« La mer – une infographie », Cyrille Poirier-Coutansais et Guillemette Crozet, CNRS Editions, Paris 2023, 108p., 25€
Cyrille Poirier-Coutansais, directeur de recherche du Centre d’études stratégiques de la Marine (CESM), auteur de nombreux ouvrages consacrés à la mer, et Guillemette Crozet, datadesigner et cartographe, se sont lancés le défi d’expliquer la mer sous forme infographique. Défi relevé avec brio grâce à la publication de cet excellent ouvrage qui nous présente les enjeux maritimes sous une forme renouvelée et d’une grande clarté.
Ce livre montre aussi combien l’infographie a pris une place éminente avec désormais une collection du CNRS consacrée à cette nouvelle technique de communication. Grace à une remarquable présentation imagée d’une quarantaine de sujets maritimes, le lecteur a donc le privilège de pouvoir bénéficier de la synthèse d’une masse considérable de données dont la « substantifique moelle » lui est restituée sous forme de visuels et de graphiques particulièrement éclairants. Cette approche des enjeux maritimes est très novatrice et mérite d’être saluée.
Les six parties thématiques de cet ouvrage permettent ainsi de passer en revue les grands sujets d’actualité du moment. Des présentations très pédagogiques permettent de visualiser et de comprendre les défis de la mer en ce début de XXIème siècle. Parmi les sujets traités, ceux consacrés à la conquête des grands fonds marins, aux stratégies des Nations en mer, aux défis énergétiques ou aux enjeux environnementaux illustrent tout particulièrement le nouveau regard que peut nous apporter cet ouvrage qui participe ainsi largement à leur compréhension. Mais, n’oublions pas aussi cette cinquième partie qui nous emmène à la découverte des sept merveilles des Océans, à la chasse aux trésors marins ou sur les mers hantées stimulant notre imaginaire et nos rêves.
Suivant l’adage de Napoléon Bonaparte qui veut que « Un bon croquis vaut mieux qu’un long discours”, on ne peut donc qu’encourager le lecteur curieux de la compréhension des enjeux maritimes contemporains de se plonger dans la lecture de cet ouvrage dont il ressortira avec une compréhension encore plus aiguisée de ce XXIème décidément de plus en plus maritime.
Thierry Duchesne, directeur du département maritime de la FMES
Revue Diplomatie, n°77, « L’état des conflits dans le monde » (décembre 2023-janvier 2024), 10,95€
Au sortir d’une année 2023 ayant confirmé le bouleversement à l’œuvre de l’ordre géopolitique mondial, Thomas Delage, rédacteur en chef du magazine Diplomatie, rappelle dès son édito que nous assistons à une « intensification de la spirale conflictuelle, alors que s’installe une nouvelle compétition stratégique internationale ». Ainsi, ce numéro examine les spécificités d’un grand nombre de conflit ayant émaillé, tout au long de l’année passée, l’ensemble des régions du monde : l’Europe (Ukraine, Caucase, Kosovo), l’Amérique (Mexique, Haïti, Brésil), le Moyen-Orient (Syrie, Irak, Yémen, Gaza), l’Afrique (Sahel, République Démocratique du Congo, Soudan, Soudan du Sud, Mozambique, Ethiopie) et l’Asie (Pakistan, Birmanie, Taïwan). Tous ces pays sont analysés et notés à la lumière de « l’indice Normandie ». Celui-ci s’appuie sur 11 critères, croisant des indicateurs géopolitiques, économiques et sociaux, afin de délivrer une note indiquant le niveau des menaces pour la paix propre à chaque pays.
Deux thématiques cruciales dans la conflictualité contemporaine sont également abordées dans ce numéro. D’un côté, les réflexions sur le nucléaire mettent en évidence que si les postures stratégiques et doctrinales n’ont pas tendanciellement évolué au cours de ces dernières années, la détérioration de l’environnement stratégique mondial se fait tout de même ressentir dans le domaine nucléaire. En effet, la dynamique de baisse des stocks d’armes a pris fin, au profit d’une volonté d’étoffer les arsenaux et de mener la course technologique pour les moderniser. De l’autre, les articles traitant de la cyber-conflictualité montrent que l’investissement de ce champ est désormais essentiel pour la prise d’informations, leur protection et la déstabilisation de l’adversaire. En Ukraine et à Gaza, ce nouvel espace de conflictualité a été investi par un grand nombre d’acteurs n’ayant souvent pas de liens direct avec les Etats en guerre mais dont la politisation les pousse à agir. Le contour flou des acteurs et des méthodes de cyberguerre les rend ainsi difficile à combattre, alors qu’elles ont un fort retentissement sur les opinions publiques.
Concernant la conflictualité traditionnelle, l’analyse de la guerre en Ukraine, mais également de celle au Caucase et des velléités expansionnistes du Venezuela montrent que la guerre de conquête territoriale n’appartient pas au passé. Par ailleurs, les principaux conflits ayant marqué l’année 2023 (Soudan, Gaza, Ukraine et Sahel) ne semblent pas se diriger vers une dynamique de sortie de crise. Au contraire, d’autres régions dans lesquelles la situation sécuritaire semblait relativement sous contrôle (Balkans, Mozambique, Ethiopie) risquent de replonger dans la guerre puisque les causes structurelles ayant mené aux affrontements n’ont pas été traitées. 2024 sera également une année d’élections, qui représentent pour certains pays un risque sécuritaire majeur (Soudan du Sud, RDC, Haïti, Tchad, Birmanie).
L’originalité de ce numéro est également de traiter les conflits en Amérique du Sud. La comparaison des situations au Brésil, au Mexique et à Haïti enseigne que, sur ce continent, la principale menace sécuritaire n’est pas incarnée par la guerre interétatique ou le terrorisme, mais plutôt par la lutte entre l’Etat et différentes milices et mafias (rendues puissantes grâce aux revenus de divers trafics) pour le contrôle du territoire.
Par l’analyse des principaux conflits ayant affecté le globe en 2023, ce magazine décrit une tendance globale d’émergence de la multipolarité et de détérioration de l’environnement stratégique, à la fois dans le domaine conventionnel et dans les nouveaux espaces, qui devrait se poursuivre dans les années à venir.
E.P.