EDITO
La tragédie syrienne entre information et propagande
On ne peut réfléchir de façon pertinente et efficace à ce qui se passe en Syrie si on se trompe dans l’identification du vrai problème. Dans les pays occidentaux en général, et en France en particulier, on nous répète : « Assad, un tyran sanguinaire qui massacre son peuple » … Certains vont encore plus loin : « Assad poursuit le génocide de son peuple ». Les auteurs de ce diagnostic définitif sont soit des personnes de bonne foi mais qui se trompent, soit des vecteurs d’une propagande qui ne connait plus de limite, comme en dictature. De quoi s’agit-il en Syrie ?
C’est une guerre civile dont les caractéristiques principales sont l’implosion d’un État et d’un peuple, ce qui favorise les ingérences étrangères donc le grand nombre d’acteurs, ayant des intérêts et des buts de guerre souvent antagonistes.
L’armée de Bachar al Assad est, elle aussi, issue du peuple syrien et, contrairement à ce que l’on nous en dit, elle n’est pas composée uniquement de militaires d’obédience « alaouite ». Cette communauté représente environ 8% de la population du pays et ce qui se joue pour elle c’est sa survie physique. On nous présente la « chute » d’Alep comme le point d’orgue de cette guerre civile en oubliant de préciser qu’elle a été reprise à Daesh, Al Qaïda et autres sectes « islamistes », tous porteurs d’un projet politique totalitaire, soutenus par « nos amis » du Golfe. L’opposition dite « modérée » ne pèse pas lourd dans les rapports de force sur le terrain de la confrontation militaire, car la culture démocratique ne bénéficie pas d’un ancrage profond en Syrie, comme dans tout le monde « arabo-musulman » …
La Russie joue un rôle très important dans ce conflit mais l’engagement de Moscou ne peut être expliqué uniquement par la personnalité de Poutine. Ce dernier poursuit une politique qui est constante depuis l’époque des tsars : la recherche d’un accès permanent vers les mers chaudes. C’est ce qui explique aussi l’annexion de la Crimée, région rattachée à la Russie depuis 1783.
La Chine – dont on parle si peu – est, elle aussi, dans le camp du régime de Damas car Pékin s’efforce de mener une politique de puissance et se préoccupe de la présence d’extrémistes ouïghours parmi les « djihadistes », comme Poutine s’agissant des mêmes individus originaires du Caucase.
L’Iran chiite est sur le terrain avec ses troupes d’élite, afin de consolider « l’arc chiite » qui va de Téhéran en passant par Bagdad, le Syrie et le Liban d’où sont originaires les hommes du Hezbollah.
Quant à la Turquie sunnite, elle mène un jeu trouble consistant à aider les « djihadistes » – sunnites, comme sa population – avant de se trouver confrontée à une réactivation du conflit kurde sur son propre territoire.
Il faut donc avoir à l’esprit que la propagande est l’une des dimensions de la guerre qu’elle précède et qu’elle accompagne. L’essentiel des « informations » qui nous parviennent sont diffusées par l’Organisation Syrienne de Droits de l’Homme, qui est une officine de l’opposition au régime syrien. Le nombre de morts qu’on annonce est invérifiable mais il vise à déclencher l’émotion et donc la manipulation de l’opinion publique internationale.
S’agissant de l’avenir de cette région, il n’y aura ni « Califat », ni retour aux États unitaires nés dans les frontières héritées de la colonisation. Les rapports de force seuls décideront de la carte du Proche-Orient, sachant que l’État nation s’est révélé une fiction et que l’islam ne parvient pas à rassembler les peuples qui s’en réclament. Il faut donc s’attendre, à l’avenir, non à une stabilisation de cette zone dite « arabo-musulmane » mais, au contraire, à une multiplication des guerres civiles.
Mustapha Benchenane, Docteur d’État en science politique, Conférencier au Collège de Défense de l’OTAN