Les bonnes nouvelles sont rares au Moyen-Orient. La visite du pape François en Irak du 5 au 8 mars dernier et sa rencontre avec le grand ayatollah Sistani en est indéniablement une qui pourrait contribuer à apaiser les tensions interreligieuses dans la région. Elle survient juste avant la célébration de Norouz (20 mars) qui marque l’arrivée du printemps et par là-même la nouvelle année persane chère aux populations persanophones, mais aussi un mois avant Pâques suivie du début du Ramadan. On peut y voir une entente visant la protection des minorités chrétiennes par les Chiites face au djihadisme de certains Sunnites radicalisés, à l’heure où Daech relève la tête à la frontière irako-syrienne. C’est aussi, de la part de Sistani, un message envoyé aux milices chiites pour leur rappeler qui reste le véritable maître du jeu en Irak. Par homothétie, cela pourrait contribuer à renforcer au Liban l’alliance entre Chiites et certaines factions chrétiennes, notamment celle du président Michel Aoun, au moment où le pays du Cèdre sombre dans un état de déliquescence avancée.
Il est cependant peu probable que cette nouvelle année iranienne débute par un apaisement des tensions entre les trois grands rivaux du Moyen-Orient. Les attaques de drones « houthis » se sont multipliées en Arabie saoudite, visant désormais des installations pétrolières au cœur même de la capitale saoudienne. De leur côté, les Israéliens auraient récemment attaqué en Méditerranée orientale et en mer Rouge des pétroliers iraniens faisant la navette entre Bandar Abas et Banyas (en Syrie), sans toutefois faire de victimes, démontrant leur capacité de riposte graduée en cas d’escalade avec Téhéran. Enfin, le résultat très fragmenté de l’élection israélienne du 24 mars 2021 – malgré la victoire apparente du Likoud – devrait indiquer, à échéance visible, la poursuite des postures acrimonieuse et des attaques à bas bruit entre Israël et l’Iran. Les Emirats arabes unis, furieux pour leur part d’avoir été instrumentalisés à des fins électorales par le candidat Netanyahou, ont annulé in extremis la venue du Premier ministre israélien à Abou Dhabi, montrant que les accords d’Abraham ne seront probablement pas le long fleuve tranquille que certains imaginaient.
Pendant ce temps, les Russes avancent leurs pions en mer Rouge et dans le golfe d’Oman, comme l’explique très bien Arnaud Peyronnet dans son article sur la volonté russe d’établir une base au Soudan. De leur côté, les Etats-Unis assurent le service minimum en conduisant des manœuvres navales en Méditerranée orientale, questionnant la stratégie régionale de la Grèce, notre article du mois en témoigne. Ce dernier nous paraît d’autant plus intéressant que les études portant sur un des rares partenaires européens partageant la lucidité française sur la situation en Méditerranée sont peu nombreuses.
En qualifiant Vladimir Poutine de « tueur », Joe Biden, vieux routier de la guerre froide, a clairement fait savoir à ses partenaires et alliés, en Europe comme au Moyen-Orient, qu’il leur fallait choisir leur camp ; ceux qui privilégieront la Russie n’auront rien à attendre des Etats-Unis. Le Kremlin en prend bonne note et renforce sa mainmise sur l’océan Arctique, une zone pour lui essentielle comme le rappelle Thierry Garcin, notre conférencier du mois. Ce coup de semonce envers celui qui avait refusé le Reset d’Obama s’est accompagné d’un premier contact rugueux à Anchorage entre le secrétaire d’Etat Anthony Blinken et ses homologues chinois Wang Yi et Yang Jiechi. Les Etats-Unis souhaitent ainsi structurer le débat stratégique des années à venir : la Chine et la Russie, hérauts autocratiques qui se présentent comme des modèles politiques alternatifs sont désignés comme les adversaires prioritaires ; le gouvernement chinois partage cette analyse : il vient d’annoncer la hausse de son budget militaire de 6,8 % et fait feu de tout bois dans la bataille des idées. Les attaques ad nominem qu’il a proférées à l’encontre d’Antoine Bondaz, expert réputé de l’Asie du Nord à la Fondation pour la recherche stratégique, sont une illustration de la « « guerre hors limite » que va intensifier Pékin.
Alors même que les Etats européens s’engluent dans la gestion de la crise sanitaire et envisagent sans doute de futures coupes budgétaires, le Royaume-Uni augmente ses dépenses militaires. Dans sa nouvelle revue stratégique (16 mars 2021), il vient d’annoncer sa volonté d’accroître son arsenal stratégique (+45 %) de 80 têtes nucléaires pour atteindre 260 armes atomiques (la France en a autour de 300), du jamais vu depuis la fin de la guerre froide ! Sans doute faut-il voir là l’une des conséquences du Brexit, Boris Johnson ayant réalisé qu’après avoir quitté le pack européen, au sens rugbystique du terme, son pays était isolé et devenait une proie tentante pour les grands fauves de l’arène internationale, à commencer par la Chine et la Russie.
Bref, l’actualité géopolitique du mois écoulé fut dense, comme ont pu le réaliser les auditeurs de la 31e SMHES à l’occasion d’un dîner-débat avec la direction de l’Institut qui faisait suite à un séminaire très riche consacré aux enjeux de sécurité. Pour conclure cet édito, nous sommes fiers d’honorer ce mois-ci notre promesse de publier les cinq meilleures tribunes rédigées par des étudiants de Master 2 de Sciences Po Aix. Nous vous en souhaitons bonne lecture.
L’équipe de direction de l’institut FMES