Décrypter pour comprendre

Enjeux et perspectives du théâtre méditerranéen

Par Vincent CALLIES, Conseiller régional Île-de-France et auditeur de la 29ème session SMHES

Article inspiré de la conférence éponyme prononcée par le préfet maritime de la mer Méditerranée le 20 octobre 2018.

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L’Institut FMES a eu l’honneur de recevoir le vice-amiral d’escadre et préfet maritime de la mer Méditerranée, Charles-Henri LEULIER de la FAVERIE du CHE, dans le cadre de la cérémonie d’ouverture de la 29ème Session Méditerranéenne des Hautes Etudes Stratégiques.

Sur le thème des enjeux et perspectives du théâtre méditerranéen, la conférence a été ouverte par le président de la FMES, le vice-amiral 2s Benoit le MASNE de CHERMONT.

Le président de l’Institut FMES, le vice-amiral (2s) Benoit le MASNE de CHERMONT, introduisant la cérémonie d’ouverture de la 29èmeSession Méditerranéenne des Hautes Etudes Stratégiques. A ses côtés, le vice-amiral d’escadre et préfet maritime de la mer Méditerranée, Charles-Henri LEULIER de la FAVERIE du CHE.

Pendant plus d’une heure, le préfet maritime de la Méditerranée s’est adressé à son auditoire comprenant entre autres les vingt auditrices et auditeurs de la 29èmeSession, des personnalités du monde militaire ainsi que des élus régionaux.
L’officier général, grâce à une conférence étayée et structurée, a permis à son auditoire de mieux comprendre les enjeux du bassin méditerranéen.

En premier lieu, l’espace de la Méditerranée est un laboratoire remarquable de géostratégie, l’ensemble des problématiques du monde étant rassemblé dans un espace restreint. Lieu de confrontations des acteurs extérieurs et des puissances régionales, la Méditerranée est également un terrain d’action pour deux puissances européennes, l’Italie et la France.

  • Tyrannie des distances et du temps :

En tant qu’espace géographique, la Méditerranée est une petite zone d’opération, non-homogène, rendant l’anticipation et la profondeur difficiles. Elle est composée de quatre bassins :

  • La mer Noire, fermée par le détroit du Bosphore, sous la responsabilité de la Turquie.
  • La Méditerranée orientale, un lieu où les grandes puissances se jaugent, aujourd’hui marquée par la crise syrienne qui cristallise les tensions.
  • La mer de Syrte, face à la Libye.
  • La Méditerranée occidentale, “bastion français”, et région la plus stable. Ce quatrième bassin est cependant sujet aux trafics illiciges, de drogues et de migrants.
  • Des enjeux économiques essentiels :

Les enjeux du bassin méditerranéen sont perceptibles au travers de trois chiffres significatifs : la mer Méditerranée concentre 25% du commerce mondial, 30% des transports d’hydrocarbure et deux tiers des approvisionnements français. Elle concentre également un réseau important de câbles sous-marins stratégiques.
Deux exemples permettent de constater l’interdépendance des flux sur ce territoire étroit :

  • Le Port de Marseille accueille à hauteur de 75% les provenances du Canal de Suez. Dans cette perspective, la stabilité de l’Égypte (et donc du canal) n’est pas une option : elle est cruciale au bon fonctionnement du bassin méditerranéen dans son ensemble.
  • La mer Méditerranée concentre la moitié des yachts de luxe. Cibles potentielles ou vecteurs de trafics, ils sont aussi des révélateurs de la branche économique du tourisme, importante dans la région.

Le discours du préfet maritime sur la Méditerranée en tant qu’enjeu stratégique.

En s’appuyant sur les situations étatiques de plusieurs pays du bassin méditerranéen, un tableau de la région peut être dressé.

  • L’Ukraine

Cette zone incarne la guerre larvée et d’attente et explique les comportements de chaque Etat partie au conflit. Parmi ces Etats se retrouve indéniablement la Russie mais également la Roumanie et la Bulgarie, membres de l’Union européenne. Les conséquences de la situation en Ukraine s’étendent au-delà de son espace territorial puisqu’elles créent des volontés de rattachement à l’OTAN. C’est le cas de la Géorgie notamment.

  • Syrie

Les accords de zones démilitarisées retardent la prise d’Idleb, le dernier bastion des opposants du régime de Bachar EL-ASSAD, président de la République arabe syrienne. Il convient de noter que le contrôle des villes par le régime en place se sont faits par le biais d’accords permettant aux opposants de quitter la zone vers cette région du nord-ouest de la Syrie. La chute d’Idleb est annoncée et Moscou a intérêt à favoriser cette reprise. Toutefois, il s’agit pour l’Occident d’éviter une catastrophe humanitaire. En effet, avec plus de 3 millions d’habitants à Idleb, la reprise par EL-ASSAD pourrait donner lieu à des départs massifs vers Chypre et la Turquie.
S’intéresser à cette zone est d’autant plus crucial qu’elle impacte Israël, Gaza et leurs voisins. En cas de problème, le phénomène se diffuserait et, par contagion, toucherait des pays tels que l’Egypte, donnant lieu à des conséquences importantes pour l’ensemble de la Méditerranée.

  • Libye

La Libye et ses trois grandes régions, Tripolitaine, Cyrénaïque et Fezzan, connait une situation politique compliquée. Le contrôle du Fezzan, riche en pétrole, est revendiqué par Tripoli comme par Tobrouk. Fayez el-SARRAJ, chef du gouvernement d’entente nationale reconnu par la communauté internationale, voit son autorité contestée par le maréchal Khalifa HAFTAR, chef autoproclamé de l’Armée nationale libyenne, soutenu par le parlement de Tobrouk. De fait, en manque d’interlocuteur unique, la Libye ne connait ni d’unité ni de politique globale.
Le seul « succès » a été permis par les Italiens qui ont œuvré pour le renforcement des garde-côtes, permettant de diviser par dix le flux des migrants. Cependant, ce flux s’est déplacé vers le Maroc, l’Espagne étant redevenu le premier pays d’accueil.

  • Algérie

L’avenir politique de ce pays n’est pas garanti. Les interrogations se multiplient concernant le potentiel départ du président Abdelaziz BOUTEFLIKA, chef de l’Etat depuis 1999. Si l’on espère une stabilité, un débordement est tout de même envisageable. L’Algérie est le plus proche voisin de la France au Sud et une vigilance est donc nécessaire.

  • Zoom : Analyse du dispositif russe de septembre 2018

En mer Méditerranée, les grandes puissances se jaugent. Elle incarne le théâtre d’affrontements et de convoitises. La Russie entend faire passer un message clair aux autres puissances, celui de maitriser les techniques du déni d’accès.
La politique russe suit depuis des siècles la même constante, préserver un accès aux mers chaudes. Le « Syrian Express », surnom donné au ravitaillement de l’armée syrienne par la Russie à travers un flot continu de navires, en est une parfaite illustration. En contrepartie, la moitié du port de Tartous a été confiée à la Russie qui y positionne deux sous-marins classiques équipés de missiles de croisière mais également des frégates. Lors d’un grand exercice naval, Moscou a fait la démonstration de sa capacité à maitriser l’espace aéromaritime. D’une durée d’un mois, l’exercice a permis aux Russes de montrer leurs progrès en termes de coopération navale.

  • Décryptage des enjeux à travers le travail du préfet maritime, aux niveaux militaire et sécuritaire

Dans une mer de nature fermée et petite, il est primordial d’anticiper, d’autant plus que les effets sont liés, imbriqués, complémentaires et se nourrissent, de la terre à la mer.

Les fonctions du préfet maritime témoignent de la singularité en Méditerranée, ce dernier disposant de plusieurs rôles :

  • Préfet de l’urgence en mer : son objectif est la sauvegarde de la vie humaine. Cette mission concerne l’assistance aux navires en difficulté, la lutte contre les pollutions, le déminage ou encore la surveillance de la navigation. En dépit des efforts de prévention et des interventions de sauvetage, environ 30 personnes perdent la vie chaque été.
  • Préfet de police en mer : le dessein poursuivi est celui de la surveillance des approches maritimes. Il s’agit de la lutte anti-terroriste en mer, la sûreté des navires, la coordination de la lutte contre les activités illicites et la répression des pollutions.
  • Préfet “gouverneur” de l’espace marin : le but est la prévention des conflits et des usages. Cette mission relève de la protection de l’environnement, la planification de l’espace maritime ainsi que le développement économique.

Ainsi, en Méditerranée, la gouvernance n’est pas chose aisée. Une bonne illustration en a été la récente catastrophe écologique évitée de justesse, suite à la collision le 7 octobre 2018 entre l’ULYSSE et le SLC VIRGINIA, à une trentaine de kilomètres au Nord-ouest du Cap Corse, ayant provoqué 530 m3de pollution. Le préfet maritime a été chargé de coordonner le pompage et le chalutage des nappes de pétrole. S’agissant de la collision, de très gros moyens ont été mis en œuvre : 34 navires, 11 aéronefs et 500 hommes en permanence déployés.

Illustrant son rôle de commandant de zone maritime, le vice-amiral d’escadre du CHE a exposé la politique française de défense de la liberté en mer, qui applique le principe de « courtoise fermeté ». Des bâtiments de la Marine nationale sont déployés en permanence en Méditerranée. L’un deux se situe entre Chypre et la Syrie et utilise avec profit ses radars performants. Un autre est généralement présent au large de la Libye afin de lutter contre les trafics en tous genres. Il a été récemment déplacé en mer d’Alboran entre l’Espagne, le Maroc et l’Algérie, les flux de migrants en Libye ayant presque disparus. Un troisième navire sert le plus souvent de relai entre la haute mer et l’action à proximité des côtes.

Enfin, trois fois par an, la Marine nationale se déploie en mer Noire. Il s’agit d’un message politique, notamment à la Russie et à la Turquie, pour réaffirmer qu’il s’agit bien d’une haute mer, au terme de la convention de Montego Bay. Cette présence est notamment l’occasion d’afficher un soutien à la Bulgarie et la Roumanie.

Session de questions-réponses concluant la conférence.

  • Conclusion : le prisme de l’économie

Les activités en Méditerranée sont régies par l’aspect financier. Les flux, les détroits, les gazoducs et les câblages sous-marins en sont des exemples.
L’exemple de Chypre est édifiant. Les Chypriotes sont concernés par la découverte d’un gisement d’hydrocarbures à leur sud. Ce gisement ne concerne pas les Turcs qui occupent le nord de l’île, Chypre étant de facto scindée depuis 1974. Toutefois, si elle n’est pas partie prenante, la Turquie s’impose en Méditerranée orientale en envoyant des navires de guerre dans la zone. La compagnie pétrolière italienne ENI a même été interdite d’accès par Ankara. La Turquie bloque ainsi l’exploration de gisements de gaz au large de Chypre.

Au-delà des acteurs régionaux, les grandes puissances entrent en action, la situation chypriote s’érigeant en problème régional majeur.
La Méditerranée cristallise en son sein plusieurs types de problème. Sa situation en fait un enjeu majeur pour les Etats riverains. Plus encore, elle attire la présence d’acteurs mondiaux, à l’instar de la Chine qui a divisé par deux les effectifs de son armée de terre et multiplié par cinq ceux de sa Marine. En définitive, la situation en Méditerranée est une priorité française, la France cherchant à éviter l’escalade des tensions.

L’intervention du préfet maritime a permis d’éclairer l’auditoire sur les priorités françaises en Méditerranée mais également sur la position de la Turquie.

Cette conférence est aussi le moyen d’introduire le sujet de la 29èmeSession Méditerranéenne des Hautes Etudes Stratégiques. Les auditrices et auditeurs, des cadres civils et militaires, doivent rédiger un rapport sur les conséquences géopolitiques des gisements d’hydrocarbures en Méditerranée orientale.

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