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- Date de création 30 octobre 2017
- Dernière mise à jour 30 octobre 2017
"Dans un monde « globalisé » et de plus en plus « dématérialisé », il est inévitable et sans doute aussi opportun, pour lutter contre certains défis transnationaux – le financement du terrorisme, le blanchiment de l’argent de la drogue, la grande corruption, l’évasion fiscale… –, que certaines législations économiques des grands États (ou entités supranationales comme l’Union européenne) aient une emprise dépassant leur frontières, donc extraterritoriale.
Cependant, dans ce contexte général, il existe de toute évidence un « problème » spécifique avec l’extraterritorialité pratiquée par les États-Unis, et ce problème concerne au premier chef l’Europe.
Les raisons de la dérive observée sont sans doute multiples : le fonctionnement intrinsèque de la justice américaine, avec ses procédures très intrusives et ses sanctions aussi sévères que difficiles à prévoir ; le choix réitéré, au fil des années, des autorités américaines d’instrumentaliser le droit au service des intérêts sécuritaires et économiques du pays ; l’emballement plus récent du système dans une situation de relatif blocage politique aux États-Unis, laquelle empêche l’exécutif de faire valoir les intérêts diplomatiques nationaux pour mettre le holà à l’activisme des agences et aux initiatives du Congrès – cela conduisant même à menacer des priorités diplomatiques telles que la réconciliation avec l’Iran ou le maintien de l’alliance avec l’Arabie Saoudite ; la popularité, dans les opinions publiques, de la thématique de la punition des méfaits d’une part des entreprises, d’autre part des États complices du terrorisme, boostées par la crise financière, puis la flambée de terrorisme que nous vivons.
En tout état de cause, le fait est là  : depuis quelques années (principalement à partir de 2008), on observe une multiplication des pénalités financières infligées aux États-Unis à des entreprises étrangères, qui se trouvent être en très grande majorité européennes (les autres étant parfois japonaises, mais rarement issues des pays émergents). Ces pénalités peuvent sanctionner, légitimement, des infractions commises par ces entreprises sur le sol américain, mais aussi, trop souvent, des faits commis hors du territoire américain et n’impliquant pas directement des personnes (physiques ou morales) américaines (ou de droit américain s’agissant de sociétés) : dans ce cas, elles sont clairement extraterritoriales, même si les autorités américaines prétendent éventuellement justifier leur compétence par des interprétations très extensives du critère de territorialité. C’est ainsi que les entreprises européennes ont en quelques années versé aux différentes institutions et administrations américaines quelques 16 milliards de dollars au titre d’infractions aux embargos décidés par les seuls États-Unis contre certains pays et de quelques 6 milliards pour des faits de corruption à l’international (commis hors du sol américain). Ces entreprises ont également accepté, dans le cadre des transactions passées avec les autorités américaines, de se soumettre à des programmes de contrôle de leurs activités qui peuvent impliquer la transmission d’informations relevant du secret des affaires.
Il faut donc réagir. Il n’y a évidemment pas de réponse unique, ni même de stratégie unique, car le mécontentement que nous ressentons face à certaines pratiques américaines ne peut pas occulter d’autres réalités : la France et les autres pays de l’Union européenne, à des degrés divers, sont non seulement liés aux États-Unis par une vieille alliance et des valeurs communes, mais partagent aujourd’hui même de nombreux combats, contre le terrorisme d’abord, mais aussi contre le crime organisé, l’argent sale, la corruption, l’évasion fiscale…
Il y a donc des domaines, tels que la fiscalité et la lutte contre la corruption, où il n’y a pas d’autre voie que la coopération, quel que soit l’énervement que les pratiques unilatérales et brutales des administrations américaines peut susciter.
La mission considère comme nécessaire de faire valoir auprès des États-Unis que certaines pratiques sont devenues abusives et que la France ne les acceptera plus. Elle estime donc que la seule coopération ne permettra pas de résoudre les problèmes apparus depuis quelques années. Un rapport de force doit être instauré.
S’agissant des sanctions économiques et embargos, l’utilisation croissante de cet instrument diplomatique par l’Union européenne, ce de plus en plus en coordination avec les États-Unis (par exemple à l’encontre de la Russie suite aux événements d’Ukraine), ne permet probablement plus d’adopter des positions aussi tranchées que dans les années 1980 et 1990, où l’Europe s’était ouvertement et efficacement opposée à l’unilatéralisme américain dans l’affaire dite du gazoduc sibérien, puis au moment des lois Helms-Burton et D’Amato-Kennedy qui visaient notamment Cuba et l’Iran.
Mais, que l’on choisisse des stratégies coopératives ou que l’on privilégie la confrontation, option dont il faut de toute façon garder la possibilité, il faut pouvoir agir « à armes égales ». À cet égard, la « machine de guerre » juridico-administrative des États-Unis ne doit certes pas constituer un modèle, mais peut tout de même inspirer certaines réformes, vu son efficacité. C’est pourquoi le présent rapport prend clairement parti pour :
– l’adoption d’instruments tels que les transactions pénales avec les entreprises (en matière de corruption mais peut-être aussi pour d’autres formes de délinquance économique), car elles permettent d’accélérer les procédures et de dépasser certains obstacles juridiques ;
– l’adoption de législations économiques à portée extraterritoriale, notamment à des fins dissuasives ;
– l’adoption ou le renforcement des dispositifs dits de blocage qui ont aussi, dans une optique coopérative, un rôle dissuasif ;
– la promotion, quand c’est possible, de stratégies de contournement, telles que l’usage de l’euro quand celui du dollar présente des risques ;
– parallèlement aux outils juridiques, le renforcement de l’« intelligence économique », défensive et offensive, que ce soit dans les services de renseignement, les administrations ou les entreprises, là -aussi en s’inspirant, à notre échelle, du très puissant dispositif américain.
Par ailleurs, il faut parvenir à régler, probablement par la voie diplomatique, un dossier particulier, celui des « Américains accidentels », également et avant tout citoyens français, qui sont confrontés du fait de la loi américaine FATCA et de l’accord bilatéral du même nom à une situation purement kafkaïenne (des procédures bureaucratiques américaines aussi incompréhensibles qu’onéreuses, des banques qui souhaitent fermer leur compte…) qui n’était manifestement pas l’objectif de cette législation et de cet accord. Ce dossier n’a pas avancé à Washington dans le contexte de blocage entre le Congrès et l’exécutif, puis la période pré-électorale. Il faut qu’il soit une priorité de notre diplomatie pour l’année prochaine.
Il reste enfin la dimension européenne, qui est particulièrement nécessaire. L’implication de l’Union est d’abord nécessaire pour des raisons politiques, car l’on s’inscrit dans un rapport de forces – de ce point de vue, la décision récente concernant Apple est très importante. L’implication accrue de l’Union est également nécessaire pour des raisons plus techniques, au moins dans le domaine des sanctions économiques et embargos, car l’on est actuellement dans une situation contradictoire dans laquelle ces sanctions et embargos sont essentiellement décidés au niveau communautaire, mais exclusivement mis en œuvre (délivrance des licences et contrôle de l’application) au niveau national."