« Dans quel monde vivons-nous ? » 1er séminaire de la 34ème Session

C’est avec cette interpellation que le Vice-amiral d’escadre (2S) Pascal AUSSEUR, directeur général de l’institut FMES, a ouvert le 12 octobre dernier le séminaire inaugural de la 34ème session méditerranéenne des hautes études stratégiques (34ème SMHES). C’est une longue odyssée dans laquelle s’embarque la trentaine d’auditeurs de la 34ème SMHES car toutes et tous ont choisi cette singulière formation pour mieux comprendre les évolutions du monde en les abordant par la géopolitique et la géostratégie ; disciplines que la FMES tient pour essentielles pour des décideurs et qu’elle s’évertue à faire mieux connaître et pratiquer. Or le monde d’aujourd’hui est bien différent de ce qu’il était il y a dix ans mais surtout il ne ressemble en rien aux projections qu’on en faisait à l’époque. Alors qu’on espérait avoir pérennisé le modèle occidental globalisé et centré sur le commerce et l’économie, ce dernier s’effondre sous nos yeux et laisse place à un monde en fragmentation, déstabilisé, parcouru de forces centrifuges et qui laisse craindre que le chaos soit sa seule matrice. De surcroît, de cette profonde mutation émerge une relégation de l’Occident et une contestation des règles qu’il a édictées et qui toutes se fracassent sur la dure réalité du retour des rapports de force, des Etats et de la puissance comme clefs de lecture et comme ferments des relations internationales. La conférence qu’a donnée, au terme de ce premier séminaire de la 34ème SMHES, le Docteur Pierre RAZOUX n’a pas dit autre chose. En effet Pierre RAZOUX a démontré que la rivalité entre la Chine et les Etats Unis sera le fil conducteur de la recomposition des grands équilibres mondiaux des trente ou quarante années à venir ; ce que feront les autres parties du monde s’interprètera en fonction de cette rivalité qui, pour beaucoup de pays et à commencer par la Chine, se nourrit d’une immense rancœur et d’un profond mépris à l’égard de l’Occident.

Une fois ce cadre général donné, les auditeurs de la 34ème SMHES pourront y superposer le thème qui structurera leurs travaux et qui cette année est le suivant : « les conséquences de la guerre en Ukraine en Méditerranée ». Au fil des séminaires qui ponctuent la formation, ils pourront développer leur réflexion et la nourrir de ce que les visites et les conférences leur apporteront selon les thèmes abordés durant chacun des séminaires.

Le premier de ces thèmes aurait pu être baptisé « enjeux et outils de la puissance » car il a été organisé autour de deux pôles. Celui de Cadarache où les auditeurs ont pu aborder le thème de l’énergie et celui de la base d’Istres où l’armée de l’air et de l’espace et le centre d’essais en vol de Dassault Aviation leur ont été présentés.

La journée du 12 octobre, consacrée à l’énergie a été partagée entre une visite du CEA de CADARACHE le matin et celle du projet ITER dans l’après-midi. Le CEA de Cadarache et ses missions ont été présentés par le directeur du site, Mr Christophe BOURMAUD, qui a particulièrement insisté sur la mutation du site de Cadarache et son évolution vers la recherche de solutions innovantes tout en conservant sa vocation de pionnier dans l’énergie issue de la fission nucléaire ; EPR et SMR (small modular reactors) en sont les projets phares.  A l’issue de ce panorama général, les auditeurs se sont fait présenter le futur réacteur de recherche Jules Horowitz ainsi que l’état des recherches et du développement des SMR.  En outre les auditeurs ont, pour la toute première fois, pu visiter l’institut de biosciences et de biotechnologies d’Aix Marseille (BIAM) installé sur le site du CEA. Ainsi ils se sont informés sur les travaux du BIAM sur le vivant et les perspectives que ces recherches ouvrent en matière d’énergie, de captation du CO2 ou d’adaptation aux effets du changement climatique. S’il en fallait un, le BIAM est le parfait symbole du caractère innovant et pluridisciplinaire du CEA de Cadarache qui reste un site d’excellence scientifique sans équivalent au cœur de la région PACA.

L’après-midi la visite du projet ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor) a maintenu l’attention des auditeurs au plus haut niveau. Ce projet multinational aux ambitions et aux dimensions prométhéennes ne vise rien moins qu’à reproduire sur terre la fusion nucléaire telle qu’elle se produit dans les entrailles du soleil. Rassemblant 35 pays, ITER est l’incarnation de la capacité humaine à transcender les différends et à unir les volontés autour d’un projet dont la portée dépasse l’horizon d’une vie comme l‘était naguère la construction des cathédrales et dont l’ambition est de fournir à l’humanité une énergie propre et quasiment sans limite. Concrètement le cœur du projet, c’est la construction d’un énorme tokamak, nom d’origine russe donné à un dispositif de confinement magnétique permettant la physique des plasmas et ouvrant donc la possibilité de produire de l’énergie par fusion nucléaire. De la taille d’un immeuble de dix étages, le tokamak ITER est en cours d’assemblage tandis que les installations nécessaires à son fonctionnement comme la production d’énergie nécessaire à son allumage et celle du froid nécessaire au fonctionnement de ses aimants sont presque toutes achevées. Les premiers essais de fonctionnement sont prévus vers 2030 et un essai de fusion nucléaire pourrait être tenté dans la décennie qui suivra. Si elle réussit, cette expérimentation ouvrirait alors la voie à une sortie définitive des énergies fossiles. Porteur d’une telle espérance, le projet ITER s’il se concrétise pourrait donc offrir une issue à la fatalité d’une humanité dépendante des énergies fossiles qui est en passe de s’autodétruire en rendant inhabitable la planète qui l’héberge.

Ainsi au cours de cette formidable journée, les auditeurs de la 34ème SMHES ont pu toucher du doigt les enjeux liés à l’énergie et à quel point ces derniers peuvent être déterminants pour les Etats. Posséder des ressources énergétiques, maîtriser leur production, leurs flux ainsi que tous les facteurs qui déterminent leur marché est aujourd’hui un atout précieux pour tout pays et ceux de l’espace méditerranéen ne font pas exception.

La journée du 13 octobre s’est entièrement déroulée sur le site de la base aérienne N°125 d’Istres. Après le thème de l’énergie, l’objectif était de présenter aux auditeurs d’autres outils de puissance. Le premier est purement militaire puisqu’il s’est agi d’explorer l’une des trois composantes majeures des armées françaises : l’armée de l’air et de l’espace. Le second était plus industriel et civil : le centre d’essais en vol du groupe Dassault Aviation.

Orchestrée de main de maître par la colonelle Anne Laure MICHEL, commandant la base aérienne 125, cette visite du 13 octobre matin a permis aux auditeurs d’entrer de plain-pied dans les problématiques auxquelles l’armée de l’air et de l’espace est aujourd’hui confrontée dans un monde où la conflictualité évolue vite et dans lequel les crises s’articulent selon le triptyque compétition, contestation, confrontation. Dans ce cadre, la vision stratégique du général chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace a été détaillée, illustrant ce qu’il faut exactement comprendre des trois verbes qui résument cette vision : Décourager, Défendre, Défaire. De plus, la BA 125 étant une base en partie dédiée à la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire, un exposé spécifique sur le sujet a été fait aux auditeurs appelant ainsi leur attention sur ce qu’implique pour un pays le fait d’être un Etat dit « doté ». Ensuite, la colonelle MICHEL a repris la parole pour présenter en détail les spécificités de la base qu’elle commande et ses perspectives d’évolution. Plus grande base aérienne d’Europe, la BA 125 se distingue en effet par la multiplicité de ses missions et tout particulièrement par son rôle central dans la projection de puissance et de force puisqu’elle va bientôt en devenir le pivot en assumant la fonction de « Hub des armées ». Enfin, la matinée s’est poursuivie par une présentation détaillée de quelques aéronefs : le MRTT et son prédécesseur et par des démonstrations de spécialités liées à la protection et à la sécurité du site : pompiers, commandos de l’air, défense sol-air. Enfin, un déjeuner aussi savoureux que chaleureux partagé avec de nombreux aviateurs de la BA 125 a permis aux auditeurs de poursuivre avec eux les échanges initiés au cours de la matinée mais aussi d’évoquer ses sujets plus intimes comme la motivation et les conditions d’exercice du métier. Au bilan, cette matinée très dense a permis aux auditeurs de la 34ème SMHES d’approcher les problématiques d’une des trois grandes composantes des armées françaises et de mesurer l’effort fait par la nation pour se doter d’un tel outil moderne, efficace, ouvert sur le monde et la société tout en restant totalement dédié à sa mission centrale de défense de la France et des Français.

Le reste de la journée a été consacrée à la visite du centre d’essais en vol du groupe Dassault Aviation. Situé dans l’enceinte de la BA 125, ce centre d’essais en vol bénéficie ainsi d’infrastructures exceptionnelles et notamment de la plus longue piste d’Europe (5 000 mètres) mais aussi de la présence d’organismes, comme la DGA, avec lesquels Dassault Aviation coopère quotidiennement. Accueillis et guidés par Igor GAUFFRETEAU, ancien auditeur de la 33ème SMHES, les auditeurs ont pu mesurer les enjeux du groupe et l’importance d’un centre d’essais comme celui d’Istres pour rester au meilleur niveau de performance tout en innovant. Ensuite les auditeurs ont enchainé avec une visite des bancs d’essai et des ateliers. Ils y ont vu le travail fait pour moderniser les appareils « Rafale » et qualifier le dernier né de l’aviation d’affaires, le Falcon 6X.  Au total, les auditeurs ont pu approcher les problématiques et les enjeux d’un groupe industriel de niveau mondial qui opère dans un secteur de très haute technicité : celui de l’aéronautique militaire et civile. Les choix stratégiques à faire en matière d’organisation, d’implantations, d’alliances, de coopérations, d’axes de développement sont tous d’importance majeure pour conserver au groupe sa position parmi les tous meilleurs mondiaux et son impact pour la France en matière de partenariats et d’influence.

Les outils de la puissance se forgent ainsi. Comment et à quel prix les maintenir au meilleur niveau et en user, à quelles fins et pour quels résultats ? Telles sont les questions que les auditeurs de la 34ème SMHES ont pu se poser à l’issue de cette dense journée passée à Istres au contact de l’armée de l’air et de l’espace et du centre d’essais en vol du groupe Dassault Aviation. Leur cheminement intellectuel à la découverte de la géopolitique, des paramètres et des outils qui la façonnent en a très certainement été enrichi. C’est en tous cas ce que la plupart des auditeurs a pu conclure lors de la matinée du samedi 14 octobre. Rassemblés à Toulon au siège de la FMES pour clore ce premier séminaire de la 34ème SMHES, les auditeurs y ont reçu de la part de l’équipe pédagogique de la FMES et de l’Université de Toulon quelques informations complémentaires de calendrier, de méthode et d’organisation afin d’optimiser leurs futurs travaux.

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