Toute l’équipe de la FMES vous souhaite ses meilleurs vœux pour une année 2025 qui, dès les premières semaines, a connu une accélération de la rupture stratégique que nous décrivons depuis plusieurs années.
En prêtant serment le 20 janvier, Donald Trump a donné un avant-goût de la posture des Etats-Unis pour les quatre prochaines années, et peut-être même pour les prochaines décennies tant il semble en phase avec les évolutions du monde : imprévisible car marquée par le désir de coups opportunistes, transactionnelle car déconnectée de toute logique d’alliance ou de bloc, amorale car se fondant exclusivement sur l’intérêt national et brutal car les inhibitions générées par le denier conflit mondial se sont estompées. Ce sera le thème de notre conférence du 6 février.
La priorité donnée par le nouveau président américain à la sécurisation de son environnement proche (Groenland, Canada, Panama) fait échos aux stratégies chinoises et russes de consolidation de zone d’influence géographique exclusive autour des pôles de puissance. L’Europe doit ainsi réaliser qu’elle passe au second plan pour son protecteur historique alors que l’est du continent est prioritaire pour le prédateur russe.
Cette réalité impacte la situation en Ukraine. Donald Trump entame des négociations avec Vladimir Poutine, sans impliquer les Ukrainiens ni les Européens, en espérant une décision « à la coréenne » pour Pâques. Deux inconnues subsistent : comment sécuriser la ligne de front pendant des décennies alors que l’OTAN et les Américains ne s’impliqueront probablement pas ? Vladimir Poutine ne va-t-il pas jouer l’embourbement des négociations en espérant que Donald Trump, happé par ses autres priorités, laisse Moscou en tête à tête avec Kiev et les Européens.
Au Moyen-Orient, l’effet Trump s’est également fait sentir. Il a réussi à faire pression sur Israël, sur le Hezbollah (et donc l’Iran) et sur les Palestiniens pour obtenir, avant même sa prise de fonction, l’élection d’un nouveau président au Liban (Joseph Aoun) de même qu’un accord de cessez-le-feu à Gaza permettant le retour progressif des otages et des morts israéliens en échange de la libération d’un grand nombre de prisonniers palestiniens. Nul doute que ce dernier accord restera très fragile et pourrait bien voler en éclat car les extrémistes, en Israël comme dans les territoires occupés, n’en veulent pas.
La situation semble se stabiliser après la reprise inattendue de l’ascendant militaire israélien sur l’Iran et ses proxys au cours de l’année 2024. En Syrie, la poussière créée par la chute de Bachar el-Assad retombe. L’ordre semble régner, au détriment des minorités communautaires prises en étau entre les ambitions des acteurs régionaux et celles du nouveau pouvoir en place à Damas. Si Donald Trump confirme le retrait des forces américaines de la région qu’il avait évoqué pendant sa campagne, Daech pourrait en profiter pour accroître son emprise en Syrie, en Irak et même en Jordanie qui apparait désormais comme un maillon très fragile au Levant. C’est le thème de notre article et de notre carte du mois. La Turquie et Israël sortent pour leur part très largement bénéficiaires de la décomposition du fameux « axe de la résistance » prôné par l’Iran, avec des risques de friction accrus entre eux. Il conviendra de suivre attentivement la situation en
Jordanie en 2025 : celle-ci pourrait faire les frais d’un aggiornamento régional toujours possible entre les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite, l’Iran et Israël.
Dans le reste du monde, un certain nombre de dirigeants on fait allégeance au nouveau président américain. De manière significative, peu ont pris le risque de le stigmatiser ouvertement. Dans un partage des rôles probablement scénarisé, Donald Trump joue la carte du retour du jeu de puissance du 19ème siècle quand Elon Musk incarne l’ultra-modernité du 21ième pour affronter les rivaux et déstabiliser les alliés.
La lutte pour les zones d’influence se joue aussi à l’Est. Le groupe des BRICS+ dominé par la Chine s’est élargi à 9 nouveaux Etats « partenaires » en Asie centrale (Kazakhstan, Ouzbékistan), en Asie du Sud-Est (Thaïlande, Indonésie, Malaisie), en Afrique (Ouganda) et en Amérique latine (Cuba et Bolivie). En Europe, la Biélorussie a obtenu ce statut à la demande expresse de Moscou. Ce groupe représente désormais 40 % de la richesse mondiale et plus de la moitié de la population de la planète. Quelques jours avant la prestation de serment de Donald Trump, la Russie a également formalisé un partenariat stratégique avec l’Iran, en gestation depuis deux ans, montrant clairement la volonté de ces deux Etats de multiplier les voies pour contourner les sanctions qui les frappent, malgré leurs désaccords sur certains dossiers. Pour le régime iranien, il s’agissait également de faire pression sur la nouvelle administration américaine à l’heure où semble s’entamer une grande négociation entre Washington et Téhéran.
La relation entre l’Algérie et la France s’est encore détériorée en ce début d’année 2025, sans qu’il soit possible d’envisager une sortie de crise rapide. Paradoxalement, les diplomaties française et algérienne semblent toutes deux en grande difficulté sur le continent africain. Les propos d’Emmanuel Macron à propos de l’Afrique lors de la conférence des ambassadeurs ont provoqué un tollé. L’Algérie se trouve elle-même dans un isolement croissant dans l’espace sahélien qui s’opère au bénéfice du Maroc. Le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont quitté la CEDEAO (29 janvier) et continuent à renforcer l’AES (Alliance des Etats du Sahel). L’affrontement larvé entre la RDC et le Rwanda prend désormais la tournure d’une guerre ouverte avec l’arrivée à Goma de combattants de l’armée rwandaise. A cet égard, les violentes attaques à Kinshasa contre les ambassades de France, de Belgique et des Etats-Unis mais épargnant celle de Chine montrent que la bataille des représentations au sein des populations fait rage.
Les Européens sont en effet concernés par ces recompositions que l’on constate dans le monde entier, même s’ils n’en ont pas tous conscience, engourdis dans un modèle crépusculaire alors que leurs voisins sentent le vent des opportunités. Il leur faut se préparer à affronter des antagonismes de toute nature (économiques, informationnels, normatifs, politiques, sécuritaires et militaires) et venus de toutes parts, y compris d’outre-Atlantique. Une chose paraît sure : dans un monde marqué par la menace d’affrontements, le parapluie américain coutera de plus en plus cher, tout en étant de moins en moins étanche pour nous protéger de l’orage d’acier qui approche.
Face au basculement qui s’accélère, nous devons ne pas perdre la bataille intellectuelle de la compréhension du monde et des conflits qui se profilent. Vous pouvez compter sur la FMES pour y contribuer avec passion et détermination.
L’équipe de direction de l’Institut