EDITO

Comme nous l’évoquions dans nos précédents éditoriaux, le président Donald Trump n’a pas attendu longtemps pour renforcer l’ébranlement en cours des équilibres stratégiques. Il est à son aise dans ce monde en rupture et applique sans vergogne sa stratégie de sidération pour déstabiliser ses interlocuteurs, qu’ils soient rivaux ou partenaires, afin de faire pression sur eux pour les contraindre à accepter un accord renforçant son image et les intérêts économiques des Etats-Unis.

D’abord en Ukraine où malgré le courage, la résistance et la résilience du peuple ukrainien qui se bat pour son indépendance depuis trois ans, le président fraîchement élu semble s’être entendu avec Vladimir Poutine pour imposer à l’Ukraine un accord léonin de cessez-le-feu, gagnant au passage l’accès à des ressources minières stratégiques. Le script des évènements paraît limpide : Donald Trump revendiquera un succès « éclatant » et posera les jalons d’une entente avec la Russie qui lui permettra de mieux faire pression sur la Chine ; le président ukrainien Zelenski sera poussé vers la sortie, offrant au maître du Kremlin une victoire symbolique ; les Etats européens qui le souhaitent, France et Royaume-Uni en tête, seront autorisés à déployer des forces terrestres en Ukraine derrière l’actuelle ligne de front pour garantir le respect du cessez-le-feu. Mais en l’absence de capacités militaires dissuasives en nombre suffisant, cette garantie est illusoire sans l’appui des Etats-Unis. Qu’adviendrait-il si après une phase permettant à son armée de se reconstituer, la Russie rouvrait les hostilités, profitant d’une fenêtre d’opportunité ? La Maison Blanche a tué dans l’œuf la crédibilité de cette réassurance en rappelant que l’Ukraine ne serait jamais admise dans l’OTAN et que les forces américaines ne seraient jamais déployées en Ukraine. Le risque existe que l’armée russe enfonce la ligne de cessez-le feu, s’empare de nouveaux territoires et isole les unités terrestres françaises ou britanniques sans les engager directement, reproduisant le scénario catastrophe de mai-juin 1940 en Belgique et en Flandre. La France et le Royaume-Uni se retrouveraient alors face à un dilemme : déclarer l’état de belligérance avec la Russie en assumant les risques d’escalade nucléaire et de déstabilisation du territoire national ; ou bien céder, au risque de perdre toute crédibilité et légitimité à échéance visible. Il convient aussi de ne pas écarter l’hypothèse de l’élection sous influence d’un président pro-russe en Ukraine. Dans ces trois cas, Vladimir Poutine s’estimerait gagnant puisqu’il serait parvenu à humilier Paris et Londres et, à travers eux tous les Européens, tout en renforçant son discours victimaire à l’égard de son peuple. Pour éviter un tel scénario, il faudrait donc « mettre le paquet », militairement mais également politiquement : la présence de troupes ne suffit pas à elle seule à décourager un adversaire résolu. Il faut associer à des moyens militaires dissuasifs en nombre et en qualité, un mandat et des règles d’engagement robustes et une résolution politique et morale ferme, partagée par les opinions publiques.  Les échecs européens dans les Balkans dans les années 1990 ne peuvent pas être reproduits à l’échelle d’une opposition face à la Russie.

L’option consistant à réarmer l’Ukraine, thème de notre conférence du mois, reste pertinente car elle permet de donner à l’Ukraine les moyens de tenir dans le match d’usure qui est en cours, mais il imposera un effort financier et industriel considérable de notre part. Nous n’échapperons de toute façon pas à un changement radical des priorités qui ont été celles de l’Europe occidentale depuis un demi-siècle et qui ont favorisé l’Etat-providence au détriment de la sécurité.

La troisième option, l’abandon par les Européens de l’Ukraine à son sort, se paierait très cher en termes de prestige international, en particulier vis-à-vis de leurs compétiteurs régionaux et des populations du sud. Ce ne serait en effet pas un cynisme à la Trump mais une lâcheté à la Chamberlain et la faiblesse des nantis suscite toujours la convoitise.

Surfant à sa manière sur ce changement de paradigme, Donald Trump a réitéré son intention d’annexer le Canada et le Groënland, tout en laissant entendre qu’il n’honorerait sa solidarité atlantique que si les Européens accroissaient massivement leurs dépenses de défense en achetant de l’armement américain. Son vice-président James Vance a lui aussi livré un discours de sidération lors de la conférence annuelle de Munich sur la sécurité. Au-delà de ces discours volontairement provocateurs, ces effets d’annonce illustrent à la fois le caractère hautement stratégique de l’Arctique comme le montre notre carte du mois, mais aussi le fait que les Européens ne doivent désormais compter que sur eux-mêmes pour se défendre. Il ne s’agit pas seulement de la question du pourcentage de PIB à allouer à notre défense, mais bien de la prise de conscience que nous devons désormais être prêts à nous battre seuls contre des armées bien équipées dans un combat meurtrier de haute intensité. Pour tenter d’éviter la guerre, il nous faudrait être dissuasifs, c’est-à-dire réapprendre à faire peur. Dans une période où l’avantage est à l’épée sur la cuirasse et où les missiles prolifèrent de toutes part, nous sommes plus vulnérables que jamais et devons développer des doctrines, des équipements et une prise de conscience générale de ce nouvel état de fait. L’affirmation de la volonté de défense pourrait passer par le rétablissement du service national. Espérons que le chrétien démocrate Friedrich Merz qui vient d’être élu chancelier en Allemagne partagera cette urgence. Les Polonais, les Suédois et les Finlandais semblent l’avoir compris, ce qui est une bonne nouvelle mais consacre le basculement stratégique de l’Europe vers le Nord et l’Est. Tout signe de faiblesse sera instrumentalisé, comme en témoigne notre article du mois sur la guerre de l’information que l’Azerbaïdjan livre à la France jusque sur le continent africain. Continent africain qui est lui aussi l’objet des mesures de rétorsions de l’administration américaine, ainsi qu’en témoigne les attaques contre l’Afrique du Sud, privée désormais de toute assistance américaine mais aussi boycotté en tant que présidente du G20 auquel aucun responsable américain de haut rang n’assiste. L’Afrique du Sud se voit reprocher les poursuites engagées contre Israël devant la CIJ, mais elle est surtout l’objet d’un assaut de la part des nostalgiques de l’apartheid au premier rang desquels figure Elon Musk qui a grandi dans le pays tout comme des figures aussi influentes que Peter Thiel ou David Sachs.

Car au sud également, Donald Trump rompt les équilibres par ses prises de position décapantes, qu’il s’agisse d’annoncer sa volonté d’occuper Gaza pour en faire une cité balnéaire, d’accepter à demi-mots le principe de l’annexion de la Cisjordanie par le gouvernement israélien, d’inciter les Palestiniens à quitter leurs territoires pour rejoindre l’Egypte et la Jordanie ou d’afficher sa volonté de lancer une grande négociation globale avec l’Iran, tout en renouvelant sa confiance au prince héritier saoudien.

Dans le reste du monde, Donald Trump et Elon Musk courtisent les dirigeants populistes et de la droite libertarienne, tout en prolongeant la stratégie de leurs prédécesseurs en attirant les interlocuteurs à même d’isoler la Chine, tel l’Indien Narendra Modi qui se serait vu proposer l’accès à des technologies militaires de pointe.

Ce maëlstrom est aussi le fruit d’une évidence : Donald Trump est pressé car il sait qu’en plus de son âge avancé qu’il s’efforce de masquer, il ne lui reste que vingt mois avant les élections de mi-mandat (2026) pour convaincre les électeurs américains de lui redonner une majorité. C’était l’un des messages clés de la conférence d’Amy Green que nous vous invitons à visionner.    

L’équipe de direction de l’Institut

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