Par l’équipe de direction de l’institut FMES
Le mois d’octobre a été marqué par la résurgence d’un ancien conflit qui, après l’Ukraine et le Haut-Karabakh, renforce la tension entre l’Europe et son voisinage sud. La nouvelle guerre qui oppose Israël au Hamas depuis le 7 octobre, déclenchée par le massacre de plus d’un millier de civils israéliens par des djihadistes infiltrés depuis la bande de Gaza, replace le conflit israélo-palestinien sur le devant de la scène internationale. Vous pouvez consulter les décryptages de nos experts dans la rubrique médias de notre site internet. Les dirigeants israéliens et leurs soutiens (Etats-Unis, Emirats Arabes Unis, Egypte, certains pays européens), qui estimaient que ce conflit pouvait être « géré » sur le temps long en achetant la paix à Gaza avec l’argent du Qatar et de l’Union européenne tout en colonisant la Cisjordanie, se sont lourdement trompés. Ils pensaient que le Hamas se satisferait du statu quo, qu’il ne tenterait aucune action d’envergure sans le soutien du Hezbollah et que les services israéliens disposeraient d’un préavis suffisant pour agir préventivement. Leurs prévisions ont été contredites. L’élargissement des accords d’Abraham était une hypothèse intolérable pour l’Iran et le Hamas, et à un moindre niveau pour le Qatar qui y aurait vu une marginalisation à l’égard de ses concurrents du Golfe. L’attaque du 7 octobre, en obligeant Israël à réagir, gèle ce rapprochement pour une durée qui dépendra de la durée de la guerre et de son impact médiatique sur les populations arabes.
En effet, cette guerre se déroule à la fois sur le champ de bataille pour l’instant limité à la bande de Gaza (avec des risques réels d’extension en Cisjordanie et à la frontière israélo-libanaise), mais aussi sur le front médiatique. Comme en juin 1982 lorsqu’elle était intervenue au Liban pour « éradiquer l’OLP » de Yasser Arafat et qu’elle avait mis le siège de Beyrouth, Tsahal assiège aujourd’hui Gaza pour « éradiquer le Hamas », espérant qu’aucun acteur régional ne tentera de briser ce siège par la mer, au risque de provoquer une escalade incontrôlable.
Vue d’Europe, le gouvernement israélien cherche à restaurer sa posture dissuasive fortement écornée en rétablissant sur le terrain un rapport de forces qui lui soit favorable. Au bout du compte, il lui faudra tout de même négocier avec les Palestiniens, mais lesquels ? Ce ne sera certainement pas avec le cacochyme Mahmoud Abbas totalement démonétisé. Le retour au statu quo, espéré par la classe politique israélienne, ne semble plus aujourd’hui une option tenable. Peut-être cette guerre permettra-t-elle d’envisager la création d’un Etat palestinien dans une logique différente de celle des accords d’Oslo ?
Cette guerre questionne également la posture française au Levant. A cet égard, il faut se souvenir qu’il y a 40 ans (23 octobre 1983), en pleine guerre civile libanaise et face à l’armée israélienne, 58 soldats français furent tués lors de l’attentat du Drakkar à Beyrouth, alors que ceux-ci étaient missionnés pour s’interposer et assurer la sécurité des civils libanais, aux côtés de contingents américains, britanniques et italiens ; 241 Marines le furent également ce jour-là. Ce double attentat entraîna une double-riposte française (opération Brochet) et américaine (opération Staunch). Le cuirassé USS New Jersey et la chasse américaine pilonnèrent pendant plusieurs jours les positions pro-iraniennes au Liban. Les militants les plus âgés du Hezbollah s’en rappellent encore. La présence aujourd’hui de deux groupes aéronavals de l’US Navy au large du Liban n’est donc pas anodine. Elle rappelle à l’Iran et au Hezbollah que les Etats-Unis n’hésiteront pas à riposter de manière décisive, comme à l’époque, si ceux-ci venaient à cibler les soldats américains présents au Moyen-Orient ou s’ils venaient à bombarder massivement Israël.
Il est encore trop tôt pour évaluer les conséquences de cette nouvelle guerre. Rebattra-t-elle les cartes géopolitiques au Moyen-Orient et dans le bassin méditerranéen ? Ou bien en accélèrera-t-elle les effets ? De prime abord, plusieurs acteurs bénéficient de ce nouveau conflit. Tout d’abord l’Iran qui voit le processus de normalisation entre l’Arabie Saoudite et Israël reporté aux calendes grecques et qui ne peut que se satisfaire de voir le gouvernement israélien affaibli et focalisé sur le front intérieur, alors même qu’il défiait l’Iran sur ses propres frontières en zone kurde, au Sud Caucase et en Asie centrale. Le Qatar ensuite qui orchestre la campagne médiatique hostile à Israël tout en ménageant ses partenaires américains et iraniens. La Russie enfin, qui bénéficie d’une heureuse diversion dans sa guerre en Ukraine, alors même que sa marine est à la peine en mer Noire.
De son côté, le président turc R.T. Erdogan a commémoré avec faste le centième anniversaire de la République turque ce 29 octobre, se présentant comme le défenseur des musulmans et des Palestiniens face aux Israéliens et aux Occidentaux, dans une surenchère verbale probablement destinée à damer le pion au régime iranien et à la monarchie saoudienne dans sa recherche de leadership vis-à-vis de l’Oumma. Ses discours enflammés le coupent durablement d’Israël avec lequel il s’était pourtant rapproché, et le contraindront sans doute à des contorsions douloureuses à l’égard de ses alliés otaniens et américains. Sa posture écarte toutefois le spectre d’une intervention militaire turque dans le corridor de Zanguezour en Arménie, car la Turquie ne pourra plus compter sur le soutien d’Israël et des Etats-Unis.
Au sein du monde arabe, de nombreux dirigeants se retrouvent écartelés entre leur détestation du Hamas et des Frères musulmans et la pression de leurs opinions publiques chauffées à blanc. Ce sont les voisins directs d’Israël qui risquent d’en pâtir le plus, qu’il s’agisse du Liban otage du Hezbollah, de l’Egypte paniquée à l’idée d’accueillir deux millions de Gazaouis, et la Jordanie tétanisée par les réactions hostiles de sa population majoritairement palestinienne.
Ces questions et bien d’autres seront décryptées et débattues lors de nos Rencontres Stratégiques de la Méditerranée qui se dérouleront les 9-10 novembre à Toulon, auxquelles vous pouvez encore vous inscrire.