part.
L’équipe de direction de l’Institut